- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Réexamen de la peine de M. Lubanga : les opinions en Ituri

Le commentaire ci-dessous a été écrit par Olivia Bueno d’International Refugee Rights Initiative (IRRI) en concertation avec des activistes congolais. Les vues et opinions exprimées dans ce commentaire ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’IRRI ou d’Open Society Justice Initiative.

Le 21 août 2015, la Cour pénale internationale (CPI) a entendu les arguments [1] pour libérer ou non Thomas Lubanga, la première personne condamnée par la Cour. Selon l’article 110 du Statut de Rome, la CPI examinera la peine de M. Lubanga maintenant que les deux tiers de sa peine ont été purgés. La perspective de la libération de M. Lubanga a suscité des réactions allant du désespoir et de la frustration à la satisfaction, selon la personne interrogée.

Puisqu’il s’agit de la première audience de ce genre devant la CPI, il est difficile de prévoir ce que la Cour pénale internationale décidera . Parmi les principaux enjeux éclairant la décision figureront : le fait de savoir si M. Lubanga a montré un bon comportement, s’il a exprimé des remords ou entrepris des actions en faveur des victimes, ainsi que le probable impact de sa libération sur la communauté. (Pour une analyse plus complète des questions juridiques en jeu, voir « Les juges de la CPI accorderont-ils à M. Lubanga une libération anticipée ? » [2].)

La défense a soutenu que M. Lubanga devrait être libéré en raison de sa bonne conduite, parce que les liens avec sa famille indiquent qu’il se réinsèrera facilement et parce que son retour ne déstabilisera pas la situation en Ituri. La défense a ensuite affirmé que la situation en Ituri était maintenant calme et que toute menace potentielle représentée par M. Lubanga serait amoindrie par son intention de poursuivre ses études à l’Université de Kisangani plutôt que de retourner à Bunia.

Les victimes ont fait valoir [3] que, « aussi longtemps que M. Lubanga conservera son attitude actuelle, sa libération et son retour dans la région pourrait raviver les tensions entre les communautés et même au sein de sa propre communauté ». Un avocat des victimes s’est opposé à la réduction de la peine de M. Lubanga soutenant que vivre à Kisangani était « pratiquement la même chose » que vivre à Bunia et doutait que cela permette de réduire les risques liés à son retour.

L’accusation a de même soutenu que la situation sur le terrain restait sensible et que M. Lubanga pourrait déstabiliser la situation. L’accusation a ensuite affirmé qu’elle avait des preuves du fait que M. Lubanga pourrait être impliqué dans une subornation de témoins.

Il y a un désaccord significatif sur l’ampleur de l’impact qu’aura le retour de M. Lubanga sur la sécurité sur le terrain. Certains redoutent que le retour de M. Lubanga et d’autres estiment que la situation s’est stabilisée et que le retour de M. Lubanga pourrait réellement renforcer la paix.

Parmi ceux qui redoutent le retour de M. Lubanga, il existe une inquiétude que cela enflamme les communautés qui se sont battues contre les Hema et que cela ne rende les victimes, les témoins et les intermédiaires encore plus vulnérables. Selon un activiste, « la proposition de libération de M. Lubanga pour des motifs inconnus risque de nuire à l’ensemble des avancées de la paix en Ituri, créant d’autres sources de tension et des risques de représailles pour les victimes et les intermédiaires ». Un avocat de Bunia a partagé cette crainte, déclarant que « le pays n’est toujours pas stable, il est probable que, après être sorti de prison, il engagera ses anciens combattants dans des activités pour déstabiliser l’Ituri ». D’autres ont exprimé leurs inquiétudes à l’idée que les élections anticipées, prévues au mois de novembre, ne provoquent des tensions qui, selon eux, pourraient être exacerbées par la présence de M. Lubanga.

D’autres encore étaient en désaccord avec cette appréciation et ont soutenu que la situation en Ituri était maintenant calme. Un activiste a déclaré, « le contexte sur le terrain a changé. Personne ne veut voir la guerre revenir. Avant, la guerre a pu se produire car les Ougandais et les Rwandais étaient impliqués, il y avait une révolution en cours et les armes circulaient librement. Actuellement, la situation a changé ainsi que la psychologie des gens ».

En outre, certains soutiennent que le retour de M. Lubanga pourrait réellement permettre de consolider la paix. La Fondation Vérité, Pardon et Réconciliation a demandé à la CPI de « prendre en compte qu’il y a maintenant une dynamique de réconciliation en Ituri dans toutes les communautés; la libération de Thomas Lubanga serait un détonateur qui pourrait renforcer cette dynamique ». D’autres personnes sont plus réservées mais perçoivent néanmoins la possible libération de M. Lubanga comme une opportunité. Justice, Démocratie et Développement a estimé que réunir « autour d’une table de réconciliation Thomas Lubanga, Mathew Ngudjolo, Yves Kahwa et tous les autres combattants qui ont été maintenus en détention prolongée sans procès à Kinshasa constituerait un signal fort pour la population , les jeunes et les victimes pour désarmer les esprits et consolider le pardon mutuel ».

