- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

L ‘appel de M. Lubanga peut-t-il atteindre le seuil très élevé nécessaire pour récuser un juge de la CPI ?

La semaine prochaine, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) réunis en plénière se prononceront sur un appel déposé par Thomas Lubanga demandant la récusation du juge Marc Perrin de Brichambaut de la chambre en charge de l’appel du procès de l’ancien chef rebelle congolais relatif à l’appel du montant des réparations pour lesquelles le chef rebelle congolais Thomas Lubanga est tenu responsable.

Les appels antérieurs pour disqualifier des juges de la Cour n’ont pas eu de suite car ils ont été considérés comme n’ayant pas atteint « le seuil élevé » requis pour disqualifier un juge en vertu de l’article 41(2)(a) du Statut de Rome. Hormis l’appel en cours déposé par M. Lubanga, au sujet duquel les juges réunis en plénière débâteront [1] le 17 juin 2019, un appel distinct [2] déposé par les avocats de Bosco Ntaganda est en attente auprès de la Présidence de la Cour, demandant la récusation de la juge Kuniko Ozaki de son procès.

En mars 2012, la Chambre de première instance I a condamné M. Lubanga, l’ancien chef du groupe rebelle, dénommé l’Union des patriotes congolais (UPC), pour les crimes de guerre de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans ainsi que de leur utilisation dans un conflit armé dans le district de l’Ituri. Il purge actuellement une peine de prison de 14 ans. M. Lubanga fait également appel [3] des réparations d’un montant de 10 millions prononcées à son encontre en décembre 2017, qualifiant le montant d’excessif et contestant l’éligibilité de plusieurs victimes autorisées à recevoir des réparations.

M. Lubanga soutient que le juge Brichambaut a montré des signes de partialité lorsqu’il s’est exprimé sur des questions qui faisaient l’objet d’une procédure, notamment le nombre de victimes impliquées dans le processus de réparations, les méthodes utilisées pour identifier les bénéficiaires et de l’incidence que pourrait avoir sur les victimes la libération de M. Lubanga après avoir purgé sa peine.

Deux mois plus tôt, le juge Brichambaut, qui était le juge président de la Chambre de première instance II traitant l’appel de M. Lubanga relatif à ses réparations, a demandé à être récusé de ses fonctions et a été remplacé par le juge Howard Morrison. Il a également déposé une réponse [4] [PDF] à une requête de la défense, dans laquelle il reconnaît avoir fait les déclarations qui lui sont attribuées. Toutefois, il a indiqué que ces déclarations ne traduisaient pas un avis personnel ou ne constituaient pas une divulgation d’information d’aucune sorte mais étaient « une simple description de l’état des lieux dans l’affaire Thomas Lubanga dans la phase des réparations », basées sur des documents rendus publics.

L’appel survient à la suite d’une présentation que le juge a donnée à l’Université de Beijing le 17 mai 2017. La défense a mis en cause le juge Brichambaut pour avoir prétendument donné une opinion personnelle sur un dossier dont il était responsable sans attendre que les documents soient divulgués et que les parties à l’affaire ne déposent leurs observations. L’avocat de la défense Catherine Mabille a déclaré qu’en exprimant ces opinions lors de la procédure, le juge Brichambaut « avait objectivement jeté le doute sur l’impartialité à laquelle il était tenu ».

Dans sa réponse, le juge Brichambaut a déclaré qu’il avait fait une présentation orale à l’université de Beijing sans utiliser de notes écrites et a ajouté que la vidéo de sa présentation « aurait nécessité quelques améliorations et un montage soigneux » avant d’être publiée. Toutefois, les organisateurs de l’évènement ne l’ont pas consulté avant de la publier. Néanmoins, le juge a précisé que ses déclarations se basaient sur des documents publics émanant de différents organes de la Cour et ne reflétaient pas sa conviction personnelle.

Le juge a déclaré que sa déclaration selon laquelle 3 000 victimes pourraient bénéficier de réparations de la part de M. Lubanga « n’était pas catégorique » et ne devait pas être interprétée comme indiquant qu’il avait déjà acquis une conviction sur le sujet.

Le juge Brichambaut a soutenu que la défense n’avait pas démontré une impartialité ou l’existence d’un conflit d’intérêt qui indiquerait son impartialité manifeste ou potentielle. L’article 41(2)(a) prévoit qu’un juge ne peut participer au règlement d’aucune affaire dans laquelle son impartialité pourrait raisonnablement être mise en doute pour un motif quelconque.

À cet égard, le juge Brichambaut a souligné que récuser un juge de la participation à une procédure de la CPI « n’était pas une décision à prendre à la légère » puisque les juges bénéficiaient d’une présomption d’impartialité résultant de la fonction judiciaire.

Les jugements précédents sur des demandes de récusation ont souligné ce point tout en rejetant les demandes. Dans une requête en récusation [5] de la juge Silvia Fernández de Gurmendi, déposée par M. Lubanga en 2015, les juges réunis en plénière ont déclaré [6] qu’il y avait « une forte présomption en faveur de l’impartialité judiciaire qui ne peut être facilement réfutée ». Dans la tentative de récuser le juge Cuno Tarfusser du procès de Jean-Pierre Bemba et de ses complices, les juges réunis en plénière ont fait remarquer qu’il fallait atteindre un seuil très élevé pour réfuter la présomption d’impartialité qui est liée à une fonction judiciaire.

Les juges réunis en plénière ont ajouté [7]que lors de l’évaluation d’une apparence de partialité par les yeux d’un observateur raisonnable que, « à moins d’être infirmée, il est présumé que les juges de la Cour sont des professionnels et que, par conséquent, étant donné leur expérience et leur formation, ils sont capables de se prononcer sur la question au lieu de se reposer uniquement et exclusivement sur les preuves présentées dans une affaire en particulier ».

La demande de M. Lubanga en 2013 pour récuser le juge Sang-Hyun Song de son appel a également échoué. La défense avait déposé une demande après que le juge ait déclaré que le verdict et la peine dans le procès Lubanga « constituaient un précédent décisif dans la lutte contre l’impunité ». Les juges réunis en plénière ont rejeté [8] l’appel de la défense après avoir déterminé que la défense avait sorti les déclarations de leur contexte. Ils ont ajouté qu’un observateur raisonnable, prenant en compte le contenu et le contexte des déclarations du juge, « ne les aurait jamais considérées comme étant des commentaires sur le fond des décisions prononcées en appel ni liées à une quelconque question juridique déterminée en appel ».

L’année dernière, M. Bemba a demandé la récusation de trois juges traitant les procédures en réparations à la suite de sa condamnation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Toutefois, avant que sa demande ne soit présentée aux juges réunis en plénière, la Chambre d’appel a annulé la condamnation de M. Bemba, mettant fin à la procédure de réparations. Les deux juges dont il a demandé la récusation, Geoffrey Henderson et Chang-ho Chung ont nié avoir fait preuve d’impartialité vis-à-vis de M. Bemba et ont refusé [9] de se récuser.