- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Réquisitoire du Procureur à l’audience de détermination de peine du procès Lubanga

Chers lecteurs,

Vous trouverez ci-dessous le réquisitoire que le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, a prononcé à l’audience de détermination de peine pour Thomas Lubanga, qui a été en mars dernier déclaré coupable de la commission des crimes de guerre d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans dans les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC) et coupable de les avoir utilisés afin qu’ils participent activement aux hostilités dans le cadre d’un conflit armé qui a ravagé la région d’Ituri, en République démocratique du Congo.

L’Accusation requiert une peine très sévère. Thomas Lubanga a été reconnu coupable d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans et coupable de les avoir utilisés au cours des hostilités. En 1998, plus de 1OO états de par le monde ont décidé qu’il s’agissait de l’un des crimes les plus graves qui touchaient l’ensemble de la communauté internationale.

Le jugement admet le fait que « les enfants sont particulièrement vulnérables [et] exigent un traitement particulier par rapport au reste de la population civile ». La condamnation de la Cour pénale internationale doit être l’occasion de confirmer cette protection spéciale et la gravité du crime commis.

En conséquence, l’Accusation demande une peine au nom de chaque enfant recruté, au nom de la communauté d’Ituri, notamment des membres de la communauté Hema directement touchés par les crimes parce qu’ils vivaient dans la peur que leurs enfants leur soient enlevés, mais également au nom des membres de la communauté Lendu et des autres communautés attaquées par la milice de M. Lubanga et au nom des citoyens concernés du monde entier ainsi qu’au nom des 121 États parties qui se sont engagés à mettre un terme à l’impunité de ces crimes et à contribuer à leur prévention.

L’Accusation demande à la Chambre d’infliger à M. Thomas Lubanga une peine de 30 ans de prison. L’Accusation exposera les motifs de cette décision. La gravité des crimes définit la gravité de la peine. Pour des poursuites au niveau national, chaque acte distinct commis exige une peine sévère. La Cour pénale internationale ne doit plus faire preuve d’indulgence. La gravité des crimes de M. Lubanga, des crimes commis pendant près d’un an à l’encontre d’un grand nombre de victimes, requiert une condamnation très sévère.

L’Accusation considère en outre qu’il existe quatre circonstances aggravantes :

1. M. Lubanga est responsable au premier chef des actions de l’UPC [Union des patriotes congolais]. Il était le chef suprême, il a approuvé et supervisé le plan commun. Personne n’était en position de refuser ses ordres dans sa milice. C’est pourquoi Thomas Lubanga est impliqué dans chaque recrutement d’enfant, dans chaque utilisation d’enfants lors des hostilités.

2. Le recrutement par Thomas Lubanga comportait des traitements particulièrement cruels. Les enfants étaient enlevés, leurs familles forcées d’accepter la situation et, au lieu d’obéir à leurs mères, les enfants étaient obligés d’obéir aux commandants. Les enfants étaient entraînés dans la terreur. Ils ont été formés à tuer et à violer. Les enfants ont été lâchés dans des zones de combat avec l’ordre de tuer tout le monde, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou d’enfants. Ils étaient tous des ennemis. Les dommages causés par ces traitements cruels ont perduré même après la démobilisation. Ceux qui ne sont pas morts au combat souffrent d’atteintes physiques ou de traumatismes psychologiques durables.

Outre ces deux circonstances aggravantes, l’Accusation souhaiterait mettre en lumière deux aspects qui ne devraient pas demeurer invisibles. Un aspect fondamental du crime de recrutement d’enfants en tant que soldats est la discrimination fondée sur le sexe et, quatrièmement, le crime de recrutement d’enfants en tant que soldats prive la génération de ces enfants du droit à l’éducation. Je développerais brièvement ces deux aspects :

3. L’utilisation de filles soldats en tant qu’esclaves sexuelles faisait partie intégrante de leur recrutement. Dans les camps d’entraînement, les filles soldats étaient quotidiennement victimes de viols commis par les commandants et les soldats. L’Accusation a choisi de ne pas poursuivre l’accusé pour cet aspect sexospécifique en tant que crime à part entière parce que les violences à caractère sexiste occupent une place essentielle dans le crime de recrutement des filles en tant que soldats. Toutes les filles recrutées ont été violées et maltraitées parce qu’elles étaient des filles.