Il est important de rappeler que pour beaucoup de personnes de sa communauté, M. Lubanga est perçu comme un héros et une force essentielle pour avoir sauver les Hema du génocide. Dans ce contexte, certains se félicitent du retour de ce leadership. Un professeur parlant en faveur de M. Lubanga a déclaré que « puisque l’Ituri est devenue une province jouissant d’une autorité administrative, nous aimerions que notre chef revienne pour mener un mandat politique pour le développement de notre entité car de nombreux ituriens croient en lui et en son honnêteté ».

D’autres personnes soutiennent que M. Lubanga a changé pendant le temps qu’il a passé en prison. Un chef religieux local a affirmé que M. Lubanga était devenu un homme nouveau, intelligent et social. On ignore toutefois quels éléments leur permettent d’émettre cette opinion puisqu’il semble y avoir peu d’opportunité pour l’observer directement.

Un argument similaire a été utilisé par la défense, admettant en tant qu’élément de preuve une lettre d’un groupe de pasteurs d’Ituri qui a affirmé que, « Nous avons remarqué que la libération du chef Kahwa a été accueillie avec joie par toutes les communautés ». Le retour de Thomas Lubanga sera, de la même manière, une grande joie et un facteur important pour la réconciliation. Son retour contribuera à une stabilisation politique, économique et sociale.

Interrogés pour connaître leur réaction à la déclaration des pasteurs, les activistes des deux côtés ont répondu avec scepticisme, soulignant le fait que les signataires étaient presque tous Hema. L’un d’entre eux a déclaré, « pourquoi n’ont-ils rien dit au sujet de M. Ngudjolo ? Il est en prison, pourquoi n’ont-ils rien dit ? ». (M. Ngudjolo a été arrêté lors de son retour en RDC, mais les nouvelles actuelles sont moins précises.) Un autre activiste sensible à l’analyse générale a admis qu’il était peu probable que le retour de M. Lubanga cause de la violence et que les pasteurs avaient exagéré l’affaire. « Je suis sûr que les Hema célèbreront le retour de M. Lubanga, il serait stupide de penser que toutes les communautés le feront », a déclaré l’activiste.

Certains sont ouverts à l’idée que M. Lubanga pourrait revenir mais ils estiment qu’il doit être tenu de faire au préalable une sorte de promesse de bonne conduite. Une ONG, Action Citoyenne pour la Justice et les Droits Humains, a soutenu qu’il devrait y avoir « un engagement public écrit devant la Cour et la nation qu’il s’engagera dans la promotion de la paix et de la réconciliation avant qu’il ne bénéficie de la clémence de la Cour ». Une association de femmes a déclaré que M. Lubanga devrait « présenter des excuses publiques à toutes les femmes et à tous les enfants de la RDC et de l’Ituri en particulier avant qu’il ne bénéficie d’une réduction de sa peine ».

Les vices de procédure du procès Lubanga ont également été cités comme étant des facteurs à la fois en faveur et en défaveur d’une réduction de peine. Un habitant local a soutenu que la peine de M. Lubanga devrait être réduite en raison des vices de l’affaire, affirmant que le procureur avait commis une série d’erreurs et qu’une réduction de la peine pourrait être un type de réparation pour cette injustice. Il convient de noter que, toutefois, du point de vue de la Cour, tous les vices de procédure sont traités aux phases préliminaires et ne figurent pas parmi les facteurs pris en compte pour examiner si M. Lubanga doit bénéficier d’une libération anticipée.

Par ailleurs, un représentant des victimes estime qu’il est inacceptable que la peine de M. Lubanga soit réduite avant que la question des réparations pour les victimes ne soit résolue. Selon cet activiste, « les chefs des groupes armés jugés devant la CPI retournent en Ituri après des jugements sadiques qui n’ont pris en considération ni les aspirations ultimes des victimes et non les réparations ».

Certains activistes sur le terrain peuvent être en partie frustrés parce que le caractère régulier de l’examen de la peine n’est pas bien compris (bien que la pratique de réduction des peines pour bonne conduite soit connue dans le contexte congolais) et aussi parce que cet examen se produit très peu de temps après que la décision finale ait été prise dans l’affaire. Étant donnée la longue période passée en détention avant sa condamnation et sa peine relativement courte, l’examen de la peine de M. Lubanga se produit juste huit mois après la décision sur les appels dans cette affaire. Une avocate qui a travaillé avec les victimes a déclaré, « combien de fois ce procès va-t-il être révisé ? ».

Les autres préoccupations portent sur la pertinence de la révision de la peine proposée. Une ONG congolaise, l’Association pour la Promotion des Droits des Enfants Associés aux Forces et Groupes de l’Ituri, a déclaré que « cette libération pourrait envoyer un mauvais signal … cela risque de donner une impression de banalisation et de perte de l’effet dissuasif d’une peine pour les autres criminels ».

Avec des avis sur le terrain si partagés, la position de la Chambre par rapport à cette prise de décision n’est guère enviable. Quelle que soit cette décision, une partie de la population sera mécontente. Si la Cour décide de libérer M. Lubanga plus tôt, il est essentiel que des mesures fortes soient prises pour protéger et rassurer les victimes et les témoins qui se sentiront de ce fait encore plus vulnérables.