Commentaire Rapports du proces

7 Novembre 2012

Affaire Lubanga : les communautés locales divisées sur la question des réparations

Par Olivia Bueno

La question des réparations dans l’affaire Thomas Lubanga (Cour pénale internationale – CPI) qui a été cette année reconnu coupable des crimes de guerre de conscription, enrôlement et utilisation d’enfants soldats pendant le conflit de 2002-2003 en Ituri, fait l’objet d’un grand débat dans la province orientale du Congo. Dans sa décision, la chambre de première instance au procès Lubanga a déclaré que les victimes devraient recevoir des réparations et exposé les principes de l’application des ces réparations. Cependant, la chambre n’a pas pris de décision en ce qui concerne exactement la forme que devraient revêtir ces réparations. Elle a décidé qu’une proposition basée sur des consultations avec les victimes devra être mise en place pour approbation par la Cour. Cette décision a soulevé chez les victimes et le grand public en Ituri de nombreuses questions, notamment sur la forme que peuvent prendre les réparations. Les intellectuels, la société civile et les victimes sont divisés sur cette question. Malheureusement, les victimes qui attendent depuis plusieurs années un aboutissement à leurs demandes de réparations, ont des difficultés à insérer leurs préoccupations dans ce débat très technique et juridique.

La Cour a créé des attentes énormes chez de nombreuses victimes en Ituri et ces attentes seront très difficiles à satisfaire. Tout d’abord, nombreux sont ceux qui se considèrent comme des victimes et dont la situation est peu susceptible d’être examinée par la Cour parce que leur souffrance est sans rapport avec les charges spécifiques relatives à l’affaire Lubanga. Même pour ceux dont la situation est directement prise en compte par la décision sur les réparations au procès Lubanga, offrir des réparations effectives constitue une tâche extrêmement difficile. Pour ceux qui ont subi des violences graves et des traumatismes, il est difficile d’imaginer quelles réparations pourraient réellement répondre à leurs souffrances.

En plus de ces questions plus globales sur le processus, il y a les frustrations causées par les retards qu’ils ont vécus dans le processus. « Ils ont fait preuve de beaucoup de patience à ce jour, et aucune nouvelle déception ne sera plus tolérée », a déclaré un militant à Bunia. « Pourquoi, après l’annonce de la décision, les actions sont-elles retardées et le débat se poursuit-il? » a demandé un parent de l’un des ex-enfants soldats, une victime dans l’affaire Lubanga.

En fait, l’opinion publique en Ituri semble être que l’annonce du jugement dans l’affaire Lubanga devrait marquer la fin de l’attente pour les victimes. Lors d’un séminaire organisé récemment par Justice Plus, une ONG basée à Bunia, de nombreuses victimes ont exprimé leur déception quant à l’approche adoptée par la Cour et la qualité des réparations qui sont discutées. Pour de nombreuses victimes consultées, il serait inacceptable de considérer les réparations comme collectives sans des réparations individuelles en complément. Lorsque des ONG locales leur ont signalé que la Cour tendait vers des réparations exclusivement collectives, la plupart des gens ont exprimé leur désapprobation. Ils ont estimé que les réparations individuelles étaient le seul moyen de répondre à leurs besoins: « Ils parlent de réparations collectives. Si vous voulez venir construire un monument, c’est très bien, mais ne l’appelez pas réparation. » D’autres se seraient plaints que s’ils avaient su que leur participation au processus ne conduirait qu’à des réparations collectives, ils n’auraient pas pris la peine de prendre le risque important de participer au procès.

Les victimes consultées par Justice Plus ont compris les réparations collectives comme purement symboliques et incapables de redresser les préjudices spécifiques qu’elles ont subis. Ils contestent aussi l’extension de la catégorie de ceux qui pourraient bénéficier de réparations au-delà de ceux qui avaient expressément demandé à participer au procès, en faisant valoir que ceux qui ont eu le courage de s’adresser au tribunal et demander à faire partie du procès ne doivent pas être mis sur le même pied d’égalité que ceux qui n’avaient rien fait de tel.

Un sentiment similaire a également été exprimé par un avocat à Bunia, qui a dit qu’il était stupéfait que le tribunal ait refusé de se prononcer sur une demande soumise par les victimes. En droit congolais, a-t-il soutenu, il appartient aux victimes participantes de définir quelles réparations elles estiment satisfaisantes. Les juges ont le pouvoir d’évaluer et de réajuster le niveau des réparations demandées par la victime, mais pas celui d’imposer un mécanisme complètement différent de réparation. Cette approche semble correspondre à celle de l’équipe de défense de Lubanga.

