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16 Juillet 2012

14 ans : Trop ou pas assez?

Par Olivia Bueno

Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno de l’International Refugee Rights Initiative en consultation avec des militants congolais. Les vues et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’IRRI ou celles d’Open Society Justice Initiative.

L’annonce le 10 juillet de la première condamnation prononcée par la Cour pénale internationale (CPI) dans l’affaire Thomas Lubanga a suscité des réactions diverses dans sa province natale de l’Ituri en République démocratique du Congo (RDC). Bien qu’il y ait des gens qui approuvent la sentence, la décision a aussi fait l’objet d’attaques des deux côtés. Pour certaines victimes des crimes commis en Ituri, la sentence annoncée par le tribunal n’est pas assez sévère. Pour ceux qui soutiennent Lubanga et ceux qui considèrent la procédure de la cour comme compromise, 14 ans c’est excessif.

Satisfaction

Seul un petit nombre de ceux interrogés récemment par nos collègues de Bunia se sont dit satisfaits du verdict, en ajoutant qu’il s’accordait avec leur idée de la justice. Selon un homme, « Il mérite cette sanction en tant qu’auteur ou co-auteur de la guerre, malgré la longueur de la procédure …Je suis complètement satisfait », « je ne suis pas une spécialiste du droit ni un avocat, mais je trouve cette justice normale. «

Cependant, ces expressions de satisfaction ont été éclipsées par les critiques de la décision, qui ont été beaucoup plus nombreuses. Il semble que la dynamique dominante est un débat entre ceux qui voient la décision comme excessive et ceux qui la considèrent comme insuffisante.

Une punition excessive?
 

Pour ceux qui soutiennent Lubanga, ou qui plus généralement critiquent la procédure, la sentence constitue un rappel de plus de l’injustice de la procédure dans son ensemble. Beaucoup de membres du parti politique de Lubanga, l’Union des Patriotes Congolais (UPC), étaient sûrs que Lubanga serait acquitté. Pour eux, la peine de 14 ans constitue une nouvelle déception.

D’autres ont critiqué la décision pour les mêmes raisons qu’ils avaient critiqué le procès en général. Pour certains, la question clé était la crédibilité du processus judiciaire. Selon un homme : «A la place des juges, j’aurais libéré Lubanga, car si l’on examine le procès depuis le début, il a commencé par beaucoup de faux témoins … à mon avis, la démarche n’était pas crédible. » Un autre ajoute : « Cette condamnation est regrettable parce que les autres qui sont impliqués dans l’affaire sont encore libres. Pourquoi la CPI ne veut-elle pas déranger les autres complices directs et indirects? »Selon une autre personne : « Je pense que cette peine est trop forte, car Lubanga était simplement en légitime défense. Sans oublier que Thomas n’est qu’un petit poisson, mais que les gros poissons se promènent sans être inquiétés. 14 ans, c’est beaucoup. «

Cependant, malgré toute cette rhétorique de la déception, la force de la réaction a été atténuée par le fait que la peine était beaucoup plus légère que celle proposée par le procureur. En effet, certains voulaient à tout prix transformer la condamnation en victoire pour le camp Lubanga : «Pour moi, c’est une victoire de l’UPC sur le procureur Moreno car c’était quelqu’un de très politisé et corrompu. Il voulait faire condamner Thomas à 30 ans, mais la vérité a triomphé. » D’autres étaient réconfortés par le fait que non seulement Lubanga, mais aussi ses adversaires soient en train de faire face à la justice, » Heureusement que les deux autres qui sont à La Haye rééquilibrent un peu les choses »

Clémence?
 

D’autres ont exprimé la préoccupation que la peine soit trop légère. Pour ceux qui avaient espéré que la CPI allait apparaître comme une force susceptible d’intimider ceux qui envisageraient de commettre des crimes similaires, la sentence semblait faible.

Selon un militant, «Pour nous autres les victimes, c’est un choc. Cette condamnation ne représente pas nos aspirations. Comment pouvons-nous comprendre ce verdict « Certains ont fait valoir que la peine ne serait pas dissuasive pour d’autres auteurs potentiels : « Ces 14 ans ne représentent pas une grande peine d’emprisonnement par rapport à la sévérité des sanctions. Cette pénalité est inférieure à celle qui aurait été appliquée pour les mêmes types de crimes. Par exemple, pour les cas de viol, le Code pénal congolais prévoit une peine de 20 ans de prison. Selon un autre homme : « Pour moi, 14 ans, c’est trop peu … alors il va tout simplement de faire l’imbécile dans cette prison européenne où il va prendre du poids … ce n’est pas comme nos prisons, qui sont des mouroirs. La CPI se moque de nous. » Une autre victime, citée par l’ONG congolaise la LIPADHO, a déclaré : « Il y a beaucoup d’entre nous dont la vie a été ruinée à cause de lui. Cette sanction n’est pas proportionnelle à sa capacité de nuisance. » Un autre exprime ainsi sa colère « Il a fait des tas de choses en Ituri que tout le monde connaît, et aujourd’hui, vous le condamnez à 14 ans moins six … c’est se moquer de nous. « Un autre a déclaré que la Cour avait montré «ses limites, la CPI doit corriger cette erreur. Thomas ne mérite pas 14 ans de prison, il mérite 20, 25, 30 et même 50 ans de prison. «

D’autres s’inquiétaient d’un retour éventuel de Lubanga : « La peur d’un retour éventuel de Lubanga est bien réelle pour nos membres et leurs familles », a déclaré Emilie Buza, du Forum de l’ONG Mères de l’Ituri (FOMI), parlant à l’agence de presse IPS.

Compte tenu des divisions créées par le procès en Ituri, il n’est pas surprenant que la peine ait suscité la controverse. Toutefois, les réactions du camp de Lubanga ont été amorties par le fait que la peine a été relativement légère. En fait, de nombreux militants ont réagi en se tournant plutôt vers l’avenir et sont plus préoccupés par la question des réparations, sur lesquelles les Chambres ne se sont pas encore prononcées. Parce qu’elles concernent directement les victimes, elles peuvent avoir un impact plus important sur le terrain que la peine elle-même. En outre, on est conscient que la sentence est susceptible d’être vue en conjonction avec l’issue du procès Katanga et Ngudjolo. Est-ce qu’une peine plus sévère contre Katanga et Ngudjolo serait accueillie avec une plus grande préoccupation par la communauté Lendu à la lumière de la peine relativement légère pour Lubanga? Il faut continuer à surveiller la situation alors les opinions se tassent au fil du temps.

 

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