Rapports du proces

21 Juin 2012

Déclaration de M. Lubanga aux juges de la CPI lors de l’audience de détermination de peine

Par Wairagala Wakabi

NOTE DU RÉDACTEUR : Thomas Lubanga, l e chef d’une milice congolaise, a été condamné le 14 mars 2012 par les juges de la Cour pénale internationale (CPI) pour la commission des crimes de guerre d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans dans les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC) ainsi que pour leur utilisation afin de les faire participer activement aux hostilités lors d’ un conflit armé. Les crimes ont été commis dans la région de l’Ituri, en République démocratique du Congo (RDC), en 2002 et 2003. Lors de l’audience de détermination de la peine qui s’est tenue le 13 juin, M. Lubanga s’est adressé à la Cour. Vous trouverez ci-dessous sa déclaration telle que traduite par la CPI :

Merci pour la parole.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, cʹest comme un boulet dans la figure que jʹai reçu votre jugement du 14 mars sur lequel va reposer la sentence.  Jʹen suis profondément bouleversé. Je suis consterné de constater que trois ans de procès nʹont pas suffi à démasquer toutes les exagérations, tous les mensonges, toutes les caricatures. Je suis présenté comme un seigneur de la guerre sʹemparant, sans pitié, des plus jeunes enfants de lʹIturi pour assouvir son appétit de pouvoir.

Je suis condamné pour le recrutement massif des jeunes, aboutissant inexorablement à lʹenrôlement dʹenfants de moins de 15 ans. Des jeunes témoins ont essayé, en vain, de se faire passer pour des enfants soldats, mais la vérité est que pas un seul de ces prétendus innombrables enfants soldats de moins de 15 ans nʹest venu à lʹaudience mʹaccuser de ce crime.   Sur une armée de près de 8 000 hommes, pas un seul cas dʹenfants de moins de 15 ans nʹa été présenté par le Procureur devant votre Chambre. Comment cela est‐il possible ? Certains ont prétendu que les enfants hema refuseraient de témoigner contre moi par solidarité communautaire. Or, ce dossier a démontré quʹil y avait des soldats dʹautres ethnies dans les FPLC.  Alors, pourquoi les enfants alur de Mahagi, les Lugwara ou les Kakwa de Aru ou encore les Nyali et les Bira de Irumu, ou même les Lendu — parce qu’il y en avait dans notre armée —, et dʹautres ethnies, pourquoi est‐ce que le Procureur nʹen a pas retrouvé et ramené devant votre Auguste Chambre?

Est‐ce que cʹest dire quʹil nʹy avait pas… il nʹy avait aucun enfant de moins de 15 ans dans les FPLC ? Est‐ce que cela veut dire… Est‐ce que cela veut dire qu’aucun dʹentre eux ne me considère comme un criminel ? Est‐ce que cela veut dire que leur nombre fut si minime quʹil est aujourdʹhui impossible d’en retrouver la trace ?   De mon côté, lʹincertitude est très grande. Et je mʹattendais à ce quʹelle soit encore plus grande dans lʹesprit des juges, 10 ans après les événements, et si loin de lʹIturi.

Dans le chaos de lʹIturi des années 2002‐2003, nul ne peut affirmer avec certitude quʹaucun enfant de moins de 15 ans ne se retrouvait parmi les militaires, mais ce qui est certain, cʹest que moi, Thomas Lubanga, je me suis toujours opposé à de tels enrôlements. Bien sûr, ce nʹest pas le cas, par exemple, de notre président, Joseph Kabila, qui, chaque année, le 15 mai, organise une fête nationale en hommage à ces kadogo qui ont renversé M. Mobutu.  Moi, Messieurs les… Messieurs les juges, jamais je nʹai accepté ou toléré que de tels enrôlements aient lieu.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, entre les années 1999 et 2003, lʹIturi a été théâtre dʹune tragédie sans nom. Jʹai eu à assister à des massacres horribles. Jʹai vu, à plusieurs occasions, des centaines de corps sauvagement découpés à la machette, des corps brûlés vifs dans les cabanes, des centaines de villages complètement détruits. Jʹai vu des milliers de gens fuir désespérément — et quelquefois, jʹai fui avec eux — dans des conditions où seule ta propre vie compte. Je reste profondément meurtri par cette situation où, malheureusement, aucun responsable politico‐militaire ne sʹest véritablement préoccupé de la sécurité de la population. Seuls lʹargent et le pouvoir étaient leurs préoccupations.

Entre le deuxième semestre 2002 et le premier semestre 2003, des massacres emblématiques ont été enregistrés à Nyankunde, à Komanda, à Kasenyi, à Tchomia, à Bogoro, à Nyamamba, à Musekere, à Katoto, à Mongbwalu ; je pouvais en citer ainsi 300 ; tous, des massacres qui ont fait des milliers de victimes.  Lʹépouvantable cas de Nyankunde, avec des milliers de victimes. Que dire des massacres de Drodro, de Kasenyi, de Tchomia, directement constatés par le Haut commissariat aux droits de lʹhomme, avec lʹexpertise dʹun médecin légiste ?  Et pourquoi les responsables de ces massacres, actuellement au pouvoir, à Kinshasa, ne sont‐ils pas poursuivis devant cette Chambre… devant cette Cour?