Comme l’a souligné Mme Radhika Coomaraswamy [Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour les enfants et les conflits armés] dans son mémoire d’amicus curiae déposé devant la Cour, les filles soldats sont trop souvent invisibles. On utilise le mot « épouse » pour rendre ce crime invisible. Une peine exemplaire serait une garantie que les souffrances à caractère sexiste qui ont été subies par ces filles et par d’autres filles ne resteront plus invisibles.

4. Enfin, la protection spéciale dont bénéficient les enfants ne comprend pas uniquement une protection contre les blessures et la violence mais également une protection de leur droit à l’éducation. Les victimes et ceux qui leur sont proches ont systématiquement établi que le déficit d’instruction constituait leur réalité immédiate et une de leurs principales inquiétudes. L’interruption, le retard et / ou la privation d’une éducation pour les enfants soldats ont gravement affecté leurs vies à jamais. Certaines familles n’ont pas envoyés leurs enfants à l’école par peur qu’ils soient recrutés. Les écoles ont été attaquées. Les crimes de M. Thomas Lubanga ont affecté le système éducatif dans son ensemble.

L’Accusation n’a pu trouver aucune circonstance atténuante pour diminuer la peine. Thomas Lubanga a choisi délibérément d’utiliser des enfants dans sa milice. Il savait qu’il enfreignait les règles élémentaires que le monde à mises en place pour protéger les enfants. Il a tenté de tromper et d’apaiser la communauté internationale. Il a prétendu avoir démobilisé les enfants soldats puis s’est rendu au Rwampara pour encourager le recrutement d’enfants.

Lors de l’exposé introductif, j’ai averti la défense que l’Accusation prévoyait de demander une peine sévère, très sévère, proche du maximum. Pour les raisons susmentionnées, l’Accusation demande aujourd’hui une peine de prison de 30 ans.

Mais avant de conclure ma présentation, l’Accusation souhaiterait toutefois offrir à M. Lubanga une dernière chance pour réduire sa peine. Aujourd’hui ou demain, dans cette salle d’audience, M. Lubanga peut présenter des excuses sincères. Un témoin a déclaré aujourd’hui qu’il était un homme de paix. Thomas Lubanga doit démontrer que, s’il est un homme de paix, il peut présenter des excuses sincères aux enfants recrutés, aux familles Hema et aux autres communautés d’Ituri, en particulier à la communauté Lendu.

Il doit démontrer qu’il éprouve un remord authentique. Il doit aider à prévenir la survenue de nouveaux crimes en Ituri. Il doit profiter de son leadership et sa situation d’autorité pour promouvoir la paix, encourager des mesures destinées à unifier et à guérir et améliorer les communautés blessées, à promouvoir la réconciliation ainsi que pour réintégrer les enfants soldats dans leurs communautés, notamment des filles violées.

Pour finir, Thomas Lubanga doit encourager la mise en place de projets éducatifs. Les écoles d’Ituri doivent être reconstruites, les enseignants d’Ituri doivent être en mesure de présenter l’affaire Lubanga qui est jugée devant la Cour pénale internationale comme la pierre angulaire d’un nouvel effort global à établir une paix durable en Ituri.

C’est la dernière chance de M. Lubanga pour qu’il essaye de réparer les préjudices qu’il a causé à l’ensemble des communautés touchées. Si c’est ce qu’il entend faire, s’il souhaite réellement s’engager pour prévenir de nouveaux crimes, l’Accusation est prête à recommander une réduction de peine à 20 ans.