- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Lubanga aux juges de la CPI : je ne suis pas un seigneur de la guerre, mais un homme de paix

A son dernier jour de comparution devant le tribunal avant que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ne prononcent sa peine, le criminel de guerre Thomas Lubanga a déclaré aux juges qu’il est artisan de la paix, et ils ne devraient pas le considérer comme un « chef de guerre », au moment de prononcer la peine.

Mercredi, alors que le procureur demandait aux juges de condamner l’accusé à 30 ans de prison, la défense a présenté deux autres témoins, qui ont décrit M. Lubanga comme un pacificateur et un leader qui aimait les enfants et ne méritait pas une peine sévère pour les crimes dont il a été reconnu coupable.

« Je n’aurais jamais pu me rabaisser à un tel niveau pour commettre un acte qui est contraire à toutes les valeurs qui me sont chères », a déclaré l’ancien chef de milice congolais lors de son audience de détermination de la peine.

M. Lubanga a ajouté: « Je me sens profondément attristé quand dans votre jugement, je suis dépeint comme celui qui cherche à dominer l’Ituri [la province]. La question qui devra être posée, c’est : à quoi m’aurait servi le pouvoir dans ce vaste cimetière que constituait l’Ituri à l’époque, l’Ituri, qui n’avait pas d’avenir? J’ai pris mes responsabilités, non pas pour le pouvoir, ni pour l’argent, mais pour la paix. »

Le 14 Mars 2012, M. Lubanga a été reconnu coupable d’avoir commis des crimes de guerre d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans dans la Force Patriotique pour la Libération du Congo (FPLC) et de les avoir fait participer activement à des hostilités dans un conflit armé dans la région de l’Ituri en République Démocratique du Congo. Les crimes ont été commis entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003.

M. Lubanga n’a pas témoigné pour sa propre défense, et mercredi c’était la première fois qu’il s’adressait directement à la cour.

Selon la défense, les échecs de l’Accusation avaient conduit à des retards indus dans le procès, ce qui constituait un violation des droits de l’accusé d’ être jugé équitablement et rapidement. L’avocat de la défense Marc Desalliers demandé aux juges de « prendre en considération la violation des droits fondamentaux de M. Lubanga en déterminant  la peine. »

Notant que M. Lubanga avait déjà passé six ans en détention au moment où il a été reconnu coupable, la défense a évoqué deux incidents où les juges ont suspendu l’instance et ordonné la libération de l’accusé. Ces deux suspensions d’instance ont, selon la défense, ont été causées par l’échec du Bureau du Procureur (BdP) à honorer ses obligations et ont au total duré huit mois.

La défense a également rappelé que les juges dans leur décision avait rejeté le témoignage de tous les neuf témoins à charge qui ont témoigné en tant qu’anciens enfants soldats dans les FPLC et son aile politique – l’Union des patriotes congolais (UPC), les groupes dirigés par l’accusé. En outre, il n’était pas approprié d’utiliser l’apparence physique pour dire l’âge des enfants qui ont servi dans ces groupes, comme l’avaient fait les témoins à charge, a fait valoir l’avocat principal de la défense Me Catherine Mabille.

Selon Mme Mabille, alors que les juges considéraient la peine à laquelle allait être condamné le premier homme à être reconnu coupable par la CPI, il était nécessaire de se demander si le nombre d’enfants de moins de 15 ans qui ont servi dans les FPLC était connu. « Que savons-nous du nombre d’enfants qui ont été enrôlés de force ou le numbre de ceux d’entre eux qui ont effectivement pris part aux hostilités? » a-t-elle demandé, et d’ajouter qu’on ne savait pas précisément combien ils étaient, bien que les juges aient dû considérer cela comme faisant partie de la « l’étendue du crime » en condamnant M. Lubanga.

Dans ses observations, le procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo a demandé aux juges de condamner l’accusé à une peine de prison de 30 ans. Toutefois, si M. Lubanga s’excusait et plaidait pour la paix, la réconciliation et la réintégration des anciens combattants en Ituri, alors l’Accusation allait recommander une peine de 20 ans.

