Rapports quotidiens

7 April 2011

Lubanga se plaint de la communication tardive des documents par l’Accusation

Par Wairagala Wakabi

Aujourd’hui, la défense de Thomas Lubanga s’est plainte auprès des juges de la Cour pénale internationale (CPI) que les procureurs n’honoraient pas leur obligation en matière de divulgation concernant certains documents en leur possession, qu’ils se proposaient d’utiliser contre l’accusé.

Plus précisément, l’avocat de la défense Jean-Marie Biju-Duval a fait remarquer que le Bureau du Procureur (BdP) a hier communiqué à la défense trois documents qui semblaient « démontrer que le procureur pourrait très bien détenir des archives de l’UPC [Union des patriotes congolais] qu’il n’a pas révélées. »

« Hier nous avons entendu le témoin répondre à des questions sur le procès-verbal du comité exécutif de l’[UPC] et sur plusieurs documents faisant partie des archives UPC qui n’ont pas été divulgués … en termes de l’obligation qu’avait le procureur de divulguer tous les documents provenant des archives de l’UPC », a déclaré M. Biju-Duval.

Il s’est interrogé sur la position prise par l’ancienne Mission d’observation militaire des Nations Unies au Congo (MONUC) au sujet des documents de l’UPC en sa possession. Il a demandé à l’Accusation d’indiquer si la MONUC avait remis au BdP tous les documents de l’UPC qu’elle détenait ou en avait gardé quelques-uns.

En réponse, Manoj Sachdeva, de l’Accusation a déclaré que parmi les trois documents qui selon M. Biju-Duval ont été communiqués hier, l’un avait été divulgué à la défense beaucoup plus tôt. Ce qui a été remis à la défense cette semaine c’était « un exemplaire qui était meilleur et plus lisible » du même document. Il a expliqué que les deux autres documents sont devenus pertinents, compte tenu du témoignage de cette semaine par Bède Djokaba Longa Lambi, qui était le vice-secrétaire national des affaires coutumières de l’UPC à l’époque où les crimes pour lesquels M. Lubanga est jugé auraient été commis.

M. Longa a témoigné que M. Lubanga a ordonné la démobilisation des enfants soldats de l’aile armée de l’UPC. Par ailleurs, a déclaré le témoin, le chef de l’UPC a décrété qu’aucun enfant soldat ne devrait plus être recruté. M. Lubanga est jugé pour les crimes de guerre de conscription, enrôlement et utilisation d’enfants soldats dans les conflits armés en République démocratique du Congo (RDC) en 2002 et 2003.

Au début de la séance de la journée, le juge Fulford a fait remarquer, « Il paraît que notre vieil ami l’article 54 (3) (e) est de retour », en référence à une disposition du Statut de Rome qui est le traité qui a institué la CPI. Cet article permet au procureur de la CPI à titre exceptionnel, de recevoir des informations ou des documents sous réserve de confidentialité, mais interdit l’utilisation de ces éléments au procès. Ces éléments ne doivent être utilisés que pour générer de nouvelles preuves.

En juin 2008, les juges du procès ont imposé une suspension de l’instance dans l’affaire Lubanga après avoir déterminé que l’Accusation avait incorrectement appliqué l’article 54 (3) (e). Les juges ont dit à l’époque que, par suite de cette mauvaise application, un important corpus de preuves à décharge n’avait pas été communiqué à M. Lubanga, ce qui a ainsi constitué un obstacle à la préparation de sa défense. La suspension de l’instance a été levée lorsque les procureurs ont permis que l’on effectue les divulgations requises après que les sources des documents – principalement organismes des Nations Unies – eurent donné leur accord.

Les juges ont aujourd’hui demandé aux procureurs d’indiquer si la MONUC avait mis à leur disposition les archives complètes de l’UPC ou une partie de celles-ci, sur quoi s’était basé le BdP pour accéder aux archives, et si 54 (3) (e) avait été invoqué pour ce qui concerne les archives. Les juges ont également ordonné au BdP d’expliquer quelle a été l’attitude de l’Accusation quant à la communication à la défense de ces éléments et pourquoi certains de ces documents sont seulement divulgués aujourd’hui. Le BdP a promis de fournir ses explications demain.

En concluant son témoignage, M. Longa a aujourd’hui raconté que les soldats de la MONUC ont fait irruption au siège de l’UPC, ainsi que chez les gens de l’UPC, et confisqué des documents. Il a soutenu que M. Lubanga a travaillé activement à la démobilisation des enfants soldats de l’UPC.

Interrogé par M. Sachdeva sur les vidéos projetées à la Cour dans lesquelles les agents de l’UPC déclaraient qu’il fallait que plus d’« enfants » rejoignent l’UPC et sur les documents dans lesquels des agents de l’UPC faisaient référence à une certaine forme d’encouragement accordée aux «enfants» du groupe armé, le témoin a dit que le terme « enfants », était utilisé pour désigner les combattants armés de l’UPC, indépendamment de leur âge. Il a ajouté que jusqu’à ce jour, le terme « enfants » est utilisé par l’armée nationale congolaise pour se référer aux recrues. Les agents l’utilisaient également pour faire référence aux jeunes soldats, indépendamment de l’âge des soldats de rang inférieur.

Après avoir conclu son témoignage, M. Longa dit aux juges que le ministre de la justice congolaise les avait fait filmer menottés, lui et trois autres personnes avec qui il a voyagé du Congo à La Haye alors qu’ils quittaient un aéroport congolais. Les quatre individus ont été pendant des années dans une prison congolaise en attente de procès pour des crimes liés à leur participation à des groupes armés tels que l’UPC. Le témoin a déclaré avoir entendu dire que les images ont été diffusées à la télévision nationale congolaise.

« Je ne me suis pas senti suffisamment protégé quand je suis arrivé [à La Haye]. Et maintenant, quand je rentre chez moi, je commence à me demander comment la CPI pourra me protéger », a déclaré M. Longa.

Les juges ont promis d’enquêter en vue d’établir si le témoin a été maltraité alors qu’il venait témoigner à la Cour. Ils allaient l’informer des conclusions de leur enquête. Cependant, les juges ont déclaré qu’ils étaient incapables de dire quoi que ce soit sur la sécurité de M. Longa une fois qu’il serait de retour à la RDC.

Entretemps, le témoin suivant de la défense, Michel Angayika Baba, a comparu brièvement cet après-midi. M. Baba était secrétaire particulier de M. Lubanga, alors qu’il était le président de l’UPC. Selon lui, lorsque M. Lubanga avait pris le contrôle de l’UPC, il avait déclaré qu’il ne voulait pas de recrutement d’enfants. Le témoignage de M. Baba se poursuit demain.

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