En effet, l’appel interjeté en septembre par la défense de Lubanga a contesté l’approche large adoptée par la Chambre en ce qui concerne les bénéficiaires des mesures de réparation, arguant que les victimes qui n’ont pas de statut officiel dans le procès et les victimes de violences sexuelles ne devraient pas bénéficier de mesures de réparation. Ils se sont également opposés à l’approche de la chambre de première instance en demandant au greffe et à un groupe d’experts de proposer un ensemble de réparations, arguant que cela représentait une délégation inappropriée des tâches qui doivent être effectuées par les juges eux-mêmes.

De nombreux avocats en Ituri, qu’ils soient ou non proches de l’Union des Patriotes Congolais (UPC) – le groupe fondé et dirigé par Lubanga pendant le conflit de l’Ituri – ainsi que d’autres membres de la société civile, sont plutôt d’accord avec la position de la défense à cet égard. Et les efforts fournis par la cour en vue d’élargir le nombre de victimes qui peuvent bénéficier de réparations ont suscité un débat dans l’Ituri, en particulier en ce qui concerne la question de l’inclusion des victimes de violences sexuelles. La question de la violence sexuelle, en particulier contre les jeunes filles recrutées dans les forces de Lubanga, a été abordée au procès, mais pas spécifiquement en tant que chef d’accusation. Cependant la décision de la Chambre concernant les réparations semble laisser la porte ouverte à l’inclusion de réparations spécifiques pour les victimes de ces violations. Mais un avocat a fait valoir que ce n’était pas l’affaire de la Cour de créer des victimes et que les efforts pour élargir le groupe risquaient maintenant de violer le contrat juridique entre les parties au processus. Il a également fait valoir qu’une considération spéciale pour les victimes de violences sexuelles serait inappropriée car Lubanga n’a pas été condamné pour de tels actes. L’extension des réparations était une façon d’impliquer la culpabilité sans passer par une procédure judiciaire complète. Pour lui, une telle approche allait créer des victimes qui, d’un point de vue judiciaire, n’existaient pas.

Les militantes des organisations féminines en Ituri voient les choses différemment. Selon une militante la question ne peut être abordée sur une base purement juridique. Si on le fait, elle risque de perdre sa pertinence sociale. Personne ne peut ignorer le fait que les membres de l’UPC ont forcé des filles à leur servir d’esclaves sexuelles et que beaucoup d’autres filles ont été victimes de viols. Certaines sont devenues mères et d’autres ont été infectées par le VIH. Ces victimes de la violence sexuelle et sexiste (VSS) restent à la maison; terrorisées, contraintes au silence par l’idée qu’elles ne doivent pas porter atteinte à l’honneur de leur communauté en dénonçant les violations commises à leur encontre par « leurs parents ». Même si la Cour n’a pas été en mesure de leur donner l’occasion de s’exprimer ouvertement, l’humanité ne devrait pas ignorer leurs souffrances. Cela, a-t-elle ajouté, serait une véritable injustice.

Il y a aussi ceux dont la situation n’est pas directement liée aux affaires jugées par la CPI. Beaucoup se sentent exclus et se demandent pourquoi leurs souffrances n’ont pas mérité l’attention de la Cour. Par exemple un militant se demande, « Comment peuvent-ils dire qu’ils se penchent sur la situation des victimes quand ils ne regardent que la situation des enfants? » En fait, il est à craindre qu’un programme de réparations pourrait même contribuer à exacerber les tensions entre certains groupes. « La Cour dit que les réparations ne soient pas discriminatoires, mais en pratique, les victimes sont plus ou moins Hema seulement ou Alur. Qu’est-ce que cela signifie pour les victimes qui sont Lendu ou membres d’autres groupes? «

Les réparations divisent donc l’opinion publique. Alors que certaines victimes insistent sur les réparations individuelles, des membres de la société civile font valoir qu’il est nécessaire d’élargir le cadre étant donné le nombre extrêmement élevé de victimes qui n’étaient pas en mesure de participer officiellement au procès de la CPI contre Lubanga en dépit des énormes dommages tant moraux que physiques qu’ils ont subis. Comme solution à ce problème, ils suggèrent qu’un mode de réparation qui réponde aux besoins collectifs ou qui pourrait être utilisé collectivement (comme un hôpital desservant une communauté victime) pourrait être adopté, à la place de réparations collectives qui sont purement symboliques (comme des excuses ou la construction de monuments ou mémoriaux).

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1 Comment

  1. Nous avions suivi l’aquitement de Ngujolo et maitenant nous demandons à la cour de nous chercher les vraies auteurs de ses masacres de Bogoro car à Bogoro il n’y avait pas eu l’épidemie de cholera pour parler de masacre

    Commentaire par panga — 19 Décembre 2012 @ 02:11