Commentaire Rapports du proces

30 Mars 2012

Reddition des comptes pour crimes contre les enfants en période de conflit armé : le verdict de Lubanga et après

Par Julia Freedson

Chers lecteurs – veuillez trouver ci-dessous un commentaire de Julia Freedson, Conseillère principale en politiques au Projet Reddition des comptes en cas de présence d’enfants en période de conflits armés à Conflict Dynamics International. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’Open Society Justice Initiative.

Les mécanismes internationaux et nationaux ont des antécédents peu convaincants pour ce qui est de la reddition de comptes par les auteurs de crimes graves contre les enfants en période de conflits armés. Ce mois-ci la Cour pénale internationale (CPI) a fait des progrès concrets dans la lutte contre l’impunité pour ces crimes avec son verdict reconnaissant Thomas Lubanga, fondateur de l’Union des Patriotes Congolais (UPC), coupable de conscription et d’enrôlement d’enfants comme soldats dans le district de l’Ituri à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) en 2002 et 2003.

Ce verdict montre que la Cour peut tenir des individus pour pénalement responsables en cas de recrutement et d’utilisation d’enfants et va le faire. Le jugement établit une forte jurisprudence relative à ce crime et concentre à juste titre l’attention du monde sur les auteurs. Il renforce également d’une manière considérable les efforts de l’ONU en vue d’inciter les forces et groupes armés à modifier leurs politiques et mettre fin à leur pratique de recrutement et d’utilisation d’enfants. Le verdict « atteindra les seigneurs de la guerre et les commandants à travers le monde et sera un puissant moyen de dissuasion », selon le Représentant spécial de l’ONU pour les enfants en période de conflit armé Radhika Coomaraswamy.

La condamnation et les phases des réparations critiques demeurent en suspens. Si elles produisent de bons résultats, l’affaire aura un potentiel encore plus grand pour un héritage de grande envergure et à long terme pour les enfants et les communautés de la RDC ainsi que les autres personnes touchées par des conflits armés à travers le monde.

Voila des raisons d’être optimiste et de raffermir le soutien pour le travail de la CPI. Pourtant, la CPI n’est pas et ne devrait pas être le seul vecteur de l’obligation de reddition des comptes et le seul moyen de mettre  fin à l’impunité pour les crimes graves commis sur les enfants en période de conflit armé. La CPI est coûteuse et lente par nature. Il a fallu près de huit ans à la Cour pour arriver à ce verdict et les phases de condamnation et de réparation sont en cours. De par sa conception le tribunal ne ciblera jamais que quelques individus bien sélectionnés. Il n’atteindra même pas le grand nombre de personnes accusées dans des dizaines de forces et groupes armés déjà identifiés par l’ONU dans plus de 14 pays à travers le monde.

Il est essentiel que les mécanismes nationaux et internationaux de reddition de comptes jouent un rôle important et efficace. Les gouvernements nationaux portent la principale obligation en matière de poursuites pénales contre ceux qui sont responsables de ces crimes. Les systèmes judiciaires nationaux et d’autres mécanismes nationaux de reddition de comptes présentent les potentialités pour atteindre un plus grand nombre de personnes accusées. Ils ont aussi des potentialités pour exercer un impact plus général, car ils sont plus proches des populations touchées. Il est nécessaire d’investir dans la construction ou la restauration de la capacité de ces systèmes dans les États en plein conflit ou qui sortent d’un conflit. Avec un tel soutien, ces systèmes peuvent être plus à même de surmonter les défis dans la poursuite de ces crimes, tels que le manque de volonté politique ou le manque de capacité en raison de ressources limitées ou le fait d’être dans un état de désordre.

