- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

La CPI condamne Thomas Lubanga Dyilo pour crimes de guerre – Réactions des partenaires en RDC

Chers lecteurs,

Le commentaire suivant a été tout d’abord publié dans un numéro spécial de Panorama légal de la CPI, un bulletin juridique produit par Women’s Initiatives for Gender Justice [1], une organisation internationale pour les droits des femmes qui promeut la justice en matière de genre auprès de la Cour pénale internationale (CPI) et qui travaille avec les femmes les plus touchées par les situations de conflit faisant l’objet d’enquêtes par la CPI. Les vues et opinions exprimées dans ce commentaire ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’Open Society Justice Initiative. Pour lire la version intégrale du bulletin de Women’s Voices, veuillez cliquer ici [2].

Le 14 mars 2012, la Chambre de première instance a rendu le tout premier jugement de première instance de la Cour pénale internationale (CPI), dans l’affaire contre Thomas Lubanga Dyilo (Lubanga), président de l’Union des patriotes Congolais (UPC). C’est la première fois qu’une Chambre de première instance de la CPI rend un jugement sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. La Chambre de première instance a condamné M. Lubanga pour les crimes de guerre de conscription, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans en vue de les faire participer activement aux hostilités entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003 dans la région de l’Ituri, un district de la Province Orientale, dans l’est de la RDC.

Malgré les témoignages sur les viols et les autres formes de violence sexuelle commis par les troupes de M. Lubanga, aucune charge pour les crimes à caractère sexiste n’a été retenue par le Procureur de la CPI. En conséquence, la Chambre de première instance n’a pu formuler aucune constatation de fait sur les crimes sexuels et à caractère sexiste. Les preuves de violence sexuelle, toutefois, ont figuré en bonne place dans la plaidoirie de l’accusation, dans les exposés introductif et final de l’accusation et dans les témoignages d’au moins 15 témoins de l’accusation. Les représentants légaux des victimes, en particulier ceux représentant les anciennes filles soldats, ont également fait référence à ces crimes.

Nos partenaires en RDC ont fait part de leurs réactions à ce jugement historique. En général, ils considèrent que la condamnation de M. Lubanga représente une étape importante dans la lutte contre l’impunité en RDC, mais ils regrettent cependant que M. Lubanga ne soit pas poursuivi pour des actes de violence sexuelle et que, par conséquent, ces crimes ne puissent pas être totalement intégrés dans la décision des juges.

« Ce jugement est un signal fort pour tous ceux qui ont commis de graves atteintes aux droits de l’homme », a indiqué la Ligue pour la solidarité Congolaise (LSC), une organisation basée au Nord-Kivu qui travaille avec plus de 1 500 victimes et qui est un des partenaires clés de Women’s Initiatives dans le pays. La LSD a ajouté, « Malgré tout, l’aspect le plus surprenant de cette décision est l’absence de charges pour violence sexuelle et à caractère sexiste dans une affaire impliquant le dirigeant d’une milice connue pour perpétrer des actes de viols, d’esclavage sexuel et d’autres formes de violence sexuelle. De nombreux défenseurs des droits des femmes et des victimes ont été très choqués de constater que le document de notification des charges du Procureur n’ait pas fait mention des femmes et des filles qui ont été violées par les miliciens ni de celles qui ont été forcées de rejoindre le groupe armé de l’UPC, dont certaines ont eu un enfant à la suite d’un viol. Selon la LSC, le manque de charges pour crimes sexuels et à caractère sexiste « est une minimisation par le Procureur et la CPI des crimes commis à l’encontre des femmes et néglige les souffrances de milliers de victimes de conflits armés et de victimes de violence à caractère sexiste ».

Porte-parole de Women’s Initiatives dans la province Orientale et coordinatrice du Centre d’éducation et de recherche pour les droits des femmes, Claudine Bela a déclaré que « cette décision avait été bien accueillie par nos partenaires travaillant en Ituri ». Elle a cependant indiqué que la population était partagée entre « ceux qui pensent qu’il [Lubanga] est victime de fausses allégations et demeure un prisonnier politique » et ceux qui pensent que « la justice internationale a fait correctement son travail malgré certaines lacunes, telles que le refus du Procureur de poursuivre l’accusé pour violence sexuelle ».

Mme Bela a ajouté que « bien qu’il soit vrai qu’il [Lubanga] ait recruté des enfants de moins de 15 ans et les ait forcé à participer directement aux combats, ces enfants avaient subi de nombreuses autres atrocités, telles que la violence sexuelle. Nous espérons que, lors de la procédure en réparations, la Cour prendra cet aspect en considération. Á cet égard, il reste beaucoup à faire concernant le type de réparations que souhaitent les victimes (individuelles ou collectives) et la manière de les mettre en œuvre ».

Faisant référence au second procès relatif à la situation de la RDC, qui en est actuellement à sa phase finale et qui inclut des charges de viol et d’esclavage sexuel, Mme Bela a déclaré : « Nous réaffirmons notre souhait de voir l’affaire le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui traiter explicitement et sérieusement la question de la violence sexuelle ».

En ce qui concerne les réparations, la LSC a souligné que « les examens médicaux et psychologiques ne sont pas suffisants pour définir tous les préjudices subis par les victimes ». Les aspects sociaux et économiques des attaques subies doivent également être pris en compte. « De nombreuses femmes et filles violées par les soldats de l’UPC ont été diagnostiquées séropositives, elles ont souffert de nombreuses blessures internes et externes ; certaines jeunes femmes ont eu des grossesses non désirées et d’autres ont été rejetées par leur famille et leur communauté lors de leur retour car elles avaient été avec l’UPC, un groupe reconnu comme une source de violence par des milliers de personnes ».

Dans son jugement, la Chambre de première instance a laissé ouverte la possibilité de considérer la violence sexuelle lors de la détermination de la peine et des réparations. Au moment de la rédaction de cet article, une date d’audience pour la détermination de la peine et des réparations n’a pas encore été fixée.

Lire le communiqué de presse [3] de Women’s Initiatives for Gender Justice sur la condamnation de Thomas Lubanga Dyilo.

Lire le calendrier [4] de l’affaire contre Thomas Lubanga Dyilo.

Lire un article [5] de la directrice exécutive de Women’s Initiatives sur la CPI, les enfants soldats et la justice pour les femmes.

Lire le premier Numéro spécial [2] du bulletin Panorama légal de la CPI sur le jugement de Lubanga.