- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Conclusions des procureurs et des représentants des victimes au procès de Lubanga

Les procureurs et les avocats des victimes ont aujourd’hui présenté leurs conclusions au procès historique de l’ancien chef de guerre congolais Thomas Lubanga à la Cour pénale internationale de La Haye. Plus d’une douzaine d’avocats et de défenseurs ont tour à tour pris la parole pour exhorter les juges à condamner M. Lubanga pour les crimes de guerre de conscription, d’enrôlement et utilisation d’enfants soldats durant le conflit ethnique dans la région de l’Ituri au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) au cours des années 2002 et 2003.

Première affaire devant la CPI, le procès touche à sa fin plus de cinq ans après le mandat d’arrêt lancé par la Cour contre M. Lubanga et quelques deux ans et demi après le début du procès. Les juges doivent faire connaître leur décision au début de l’année prochaine, date à laquelle M. Lubanga aura été sous la garde de la CPI pendant six ans.

Que M. Lubanga soit reconnu coupable ou innocent, le procès aura eu le mérite de mettre en lumière le sort des enfants-soldats dans les conflits armés. Parmi les spectateurs présents sur les galeries publiques bondées on pouvait aujourd’hui compter l’actrice Angelina Jolie, ambassadrice de bonne volonté du Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés, et Mme Radhika Coomaraswamy, Représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés.

Au cours de la séance qui a duré quatre heure et demie, les avocats et les défenseurs ont rappelé aux juges la brutalité du conflit entre les peuples Hema et Lendu dans cette région de l’Ituri en RDC et ont cherché à établir la responsabilité individuelle de M. Lubanga pour la mise sur pied d’une armée de jeunes. Les procureurs ont insisté sur le fait que la présence d’enfants de moins de quinze ans dans cette armée « n’était pas accidentelle »

Première à répondre aux juges, le procureur adjoint Fatou Bensouda, a affirmé avec force que les preuves démontraient la culpabilité de M. Lubanga non seulement « au-delà de tout doute raisonnable », mais « sans aucun doute possible. » Elle fait valoir que l’accusation avait donné une voix aux enfants que M. Lubanga avait « transformés en tueurs », des enfants que le monde s’était résolu à protéger en inscrivant dans le Statut de Rome – le traité qui a créé la CPI – une définition des crimes de guerre qui comprenait les charges retenues contre M. Lubanga.

Mme Bensouada a également rappelé certaines preuves contre M. Lubanga – une vidéo où on le voit visitant un camp d’entraînement à Rwampara en février 2003 et s’adressant aux enfants-soldats rassemblés là – vidéo qu’elle a qualifiée de « confession volontaire et publique » de M. Lubanga.

Le procureur Nicole Samson a poursuivi en disant que l’argument principal de la défense – selon lequel chacun des témoins de l’accusation a menti ou a commis une erreur flagrante – était tout simplement trop fantaisiste pour être cru.

Le procureur Manoj Sachdeva a rejeté les trois tentatives faites par M. Lubanga de démobiliser les enfants soldats et les a qualifié de simples « couverture », arguant que ces efforts avaient, au contraire, démontré à la fois que M. Lubanga savait bien qu’il avait tort d’utiliser des enfants soldats et qu’il avait bien l’intention de les utiliser malgré tout.

La tension entre les juges et l’accusation qui a caractérisé ce procès dans son ensemble a été manifeste dans la salle d’audience aujourd’hui. Le Procureur Luis Moreno Ocampo – dont le refus d’appliquer les ordres du juge a failli par deux fois interrompre le procès et presque aboutir à la libération de l’accusé – a tenté d’intervenir lorsque le juge président Adrian Fulford a cherché un point de clarification de Mme Samson. Dans une remarque sibylline, le juge Fulford a réprimandé M. Ocampo pour l’utilisation de courriel dans la salle d’audience et a observé que M. Ocampo avait déjà nommé six personnes pour parler au nom de l’accusation.