Selon le procureur, « Lubanga porte la plus grande responsabilité pour les actions de l’UPC. C’était lui le chef suprême, il a approuvé et supervisé le plan commun. Personne dans sa milice ne [pouvait] refuser d’exécuter ses ordres. Pour cette raison, Thomas Lubanga a été impliqué dans chaque recrutement d’enfants, dans chaque utilisation d’enfants dans les hostilités. »

Avant le début des observations concernant la peine, la défense a appelé deux témoins: Sifa Magayi Alite, ancien fonctionnaire du protocole au bureau du président de l’UPC, et Augustin Bongo Malobi, ancien garde du corps de M. Lubanga. Les deux ont témoigné par lien vidéo en provenance du Congo et sans l’utilisation de mesures de protection.

Mme Alite, a déclaré que M. Lubanga était un pacifiste qui a réunifié différents groupes ethniques afin de mettre fin au conflit en Ituri. Tout en niant qu’il y ait eu parmi les enfants soldats des gardes du corps de l’accusé, elle a ajouté qu’il y avait neuf enfants qui vivaient dans sa maison, mais qu’aucun d’entre eux n’a pris part à des activités militaires. Elle a indiqué que ces enfants ont été amenés à la résidence du leader de l’UPC par l’un de ses commandants après la mort ou la disparition de leurs parents. Elle a estimé que les enfants étaient âgés de cinq à 12 ans.

En outre, Mme Alite a déclaré qu’une femme appartenant au groupe ethnique Lendu, qui selon les procureurs était ciblé par l’UPC – dominée par le groupe Hema -, a séjourné à la résidence de M. Lubanga sur les instructions de l’accusé. Cette femme avait été arrêtée par les combattants UPC avec quelques hommes Lendu. Lorsque M. Lubanga ont interrogé les prisonniers, il a trouvé que tous étaient innocents. Tandis que les hommes ont été libérés et sont partis, la dame a demandé de rester au complexe résidentiel du président de l’UPC, et elle a été autorisée à rester jusqu’à l’expulsion du groupe de M. Lubanga de la ville par un groupe opposé.

M. Lubanga a dit qu’il a été choqué quand les juges ont prononcé le verdict de culpabilité contre lui. Il a déclaré être « attristé, confus de noter qu’après trois ans de procès, nous n’avons pas été en mesure de démasquer les exagérations, les mensonges, et les mascarades. »

Si vraiment il avait  été un chef de guerre et avait utilisé des enfants dans l’UPC, se demande-t-il, comment se fait-il qu’aucun des 8.000 membres de l’UPC qui avaient servi comme enfants soldats ne soit venu témoigner?

L’avocat de la défense Jean-Marie Biju-Duval a demandé aux juges de se rappeler les circonstances très difficiles dans lesquelles M. Lubanga est devenu le chef de l’UPC. Selon lui, à l’époque, la communauté de M. Lubanga a été menacée d’extermination et les forces armées organisées par les Hema étaient d’assurer la défense du groupe pour assurer son existence même.

« Des crimes ont été commis en présence de l’ONU. C’était  le Srebrenica congolais – comme 10 Srebrenica », a-t-il dit, se référant au village de Bosnie, où quelque 8000 personnes ont été massacrées en juillet 1995. « Hommes, femmes et enfants ont été massacrés sans que l’ONU n’intervienne, et c’est dans ce contexte que le FPLC a été formé. »

M. Biju-Duval a déclaré que condamner M. Lubanga à une peine sévère comme le réclamait le procureur ne servirait pas à mettre fin à l’impunité. Et, a-t-il ajouté, c’est parce que M. Moreno-Ocampo avait « garanti l’immunité » aux grands acteurs du conflit de l’Ituri qui auraient dû être poursuivis à la place de M. Lubanga. Selon lui, il s’agit des présidents du Congo (Joseph Kabila), du Rwanda (Paul Kagame), et de l’Ouganda (Yoweri Museveni).

« Parmi les dirigeants impliqués dans l’Ituri, c’est le moins coupable de tous », a conclu M. Biju-Duval.

Le juge président Adrian Fulford a indiqué que la sentence sera prononcée lors d’une audience distincte en temps utile.