- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Les raisons pour lesquelles le procureur de la CPI n’a pas pas poursuivi les intermédiaires pour subornation de témoin

Le Bureau du Procureur (BdP) de la Cour pénale internationale (CPI) n’a pas engagé d’enquêtes ou de poursuites à l’encontre des trois intermédiaires accusés d’avoir préparé ou suborné des témoins lors du procès de Thomas Lubanga.

Le BdP n’a pris également aucune mesure à l’encontre des trois personnes qui ont comploté et qui auraient volé des identités afin de participer en tant que victimes au procès qui se tient devant la Cour de La Haye.

Selon le procureur Fatou Bensouda, enquêter ou entreprendre des poursuites à l’encontre des intermédiaires pourrait « ne pas avoir d’effet sur la condamnation prononcée par la Chambre de première instance à l’encontre de M. Lubanga » car les juges ont basé leur verdict sur les éléments de preuve apportés par des témoins qui n’avaient pas eu de contact avec les intermédiaires.

Me Bensouda a apporté ces explications en réponse à une demande du 3 mars 2014 déposée par les avocats de M. Lubanga, qui ont demandé aux juges d’ordonner au procureur d’indiquer les mesures prises à l’encontre des six personnes et de divulguer tous les éléments de preuve recueillis lors des enquêtes engagées contre elles. La demande a été effectuée en appui de l’appel déposé par M. Lubanga de sa condamnation pour le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats afin qu’ils participent activement à des combats ainsi que de sa peine de 14 ans d’emprisonnement qui ont été prononcées à son encontre. Les crimes présumés ont été commis lors d’un conflit qui s’est déroulé en République démocratique du Congo en 2002 et 2003.

Pendant le procès, la Chambre a entendu que certains intermédiaires avait préparé les témoins de l’accusation. Lorsqu’ils ont témoigné en juin et en novembre 2010, les intermédiaires 321 et 316 ont nié avoir suborné les témoins.

Lors du procès, les témoins de la défense Thonifwa Uroci Dieudonné et Jean-Paul Bedijo Tchonga ont affirmé être d’anciens combattants de l’Union des patriotes congolais (UPC), le groupe qui était dirigé par M. Lubanga. Ils ont témoigné que leurs identités avaient été volées par des personnes qui participaient au procès.

Dans leur décision de mars 2012 condamnant M. Lubanga, les juges de première instance ont conclu que les intermédiaires 143, 316 et 321 avaient pu préparer les témoins afin qu’ils apportent de faux témoignages devant la Cour.

Par ailleurs, les juges de première instance ont conclu « qu’il y avait une possibilité que les victimes a/0229/06 et a/0225/06 (à l’instigation de ou avec les encouragements de la victime a/0270/07) aient volé les identités de Thonifwa Uroci Dieudonné et de Jean-Paul Bedijo Tchonga afin d’obtenir les bénéfices escomptés en tant que victimes participant à cette procédure ».

Les juges de première instance ont également déterminé que, à l’exception de l’un d’entre eux, les 11 anciens enfants soldats qui étaient témoins à charge avaient apporté des témoignages contradictoires que ce soit sur leur âge, leur école, l’identité des membres de leur famille ou les circonstances de leur recrutement. Leurs témoignages ont été rejetés et neuf d’entre eux ont perdu leur statut de victimes participant au procès.

Enfin, la Chambre présidée par le juge Adrian Fulford a communiqué au procureur qu’elle avait conclu que les trois intermédiaires « pouvaient avoir persuadé, encouragé ou assisté les témoins pour qu’ils apportent des faux témoignages ».

Dans leur dernière demande, les avocats de M. Lubanga ont soutenu qu’ils s’étaient vus « empêchés » de poursuivre leurs propres enquêtes sur les suspects puisque ces investigations relèvent exclusivement de la compétence du procureur. De plus, affirment-ils, le résultat des enquêtes sur la conduite des intermédiaires aurait aidé la défense de l’accusé en jetant le doute sur la fiabilité des déclarations faites par les témoins de l’accusation.

Le procureur a répondu que les juges de première instance n’avaient pas ordonné la réalisation des enquêtes sur les trois intermédiaires. Elle a affirmé que, à la suite de la décision de condamnation, un consultant indépendant avait été engagé afin d’examiner, entre autres documents, les éléments de preuve et les transcriptions des témoignages des témoins et a indiqué que de nouvelles enquêtes sur leur conduite étaient nécessaires. L’étendue du travail du consultant indépendant était « limitée aux éléments de preuve déjà recueillis ».

Me Bensouda a déclaré que c’est en se basant sur le rapport du consultant indépendant qu’aucune mesure à l’encontre des intermédiaires n’avait été prise.

Le procureur a également expliqué que la Chambre de première instance n’avait pas ordonné au BdP d’examiner si les actions des victimes constituaient des crimes et que, parce que les avocats de M. Lubanga n’avaient pas ensuite fourni d’informations concernant leur activité criminelle supposée, elles avaient examiné les informations disponibles et décidé de ne pas poursuivre l’examen de cette question.

Elle a indiqué que la demande d’informations de la défense était discutable, étant donné « qu’il n’y avait aucune preuve » à l’encontre des six personnes pour qu’elle procède à une divulgation.

Dans une affaire distincte en cours à l’encontre de Jean-Pierre Bemba devant la CPI, les procureurs ont enquêté et porté des charges de subornation et de préparation de témoins à l’encontre de l’accusé, de deux de ses anciens avocats et de deux assistants.

Les juges d’appel ont décidé que les réponses de l’accusation satisfaisaient à la demande d’informations de la défense en ce sens que le procureur « avait clairement indiqué » à M. Lubanga quelles mesures avaient été prises par rapport aux victimes et aux intermédiaires. « En se basant sur la réponse du procureur, la Chambre d’appel est convaincue qu’il n’y a pas de preuve additionnelle à divulguer à M. Lubanga », ont déclaré les juges dans une décision du 17 juin 2014.