Lorsque M. Ocampo a recommencé, le juge Fulford visiblement impatient, a déclaré : « M. Ocampo, pas maintenant », s’écartant ainsi d’un comportement jusque là marqué par une politesse extraordinaire.

Plus tard dans la procédure, M. Ocampo a obtenu la permission de poser une question que le juge Elizabeth Odio Benito a adressée à Mme Bensouda. Le juge Benito voulait savoir en quoi la question de la violence sexuelle contre les filles-soldats est pertinente, car elle n’a pas été incluse dans les charges retenues contre M. Lubanga. M. Ocampo a expliqué que la violence sexuelle était un « aspect spécifique au sexe » de la conscription.

Lorsque le juge Fulford a fait remarquer que l’argument de M. Ocampo différait de celui de Mme Samson – qui avait estimé que les violences sexuelles contre les filles-soldats constituaient un aspect de leur participation directe aux hostilités – M. Ocampo a demandé aux juges d’accepter son argument plutôt que celui de Mme Samson, car c’était lui le Procureur en chef. Visiblement perturbé, le juge Fulford a promis d’ « ignorer » la remarque de M. Ocampo.

Dans un moment particulièrement symbolique de la procédure, M. Benjamin Ferencz a raconté comment, à l’âge de vingt-sept ans, il avait été procureur au Tribunal de Nuremberg à la suite de la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui âgé de 92, M. Ferencz a célébré le développement des droits humains au cours des années qui se sont écoulées et a exhorté la Cour à prendre au sérieux l’effet dissuasif que pourrait avoir une condamnation.

Défendant la place unique que le Statut de Rome accorde aux victimes pendant la procédure pénale, les représentants légaux des victimes ont également eu deux heures, pendant lesquelles ils ont fait un exposé sur le traumatisme subi par les victimes et ont exhorté les juges à ne pas se prononcer en faveur de l’impunité.

Six représentants des victimes ont à leur tour témoigné, félicitant la Cour pour son respect scrupuleux des droits des victimes et faisant valoir que la préoccupation essentielle des victimes avait été d’établir la vérité, que Mme Paolina Massidda, conseil principal au Bureau du conseil public pour les victimes a défini comme étant l’identification, la condamnation et la punition de ceux qui leur ont fait du tort.

Un autre représentant des victimes, Mme Carine Bapita Buyangandu a proposé que bien que ne figurant pas au nombre des charges retenues contre M. Lubanga, les sévices sexuels sur les filles-soldats soient cependant considérés comme « circonstance aggravante ». C’est-à-dire que si les juges condamnaient M. Lubanga pour les crimes de guerre dont il est accusé, ils pourraient tenir compte de ces sévices à l’encontre des filles lors qu’il s’agira de déterminer la manière de le condamner.

M. Lubanga, qui était resté impassible tout au long de la procédure, s’est montré le plus expressif lors du témoignage des défenseurs des victimes. Lorsque M. Joseph Keta Orwinyo, représentant également un groupe de victimes a soutenu que la défense avait fabriqué l’affirmation selon laquelle deux témoins à charge avaient utilisé des « identités volées »au cours de leur témoignage contre l’accusé, Thomas Lubanga a promené son regard sur la salle d’audience en secouant la tête.

De même, lorsque le représentant des victimes, M. Paul Kabongo Tshibangu a présenté des rapports détaillés selon lesquels les écoles de l’Ituri avaient été à demi vidées par la conscription et l’enrôlement d’enfants-soldats, M. Lubanga a secoué la tête avec un sourire incrédule. Plus tard, il s’est pris la tête entre les mains.

On s’attend à ce que les avocats de la défense, qui vont présenter leurs conclusions vendredi, soutiennent que M. Lubanga a été simplement un chef politique, que l’accusation est fragilisée par des témoignages fabriqués, et que M. Lubanga a cherché non pas à recruter, mais plutôt à démobiliser des enfants-soldats.

Le présent rapport a été préparé par Jeffrey Pierce (Stanford Law School) et Alpha Sesay.