- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

La Chambre de première instance ordonne le retour des demandeurs d’asile à la RDC

En mai 2011, quatre témoins de la Cour pénale internationale (CPI) ont introduit une demande d’asile aux Pays-Bas. Les témoins avaient été transférés à La Haye d’une prison de la République démocratique du Congo (RDC), où ils avaient été emprisonnés pendant plus de cinq ans pour leur rôle présumé dans l’assassinat de Casques bleus de l’ONU.

Ils ont été amenés ici en vue de témoigner pour les accusés du procès de Thomas Lubanga, ainsi que ceux du procès Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui. Les témoins étaient censés être retournés à la RDC après leur témoignage. Cependant, ils ont affirmé que s’ils retournaient en RDC, ils feraient l’objet de mauvais traitements et d’atteintes aux droits humains et éventuellement risquaient la mort, à cause de leur témoignage.

Trois d’entre eux, Floribert Njabu, Pierre Célestin Mbodina Iribi, et Sharif Manda Ndadza Dz’Na, ont témoigné devant la Chambre de première instance II au procès de Katanga-Ngudjolo. Leurs demandes d’asile ont été abondamment discutées sur www.katangatrial.org: Trois témoins de la défense affirment que la RDC est responsable de l’attaque de Bogoro, puis demandent l’asile aux Pays-Bas [1]* ; Trois témoins de la défense affirment que la RDC est responsable de l’attaque de Bogoro, 2ème partie [2] ; La  Chambre de première instance ordonne des mesures de protection, et décident que les témoins pourraient être renvoyés en RDC en cas de rejet de leur demande d’asile [3]*, et les juges décident que les témoins détenus pourraient être retourné à la RDC en toute sécurité [4]. Un des témoins, Djokaba Lambi Longba, a témoigné devant la Chambre de première instance I au procès Lubanga. Son témoignage a été décrit précédemment sur ​​la www.lubangatrial.org ici [5].

Cette question est nouvelle et révolutionnaire à la CPI. Elle soulève la question de la coopération entre trois acteurs internationaux: la CPI; son État hôte, les Pays-Bas et la RDC, où le Bureau du Procureur de la CPI a des enquêtes en cours. Elle aborde également les questions des droits de l’homme, du droit d’asile international, des relations entre les autorités internes du gouvernement néerlandais, le droit interne néerlandais, et d’importantes considérations politiques. La façon dont ces témoins sont traités, à la fois par les Chambres de première instance de la CPI et par les autorités néerlandaises fera jurisprudence pour l’avenir.

Par ailleurs, pour rendre les choses encore plus compliquées, on ne sait pas si les Chambres de première instance de la CPI vont adopter une approche unifiée. Les deux Chambres de première instance, qui ne sont pas obligées de suivre les décisions l’une de l’autre, ont adopté des approches différentes à ce problème unique. La Chambre d’appel n’est pas intervenue lorsque les Pays-Bas lui ont demandé des instructions sur la façon d’interjeter appel d’une décision de la Chambre préliminaire II. L’approche de la Chambre de première instance II a été décrite par ailleurs (voir ci-dessus, des articles sur http://fr.katangatrial.org/ [6]). Le présent article couvre les évolutions de l’affaire devant la Chambre de première instance I dans l’affaire Lubanga.

La Chambre de première instance I ordonne le retour de Longba à la RDC

En octobre, la Chambre de première instance au procès Lubanga a ordonné [7]au greffier de renvoyer Longba à la RDC, bien que sa demande d’asile aux Pays-Bas ait été en instance. Auparavant, la Chambre avait temporairement reporté le retour du témoin. La Chambre a jugé que selon l’article 21 du Statut de Rome, elle avait l’obligation de s’assurer que le témoin avait la possibilité réelle (par opposition à théorique) d’introduire une demande d’asile et de permettre aux autorités néerlandaises d’examiner la demande d’asile avant que le témoin ne soit retourné à la RDC. La Chambre de première instance a jugé que si selon les autorités néerlandaises la demande d’asile du témoin justifiait que soit différé son retour à la RDC, la Cour allait donner la garde de Longba aux Pays-Bas, étant donné que la CPI « n’aurait alors pas le pouvoir de continuer à le détenir. »

La Chambre avait alors ordonné au Greffe de consulter les autorités néerlandaises sur le transfert de Longba au contrôle des Pays-Bas. Ainsi, le transfert de la garde de Longba était subordonné à l’intention des Pays-Bas de différer son départ en attendant une décision sur sa demande d’asile.

