Rapports du proces

18 Juin 2012

Intervention du représentant légal des victimes à l’audience de détermination de peine du procès Lubanga

Par Wairagala Wakabi

Chers lecteurs, 

Vous trouverez ci-dessous l’intervention de Luc Walleyn, le représentant légal des victimes dans le procès de Thomas Lubanga, prononcée lors de l’audience de détermination de peine du 13 juin. En mars dernier, M. Lubanga a été déclaré coupable de la commission des crimes de guerre d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans dans les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC) et coupable de les avoir utilisés afin qu’ils participent activement aux hostilités dans le cadre d’un conflit armé qui a ravagé la région d’Ituri, en République démocratique du Congo.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le Juge,

Merci de me donner la parole. Merci de nous avoir donné la possibilité d’être la voix des victimes dans le débat d’aujourd’hui, la voix que la Défense à encore tenté de faire taire par sa requête du 2 mai, la voix que Monsieur Lubanga n’a jamais voulu entendre, ni au moment des faits, ni pendant le procès, ni maintenant que les faits sont établis.

C’est le bon droit de tout accusé de contester sa responsabilité pénale, mais si une personne condamnée continue à nier les souffrances des victimes, cela fait mal. Dans les observations de la Défense, il y a certes quelques allusions à la « gravité intrinsèque » des faits, ou à la volonté de la défense ne pas « minimiser » certains faits, mais en réalité, le déni de la gravité des faits, voir des faits tout court, constitue la ligne directrice de ces observations. Selon la Défense:

– l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans l’UPC ne s’est pas fait d’une façon généralisée ni à grande échelle

– le nombre de ces enfants était minime, et les témoins de terrain qui disent le contraire se sont laissé influencer par les « apparences trompeuses », et par une « opinion erronée » qui s’est répandue en l’absence de vérification sérieuse

– les recrutements forcés étaient rarissimes, et les jeunes qui sont venus témoigner de tels faits sont des menteurs, des usurpateurs et de faux témoins

– même les organismes de démobilisation eux-mêmes ont essentiellement accueilli de jeunes escrocs

– enfin, les mauvais traitements dans les camps, en ce compris les « punitions sévères » qui parfois ont dégénéré en morts sous la torture, sont à placer dans leur contexte.

Monsieur le Président, honorables juges,

C’est pour contrer une telle version que nos clients ont décidé de participer à cette procédure. Pour que le monde, mais surtout la population de l’Ituri et leur propre parents comprennent enfin que l’engagement des enfants dans ce conflit était d’une gravité extrême.

Bien sûr, on vous l’a dit et répété : tout le monde l’a fait dans ce pays, c’est même une armée de kadogos qui a libéré le Congo de la dictature en 1997. C’est vrai, et pourtant c’est inadmissible. Mais les kadogos démobilisés en ’97 ne se sont pas senti victimes. Pourquoi ce serait différent pour les jeunes vétérans de l’UPC? A cause de l’entrée en vigueur du statut de Rome, censé mettre une fin à ces pratiques ? Pas seulement. C’est aussi parce qu’en Ituri, il ne s’agissait pas seulement d’enfants qui ont pris les armes pour défendre leur familles. Il s’agissait d’enrôlements dans des circonstances bien précises : recrutement forcé, traitements inhumains et dégradants dans les camps, humiliation, faim, violences et esclavages sexuels…. C’est de cela que nos se plaignent, c’est ce qui hante leurs sommeils, autant ou plus que le fait d’avoir été utilisés comme chair à canon.

La Défense soutient que les circonstances aggravantes déjà mentionnées dans votre verdict du 14 mars auraient pu être qualifiés crimes de guerre. Nous partageons entièrement cette position, mais ce n’est évidemment pas parce que la Cour a estimé que ces faits ne pouvaient plus être retenus comme charges spécifiques, qu’il faudrait également les ignorer comme circonstances aggravantes.

Contrairement à certains systèmes légaux nationaux, le statut de Rome n’énumère pas de circonstances aggravantes qui sont des éléments constitutifs d’un crime, ou qui impliquent qu’un fait soit puni avec une peine plus forte. L’article 78-2 ne limite pas les circonstances que la chambre peut prendre en considération à celles déjà reprises dans l’acte d’accusation, contrairement à l’art. 74-2 qui concerne l’établissement de la responsabilité pénale en vertu de l’art. 74-2. La Règle 145-1,b) prévoit au contraire explicitement que la Chambre peut tenir compte de toutes les considérations pertinentes.

Certes, la Défense marque un point en plaidant que les circonstances aggravantes doivent être imputables à la personne condamnée et pas à tiers.

Nous n’avons jamais prétendu que monsieur Lubanga a fouetté ou exécuté des enfants, enfermé des petits garçons dans un puits humide ou violé des jeunes filles. Toutefois, et indépendamment de toute responsabilité que monsieur Lubanga devait assumer comme commandant de ses troupes, il devait savoir qu’en lançant une campagne de recrutement de jeunes des deux sexes dans une milice non professionnelle, dans le contexte de la RDC en guerre civile depuis des années, et sans donner d’instructions précises pour protéger les enfants, le risque que des enfants sans défense soient soumis à des mauvais traitements ou des sévices sexuels était plus que probable.

Monsieur le Président, Madame et Monsieur les Juges,

Prononcer une peine, c’est juger la gravité des faits, avant de prendre en compte la condition de celui qui les a commis.

Pour les victimes, pour l’opinion publique, pour ceux qui commettent aujourd’hui encore des faits similaires, pour le condamné lui-même, la peine donne un signal. Dans un sens, ou dans l’autre.

Il y a eu des procédures internationales, devant les tribunaux ad hoc ou encore récemment devant les chambres spécialisées au Cambodge, où l’accusé admet la gravité des faits, exprime des regrets, et tend la main aux victimes. Malheureusement, cela n’a pas été le cas ici.

Après votre verdict sur la culpabilité, un de nos clients nous a dit « Si Lubanga présentait ses excuses, je pourrais lui pardonner ». Dans nos observations du 14 mai, et même déjà avant cela, nous avons tendu la main à l’accusé et formulé des propositions de nature à contribuer à la réconciliation entre la communauté qui est la sienne et sa propre jeunesse. Nous n’avons enregistré aucune réaction. C’est au nom de cette jeunesse que nous demandons que la peine que vous prononcerez témoigne de ce que la gravité des faits est reconnue par votre Cour.

Je vous remercie.

 

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