Rapports du proces

23 Mai 2012

Le procureur souhaite que les crimes sexuels soient pris en compte dans la condamnation de M. Lubanga

Par Wairagala Wakabi

Les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) ont déclaré que les crimes sexuels, qui étaient « régulièrement » commis par les soldats commandés par Thomas Lubanga, devraient être un des facteurs que les juges devraient prendre en compte pour prononcer une « peine unique très sévère ». Le fait que M. Lubanga était une personne instruite qui avait le pouvoir d’arrêter l’utilisation d’enfants soldats mais qui avait plutôt encouragé leur participation à un conflit armé devrait figurer parmi les circonstances aggravantes, d’après la demande de condamnation que le procureur Luis Moreno-Ocampo a déposée le 14 mai 2012.

M. Lubanga est la première personne à être reconnue coupable par la CPI depuis que sa création en 2002. Le 14 mars dernier, les juges l’ont déclaré coupable des trois crimes de guerre de conscription, recrutement et utilisation d’enfants soldats lors d’un conflit armé qui a ravagé la région d’Ituri en République démocratique du Congo (RDC). Les audiences de détermination de peine auront lieues le 13 juin.

« Thomas Lubanga exerçait un contrôle suprême sur l’UPC / les FPLC. Il a eu pleinement l’occasion pendant une année entière d’arrêter la commission des crimes mais il ne l’a pas fait », a souligné le procureur, faisant référence à l’Union des patriotes congolais (UPC) et aux Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). « Au contraire, il visitait les camps d’entraînement en prononçant des discours et n’a tenté de prendre des mesures de démobilisation, qui n’étaient pas vraiment performantes, que lorsqu’il a subit des pressions. Ses actes criminels prémédités, entrepris avec une brutalité et une malveillance extrêmes, tout en ayant la pleine connaissance de la vulnérabilité de ceux qui en étaient victimes, méritent une peine unique sévère ».

Le procureur a soutenu que la gravité des trois crimes pour lesquels il était poursuivi et l’absence de circonstances atténuantes « justifiaient l’imposition de trois lourdes peines distinctes et d’une peine unique particulièrement sévère ».

M. Moreno-Ocampo a également affirmé que les preuves de violence sexuelles et de viols devaient être prises en compte en tant que circonstances aggravantes dans la détermination de la peine. Il a déclaré que même si M. Lubanga n’était pas reconnu coupable de ces actes, il n’y aurait aucun préjudice à les intégrer pour prononcer une condamnation. « La Chambre autorise l’introduction de cette preuve. La défense a été suffisamment avertie du fait que ces actions étaient survenues dans le contexte de la conscription, de l’enrôlement et de l’utilisation d’enfants par l’UPC et les FPLC. En réalité, elle a contre-interrogé les témoins par rapport à cette preuve », a soutenu l’accusation.

De plus, le procureur a affirmé que la preuve susmentionnée de violences sexuelles et de viols indiquait que les préjudices subis étaient sexistes et devaient être considérés comme circonstances aggravantes. Il a ajouté, « Les témoignages révèlent que la violence sexuelle était régulièrement infligée aux filles soldats, le viol et les abus sexuels faisant partie intégrante de leur expérience effroyable auprès de l’UPC et des FPLC. Les recrues féminines étaient violées par les formateurs et les commandants, quel que soit leur âge. Il s’agissait d’une pratique courante pour les officiers de haut rang de l’UPC et des FPLC que d’utiliser les jeunes filles comme aides domestiques dans leurs résidences privées ».

À la suite d’un appel déposé par les victimes, les juges du procès ont décidé le 14 juillet 2009 qu’il était possible d’ajouter de nouvelles charges à celles auxquelles M. Lubanga devait répondre. Le 8 décembre 2009, les juges d’appel ont cependant décidé que les charges d’esclavage sexuel et de traitement inhumain et cruel ne pouvaient être ajoutées dans l’affaire Lubanga.

Dans leur décision, les juges Adrian Fulford (juge président), Elizabeth Odio Benito et René Blattmann ont déclaré que les témoignages démontraient que les filles, principalement, avaient été utilisées par des commandants de l’UPC et des FPLC pour effectuer des travaux domestiques et que des filles soldats avaient subi des violences sexuelles et des viols. Les juges ont indiqué que les témoins avaient spécifiquement déclaré que des filles de moins de 15 ans avaient été soumises à des violences sexuelles perpétrées par des commandants de l’UPC et des FPLC. Ils ont toutefois ajouté que les violences sexuelles ne faisaient pas partie des charges retenues contre l’accusé et que la Chambre n’avait formulé aucune constatation de fait sur la question, particulièrement quant au fait de savoir si la responsabilité devait en être attribuée à l’accusé.

L’article 77 du Statut de Rome stipule les peines applicables aux personnes condamnées par la CPI. Elles comprennent une peine d’emprisonnement de 30 ans au plus et une peine d’emprisonnement à perpétuité si « l’extrême gravité » du crime et la « situation personnelle du condamné » le justifient. En plus de la peine d’emprisonnement, la Cour peut ordonner une amende ou « des mesures de confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement de ce crime ».

L’article 78 stipule que la Cour doit prendre en compte, dans la fixation de la peine, des considérations telles que la gravité du crime et la situation personnelle de l’accusé. Cet article ajoute que lorsqu’une personne est reconnue coupable de plusieurs crimes, les juges prononcent une peine pour chaque crime et une peine unique indiquant la durée totale d’emprisonnement.

Lors de la détermination de la peine appropriée, la règle 145 du Règlement de procédure et de preuve stipule que la Cour doit prendre en compte et examiner de nombreuses autres circonstances, notamment la culpabilité et le degré de participation de l’accusé, les circonstances relatives à la personne et aux crimes, les préjudices causés aux victimes et à leurs familles ainsi que l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes.

Bien que M. Moreno-Ocampo n‘ait pas mentionné le nombre d’années pendant lesquelles les procureurs souhaiteraient que M. Lubanga soit emprisonné, il a fait référence à des affaires similaires dans le cadre desquelles les accusés ont été condamnés à des peines d’emprisonnement de longue durée. Il a cité l’exemple des condamnations d’Issa Hassan Sesay, de Morris Kallon et d’Augustine Gbao par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone qui a pris en compte les circonstances aggravantes suivantes pour les crimes relatifs aux enfants soldats : l’étendue et la brutalité des crimes, la vulnérabilité des victimes, le nombre des victimes ainsi que l’impact et le degré de souffrance. Le procureur a fait remarquer que, pour ces crimes, Sesay et Kallon avaient été condamnés respectivement à 50 ans et à 35 ans d’emprisonnement. Il a également signalé que dans l’affaire Le Procureur c. Charles Ghamkay Taylor, l’accusation avait requis 75 ans pour des crimes relatifs aux enfants soldats.

Les procureurs ont également souligné que M. Lubanga était « instruit, possédait un diplôme en psychologie qui lui permettait de comprendre la gravité que constituait pour des enfants la privation du soutien de leurs familles et de leur éducation. Il était le chef de la communauté. Ces circonstances, associées à l’autorité suprême qu’il exerçait sur l’UPC et les FPLC ne font qu’aggraver ses actes criminels ».

La défense a jusqu’au 28 mai 2012 pour soumettre ses observations sur la peine. Lors de l’audience publique consacrée à la peine, l’accusation présentera ses observations orales et sera suivie par les représentants légaux des victimes participantes puis par la défense.

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