Après que cette ordonnance ait été rendue, le témoin a demandé à la Chambre de la reconsidérer. Il a affirmé que sa santé serait en danger s’il était transféré aux autorités néerlandaises. Il craignait qu’en cas de transfert les Néerlandais puissent ne pas respecter les droits habituellement reconnus aux demandeurs d’asile en raison de la nature particulière de cette affaire.

Les Pays-Bas pensaient aussi que Longba devrait rester en détention à la CPI. Les Pays-Bas ont refusé de discuter du transfert avec le Greffe. Ils n’avaient pas l’intention de reporter le retour Longba à la RDC, ont-ils déclaré à la Chambre. Il était de la  responsabilité de la CPI de retarder le transfert Longba jusqu’à la fin de l’examen de sa demande d’asile, selon les Hollandais.

Les Pays-Bas estimaient que le témoin devrait rester au quartier pénitentiaire de la CPI pendant toute la procédure d’asile. Les Pays-Bas ont fait valoir que Longba a été transféré au quartier pénitentiaire conformément à un accord entre la CPI et la RDC, et que cela ne signifiait pas que les Pays-Bas étaient tenus d’accepter un étranger en situation irrégulière illégale sur son territoire. Par ailleurs, selon les Pays-Bas, ce pays n’a pas compétence pour garder Longba en détention pendant que sa demande d’asile est examinée.

Sur la base de ces observations des Pays-Bas, la Chambre de première instance a décidé que le Greffe devra retourner Longba à la RDC. La Chambre a estimé que le report de son départ avait été soumis à la condition que les Pays-Bas prennent la garde de Longba en attendant une décision sur sa demande d’asile. La Chambre a considéré qu’en donnant aux Pays-Bas la possibilité de garder Longba, ce que ce pays a refusé, la Chambre s’était acquitté de ses obligations selon l’article 21 (3) du Statut de Rome.

La Chambre de première instance a donc ordonné au Greffe de prendre les mesures adéquates pour renvoyer le témoin à la RDC. Il appartient maintenant aux Pays-Bas de décider s’il est nécessaire d’intervenir pour prendre le contrôle du témoin jusqu’à ce que sa demande d’asile soit examinée, a conclu la Chambre.

Longba soutient qu’il devrait être transféré aux autorités néerlandaises

Maintenant Longba a changé d’avis et a demandé que la Chambre préliminaire I annule son ordre de retour et en lieu et place, ordonne son transfert à la garde des hollandais. Selon son conseil, la procédure d’asile a commencé, mais il y a un contentieux en cours au sujet de la nature et la portée de la procédure. Les Néerlandais veulent suivre une “quasi” procédure d’asile au quartier pénitentiaire de la CPI.

Cela signifie que, conformément à la décision de la Chambre de première instance, le départ du témoin pour la RDC doit être suspendu et il doit être transféré aux autorités néerlandaises, affirment-ils. Cela n’a pas été fait, et l’avocat du témoin affirme que c’est parce que les autorités néerlandaises tentent délibérément de priver Longba de protection en vertu du droit néerlandais.

Contrairement au cas Katanga-Ngudjolo, la Chambre de première instance dans l’affaire Lubanga a accepté la déposition d’un mémoire d’amicus curiae par les deux avocats néerlandais qui représentent tous les quatre témoins. Selon ce mémoire [8], Longba devrait être transféré aux autorités néerlandaises. Le témoin va courir des risques considérables pour sa sécurité à cause de son témoignage s’il est renvoyé, affirme les avocats.

