Rapports quotidiens

12 April 2011

Parmi les combattants villageois il y avait des enfants de moins de quinze ans

Par Judith Armatta

Le procès a repris aujourd’hui avec la poursuite du contre-interrogatoire du secrétaire particulier de Thomas Lubanga, Michel Angayika Baba. Le procureur a été incapable de faire admettre au témoin que des enfants de moins de 15 ont été utilisés dans l’Union des patriotes congolais (UPC) et son aile armée, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Bien que M. Baba ait confirmé que des enfants de moins de 18 ans étaient présents lors d’un rassemblement militaire à Bunia, en juin 2003, après le retour de l’UPC / FPLC, il a déclaré que le président d’alors Lubanga a ordonné leur démobilisation immédiate quand il les a vu. Cependant, il n’a pas voulu confirmer que ces jeunes avaient fait partie de l’UPC / FPLC. L’important, dit-il, c’est qu’ils ont été immédiatement démobilisés. Lorsque le procureur Manoj Sachdeva a laissé entendre que l’ordre de démobilisation n’a jamais été appliqué, M. Baba s’est opposé à cette idée.

M. Lubanga, ancien chef de l’UPC, est poursuivi pour les crimes de guerre de recrutement, conscription et utilisation d’enfants âgés de moins de 15 ans comme soldats pendant le conflit du district de l’Ituri en République démocratique du Congo ( RDC) en 2002 et 2003. Il s’agit du premier procès devant la Cour pénale internationale (CPI).

Après la fin du témoignage de M. Baba aujourd’hui, la défense a appelé à la barre Origène Lokana Nyamutale Katekpa, le coordonnateur des comités d’autodéfense dans les villages Hema créés en 1999 pour se défendre contre les attaques des Lendu. L’UPC est surtout composée de membres de la communauté ethnique Hema qui se sont battus principalement contre la communauté Lendu.

Selon M. Katekpa il leur fallait utiliser toutes les mains disponibles pour leur protection, y compris des enfants de moins de 15 ans. Les groupes d’auto-défense ne tiennent pas compte de l’âge. Si quelqu’un pouvait se battre avec une machette, une lance ou une arme à feu, on lui en donnait une. Les comités sont autonomes mais assez liés pour partager leurs ressources. Lorsqu’une arme était nécessaire, l’argent était collecté chez tous les villageois, et le témoin l’achetait- le plus souvent auprès des soldats de l’armée populaire congolaise (APC) ou des troupes ougandaises.

M. Lubanga a invité M. Katekpa et quelques autres présidents de comités d’autodéfense à une réunion le février 25, 2003, réunion où il leur a ordonné de démobiliser et de désarmer les combattants de moins de 18 ans. La rencontre est devenue acrimonieuse lorsque le président a exigé que les armes soient remises aux FPLC, selon le témoin. Les présidents de comités d’autodéfense se sont opposés à la décision car elle allait laisser leurs communautés sans défense. Quand un village a été attaqué, les troupes des FPLC sont arrivées trop tard pour les protéger, a déclaré le témoin. En outre, les collectivités avaient acheté les armes. M. Lubanga a menacé de faire saisir les armes si elles n’étaient pas remises. En fin de compte, les présidents ont décidé de démobiliser et désarmer les enfants, mais de garder les armes.

Les comités d’auto-défense étaient mécontents de la directive du président car la démobilisation des enfants allait réduire le nombre de combattants qui pourraient protéger les villages. Selon M. Katekpa, certains comités ont démobilisé les enfants.

Soumis au contre-interrogatoire du procureur Nicole Samson, M. Katekpa a témoigné que les comités d’autodéfense ont envoyé de jeunes garçons à l’UPC pour une formation militaire. Les garçons devaient retourner dans leurs villages, mais ils ne l’ont jamais fait. Toutefois, a-t-il insisté, ils n’ont jamais envoyé de garçons de moins de 15 ans. Mme Samson a laissé entendre que ce n’était pas vrai parce que M. Lubanga ne faisait aucune limite d’âge à l’époque et les comités d’autodéfense ont inclus des enfants parmi leurs combattants. Le témoin a nié cette affirmation.

Le témoin a cherché à distinguer les comités d’auto-défense de l’UPC. Ils n’ont jamais combattu côte à côte ou coordonné leurs activités, selon M. Katekpa. Les comités d’autodéfense sont autonomes et n’ont reçu aucune formation militaire, ce qui fait qu’ils ne pouvaient pas se livrer à des actions militaires conjointes avec les FPLC, a-t-il conclu. Toutefois, il a admis que l’UPC avait le contrôle militaire sur la plus grande partie de l’Ituri après août 2002.

Le procureur est retourné à la réunion du 25 février 2003 convoquée par M. Lubanga. Elle a laissé entendre que M. Lubanga a promis de protéger les villages contre d’autres attaques Lendu, s’ils remettaient leurs armes aux FPLC. Auparavant, le témoin a énuméré une série d’attaques qui ont eu lieu contre des villages Hema peu de temps avant cette réunion. Mme Samson a fait remarquer que la veille de la réunion une attaque s’est soldée par la mort de 200 personnes, des biens pillés et brûlés, et un retrait forcé des FPLC. Le témoin a minimisé l’attaque et a nié que M. Lubanga ait promis de protéger les villages. Il a simplement reconnu qu’ils ont demandé une protection, a-t-il ajouté. Mme Samson a lu le procès-verbal de la réunion qui avait été établi par le témoin lui-même, et qui contredisait ses propos. Le témoin a alors admis que la promesse a été faite, même si elle n’a pas été tenue.

Le procureur a laissé entendre qu’à un moment où il y avait un grand nombre d’attaques et de défaites, il semblait peu probable que M. Lubanga se soit soucié de démobilisation des enfants soldats, question qu’il n’avait jamais abordée auparavant avec les comités d’autodéfense. Il avait besoin de tous les combattants qu’il pouvait obtenir- indépendamment de leur âge. M. Katekpa n’était pas d’accord avec cette affirmation.

Mme Samson a ensuite tenté une approche différente. M. Lubanga avait demandé que tout le monde dans les comités d’autodéfense soit démobilisé et rende ses armes, n’est-ce pas? a-t-elle demandé. Il fallait des armes aux FPLC. Non, a répondu le témoin, il demandait seulement que les enfants soient désarmés. Mme Sampson alors lu la transcription du témoignage antérieur du témoin : « Le président nous a demandé de donner des armes à l’armée de l’UPC. Nous avons refusé. Cela nous laisserait sans défense. Nous serions incapables de nous protéger. Donc nous avons vraiment refusé que nos fusils soient pris – alors que nous les avions achetés avec notre propre argent »

Le procureur a alors soutenu que M. Lubanga parlait de désarmement des adultes aussi bien que de celui des enfants. Réponse de M. Katekpa : « Je ne peux pas répondre. Vous pouvez demander à M. Lubanga », puis a insisté sur le fait que M. Lubanga n’avait pas demandé aux adultes de rendre leurs armes.

Le procureur a fait admettre au témoin que les forces d’auto-défense d’un village n’allaient pas voler au secours d’un autre village s’il était attaqué. L’implication de sa question, c’était que si un enfant de moins de 15 ans prend part à l’attaque contre un village qui n’est pas le sien, il ne fait pas partie d’une force d’auto-défense. Ce que Mme Samson voulait faire décider aux juges c’était si ces enfants devaient logiquement être sous le commandement d’une autre force de combat, c’est-à dire le FPLC.

Le procès reprend demain matin avec un nouveau témoin.

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