L’amélioration de l’expérience accumulée nécessitera également le renforcement similaire des autres mécanismes répressifs ou non répressifs de reddition de comptes. Voici quelques exemples :

  • Le système complexe des Nations Unies en matière d’enfants en période de conflit armé, avec une « liste d’infamie », un mécanisme mondial de surveillance et d’enquête ainsi que la capacité de menacer et, finalement, d’imposer des sanctions.
  • Les tribunaux ad hoc, les tribunaux spéciaux, des courts à chambres mixtes. Ceux-ci sont généralement mis en place pour prendre des mesures répressives dans le contexte d’une situation spécifique de conflits armés et incluent souvent un volet international.
  • Les autres juridictions. C’est le cas de tribunaux autres que la CPI ou les tribunaux nationaux qui fonctionnent dans la juridiction où les crimes présumés ont été commis qui se chargent des crimes internationaux graves. Par exemple, la compétence universelle peut être utilisée par des États tiers pour traiter des crimes si graves qu’ils ont un impact sur les intérêts de la communauté internationale toute entière.
  • Les processus de recherche de la vérité et de réconciliation. Ces processus non-répressifs peuvent prendre des formes différentes, mais les mandats incluent généralement des dispositions aux fins d’enquête, de collecte de données et de documentation des violations des droits de l’homme.
  • Réparations. Il s’agit généralement de chercher à reconnaître la souffrance des victimes et il y a généralement une certaine forme d’acceptation formelle des faits ou des excuses ainsi que l’indemnisation des victimes pour les pertes subies.

Comme la CPI, chacun de ces mécanismes a le potentiel pour jouer un rôle important et unique pour assurer une reddition de comptes plus efficace. Toutefois, à ce jour la plupart de ces mécanismes ont fait des progrès limités en matière d’abus commis sur des enfants en période de conflit armé. Il est à remarquer que, soit ils n’ont pas été utilisés pour répondre spécifiquement à des violations contre les enfants, soit leurs efforts en faveur des enfants ont été viciés. En conséquence, la plupart ne sont pas parvenus à des résultats concrets et à un changement de comportement.

La solution pour combler ce gap en matière de reddition de comptes c’est le renforcement des capacités de ces mécanismes nationaux et internationaux afin qu’ils soient en mesure de concrétiser leurs avantages comparatifs. La poursuite des efforts de la CPI dans ce domaine est essentielle, et il en est de même pour une amélioration du travail futur de ces mécanismes.

À des degrés divers cette situation exigera des formes politiques, financières, techniques et autres formes de soutien ainsi que l’action dans quelques autres domaines fondamentaux:

  • Augmentation de l’attention nationale et internationale prioritaire à la reddition de comptes pour les crimes graves contre les enfants;
  • Renforcer les incitations pour mettre fin à des crimes contre les enfants;
  • Atténuer les contraintes politiques sur les mécanismes de reddition de comptes;
  • Accroître la coordination et la planification des efforts à l’intérieur des mécanismes de reddition de comptes et entre ces derniers;
  • Développer de meilleures approches pour faire participer les enfants et leurs communautés, et
  • Fournir une assistance technique de haute qualité et d’autres formes de soutien.

Enfin, la réalisation de la reddition de comptes dans un contexte particulier dépend généralement des efforts combinés de plusieurs mécanismes. En conséquence, il sera avantageux d’encourager l’action complémentaire entre ces différents mécanismes, comme par exemple la collaboration et la mise en place de partenariats lorsque c’est possible. Bien que cette activité complémentaire ne soit pas sans défis, le potentiel pour accroître la reddition de comptes est important et les mécanismes internationaux et nationaux devraient en faire une priorité.

Lorsque ces importants mécanismes de reddition de comptes et d’autres mécanismes de reddition de comptes aboutiront à des résultats tout aussi solides que les récents succès de la CPI dans l’affaire Lubanga, ils obtiendront le résultat final souhaité pour les enfants. Cela signifie l’assignation de responsabilités aux auteurs ; l’imposition de conséquences légitimes ; la réconciliation et des réparations pour les communautés et les individus traumatisées, et la prévention de futures violations. Il est probable que le verdict Lubanga va insuffler une nouvelle vie dans le travail de ces autres mécanismes. C’est le temps de bâtir sur la fondation que constitue l’avancement révolutionnaire en vue de la reddition de comptes.

Pour plus d’informations sur les enfants, les conflits armés et la reddition de comptes, voir:
« Combler le fossé en matière de reddition de comptes : Nouvelles approches dans le combat contre les abus commis sur les enfants en période de conflit armé » http://cdint.org/documents/CDI-Bridging-the-Accountability-Gap.pdf

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