Le mémoire est résumé ci-dessous.

Progrès de la procédure d’asile néerlandaise

Devant les autorités d’immigration néerlandaises, on a procédé à une jonction de l’affaire de la demande d’asile de Longba avec celles des trois autres témoins. Toutefois, on ne sait pas dans quelle mesure les observations contenues dans le mémoire concernant Longba s’appliquent aux témoins de l’affaire Katanga-Ngudjolo.

En septembre, les autorités d’immigration néerlandaise ont confirmé que la demande d’asile serait traitée en vertu du droit national et ont commencé à travailler avec le conseil du témoin pour trouver des dates pour les audiences d’asile. Le gouvernement néerlandais a confirmé que la procédure d’asile néerlandaise est entièrement accessible aux témoins de la CPI. Cependant, selon le mémoire d’amicus curiae, les autorités de l’immigration ont alors prétendu qu’elles étaient retardées par la nécessité de négocier avec le Greffe de la CPI.

En fin septembre, les autorités d’immigration ont changé de discours. Selon les avocats du témoin, elles ont déclaré aux témoins que leurs demandes n’allaient plus être considérées comme des demandes d’asile, mais plutôt comme des « demandes de protection. » Les autorités d’immigration n’estimaient pas que la procédure d’asile néerlandaise était applicable dans ces cas, et la procédure devait avoir lieu dans le quartier centre pénitentiaire de la CPI. Les audiences sont prévues pour novembre et décembre, selon le mémoire d’amicus curiae.

Les conseils des témoins ont fait valoir que la décision de créer une « quasi procédure extraordinaire d’asile » n’était « étayée par aucun raisonnement juridique ou aucune motivation suffisante. » Ils affirment que l’insistance du gouvernement néerlandais à voir la procédure d’asile menée au quartier pénitentiaire de la CPI constitue une utilisation abusive du quartier pénitentiaire. Ils ont cherché un examen judiciaire hollandais de la question de la détention, mais le tribunal de district néerlandais a statué en faveur des Pays-Bas. Les avocats ont fait appel de cette décision, mais font valoir devant la CPI que la Chambre d’instance I devrait ordonner la mise en liberté de Longba aux Pays-Bas parce que, ayant engagé une procédure d’asile, le gouvernement néerlandais a accepté la présence du témoin sur le territoire néerlandais.

Il semble qu’il y ait peu d’informations sur la façon dont les autorités néerlandaises vont traiter une « demande de protection. » On ne sait pas si cette demande va suivre de près les procédures d’asile standard, ou si elle va en diverger de façon significative.

Préoccupés par ce manque de précision, les conseils des témoins ont soulevé plusieurs questions avec les autorités néerlandaises à propos de cette nouvelle procédure, notamment si:

Les Pays-Bas violent-ils la Convention européenne des Droits de l’Homme?

L’avocat des témoins affirme que « l’extraordinaire » pratique de quasi asile va à l’encontre des droits protégés par la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

L’article 3 de la CEDH interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Selon les conseils des témoins, c’est-là la principale disposition en cause dans cette affaire cas. La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a jugé que l’article 13 de la CEDH garantit la disponibilité d’un recours au niveau national pour faire respecter les droits de la CEDH, bien que les Etats « jouissent d’une certaine discrétion » dans la façon dont ils vont rendre ce recours disponible[i] [9]
Dans le mémoire d’amicus curiae, les avocats ont soutenu qu’en ce qui concerne l’article 3, la CEDH a jugé qu’un recours effectif conformément à l’article 13 exige ce qui suit:

  1. Un examen indépendant et rigoureux d’un argument selon lequel il existe des raisons sérieuses de croire qu’il y avait un risque réel de traitements contraires à l’article 3 en cas d’expulsion du témoin vers la RDC, et;
  2. Un recours avec effet suspensif automatique (le recours entrainerait la suspension automatique de l’expulsion de Longba des Pays-Bas jusqu’à la conclusion de la procédure).