Ce sont des massacres similaires qui ont envoyé des milliers de jeunes gens à la formation à Mandro. Ce sont ces jeunes… Ce sont ces jeunes gens qui, alors que jʹétais à Kinshasa, ont chassé Lompondo de lʹIturi et se sont déployés sur tout lʹIturi.  Où est ma responsabilité dans tout cela ? Dire que moi, Thomas Lubanga, jʹaurais envoyé le chef Kahwa au Rwanda chercher des armes, cʹest faux.  Dire que jʹaurais confié mon intérim à Lonema, cʹest encore faux.  Prétendre que jʹentretenais des contacts téléphoniques avec lʹIturi, pendant et après mon séjour carcéral à la Demiap, est encore contraire à la réalité que, moi, jʹai vécue.

Toutes ces allégations mensongères et bien dʹautres proviennent de témoins manifestement décidés à me nuire par tous les moyens et à sʹextraire de la misère noire commune à la majorité des Congolais ? Et je trouve cette malhonnêteté détestable. Jʹai lu aussi, dans votre jugement, quʹun témoin mʹaurait vu dans la rue de Mongbwalu enlevant un enfant pour lʹenrôler dans lʹarmée. Je tiens à affirmer, devant vous, que jamais, jamais, je nʹaurais pu me rabaisser à ce point et commettre un tel acte contraire à toutes mes valeurs.

Monsieur le Président, Madame, Messieurs les juges, je me sens outrageusement malheureux lorsque votre jugement me fixe comme objectif la domination de lʹIturi. Mais posons‐nous la question : à quoi mʹaurait servi un pouvoir sans lendemain sur ce vaste cimetière quʹétait lʹIturi ?  Je sais que des responsables étaient animés par le goût du pouvoir et de lʹargent, mais ils ne portaient pas en eux, comme nous, la douleur des événements vécus dans notre chair.  Jʹai accepté dʹassumer des responsabilités ni pour le pouvoir ni pour lʹargent, je lʹai fait pour la paix.

Cʹest pour cette paix que nous avons créé l’UPC en 2000. Cʹest pour elle que nous avons créé le FRP en 2002. Cʹest pour elle, enfin, que jʹai voulu organiser, avec les secrétaires nationaux et les notables de lʹIturi, un cadre dʹéchanges et de discussions. Et cʹest pour elles que les soldats des FPLC devaient se former et agir. Voilà mon plan commun ; voilà le plan commun sur lequel jʹaurais dû être jugé. Les résultats nʹont toujours… nʹont pas toujours été satisfaisants, mais les efforts que jʹai fournis étaient réels et sincères. Je tiens à le réaffirmer encore en ce dernier jour. Ces efforts étaient réels dans un… au milieu des périls les plus grands.

Monsieur le Président, Madame, Messieurs les juges, de toute ma vie, je nʹai jamais cherché à fuir mes responsabilités. Jʹai toujours assumé les conséquences de mes choix, de mes indignations, de mes révoltes, même si elles doivent me conduire en prison. En 2000, révolté contre les forces ougandaises pour leur irresponsabilité dans la gestion de la sécurité en Ituri, jʹai été emprisonné à Rwampara.  En mai 2002, cʹest à la Demiap, à Kinshasa, que le président Kabila mʹenvoie. En 2005, je retrouve le même cachot politique du régime de Kinshasa. Et en 2006, cʹest ce régime qui m’a livré au Procureur de la Cour pénale internationale et m’a transféré, premier détenu de… première personne détenue de la… de la CPI, à 6 000 kilomètres de mon Ituri natale.

Au regard de ce que jʹai suivi durant six années, ici, et même ce que jʹai pu suivre, encore aujourdʹhui dans cette salle — toujours des mensonges, des choses qui nʹont aucun rapport avec la réalité vécue par la population congolaise de lʹIturi —, jʹaurais bien voulu souhaiter qu’en ce jour, en lieu et place de ces personnes qui nʹont aucune notion de ce qui sʹest passé en Ituri, mais qui sont en train de nous suivre aujourdʹhui, que cette population de lʹIturi qui était concernée par les actes quʹils me reprochent et qui me sont reprochés eût été capable de nous suivre. Et moi, je pense que cette population aurait pu nous… nous juger.  Je regrette que cette population, au nom de laquelle ce procès a été initié ne lʹait pas suivi. Cʹest elle qui mʹa vu agir, cʹest aussi elle qui sait réellement ce que jʹai réalisé.

Je termine en exprimant mon profond respect pour la mémoire de toutes les victimes des atrocités commises en Ituri.  Je souhaite que cette paix que jʹai tant désirée sʹinstalle de manière définitive en Ituri.  Je vous remercie.

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2 commentaires

  1. Mmes et Mrs,c’est avec des larmesv aux yeux que j’ai lu cette declaration,franchement. Arriver à tourner un film monté à Uvira (SUD-KIVU) temoignant contre Thomas Lubanga, c’est mechant,revoltant en tant qu’une personne ayant vécu en ITURI durant cette période, soyons humain… où sont les vrais genocidaires del’ITURI? une seule chose cele ne restera impuni! car il yaura d’autres Thomas Lubanga jusqu’à ce que l’ITURI sera consideré comme une prison, Thomas Lubanga restera le vrai Héros del’Humanité! la teerre et les cieux lui reconnaitront ce titre, Thomas MLubanga et dans notre coeur,dans notre sang et pourquoi pas dans notre chair, car s’il ya des survivants en ITURI c’est grace à lui…. Que Dieu protege LUBANGA

    Commentaire par Mwesigwa — 8 Juillet 2012 @ 15:53

  2. […] n’a pas témoigné pour sa défense. Cependant, à l’audience de détermination de peine, il a fait une déclaration dans laquelle il nie les charges portées à son […]

    Pingback par Le procureur suggère de limiter la déclaration faite par M. Lubanga aux juges d’appel « Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale — 13 Mai 2014 @ 12:16