Même si les autorités néerlandaises sont autorisées à exercer « une certaine discrétion » dans la façon dont elles se conforment aux obligations que leur impose la CEDH, l’avocat des témoins affirment que la procédure de quasi asile peut ne pas satisfaire aux exigences en vigueur. Il n’y a aucune garantie qu’elle donnera accès à un organe judiciaire ou un recours suspensif automatique, affirment-ils. La procédure de quasi asile « donne aux Pays-Bas entière discrétion » sur la manière dont les témoins seront traités, selon les avocats. Par ailleurs, ils soutiennent qu’il n’y a aucune justification à cette nouvelle procédure.

Menaces croissantes en RDC

Plus tôt cette année, sur ordre de la Chambre de première instance dans le procès Katanga-Ngudjolo, le Greffe de la CPI et les autorités de la RDC ont travaillé ensemble pour élaborer des mesures de sécurité pour que si les témoins de l’affaire Katanga-Ngudjolo sont retournés, qu’ils soient suffisamment protégés. Dans le mémoire d’amicus curiae pour l’affaire Lubanga, les conseils soutiennent que la Cour devrait réévaluer les assurances congolaises sur les mesures de sécurité, qui ne concernaient que la détention des témoins.

En plus de plaintes d’ordre général relatives aux performances de la RDC en matière de droits humains, ils attirent l’attention sur l’intimidation et la récente attaque physique de membres des familles des quatre témoins comme un exemple des menaces auxquelles les témoins et leurs familles font face en RDC.

Le mémoire indique que l’épouse d’un témoin à été menacée à deux reprises par « des individus appartenant au régime et au parti de Kabila [président de la RDC]. » Selon eux, les assaillants ont fait spécifiquement référence au rôle du témoin dans l’affaire de la CPI. Dans un autre incident, quatre soldats de l’armée congolaise (FARDC) ont violemment attaqué le domicile d’un des témoins. En conséquence, un membre de la famille de l’un des témoins,  âgé de 13 ans a trouvé la mort.

Ces attaques sont la preuve que les assurances en RDC concernant la sécurité des témoins n’ont « aucune valeur », selon le conseil.

Les néerlandais vont renvoyer Longba à la RDC si la demande échoue, selon l’avocat

Le conseil du témoin affirme que la CPI ne devrait pas être préoccupée par un manquement éventuel à son devoir de retourner le témoin à la RDC si les autorités néerlandaises rejettent la demande d’asile.

« Il existe une politique hollandaise de plus en plus stricte d’expulsion de tout étranger en situation irrégulière sur le territoire national », notent les avocats. En cas d’échec de la demande d’asile, rassure l’avocat, un rejet de la demande d’asile déclencherait un retour immédiat à la RDC. Cela signifie que l’obligation qu’a la CPI de retourner les témoins serait remplie, ont fait valoir les conseils.

Le mémoire d’amicus curiae demande que si le témoin n’est pas libéré, qu’il soit autorisé à assister à la procédure d’asile néerlandaise le concernant et que la CPI  l’aide dans son transfert à ces audiences. L’avocat a également demandé  que la CPI facilite les visites familiales pour les quatre témoins parce qu’ils ont passé huit mois au quartier pénitentiaire de la CPI et que leurs familles leur manquent.

Au moment où ces lignes sont écrites, la Chambre de première instance dans l’affaire Lubanga n’avait pas pris d’autres décisions concernant Longba. Il reste à voir si les témoins de l’affaire Katanga-Ngudjolo et l’affaire Lubanga seront traités de la même manière par la CPI, et comment leurs demandes d’asile seront traitées par les autorités néerlandaises.


[i] [10]Chahal v. the United Kingdom, 15 novembre 1996, para 145, Comptes-rendus de jugements et de décisions 1996-V.