- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Un arrêt explique pourquoi le procès va se poursuivre

Le 2 mars 2011, la Chambre de première instance a rendu public son arrêt rejetant la requête de la défense demandant la suspension permanente de l’instance au procès de Thomas Lubanga Dyilo pour crimes de guerre et sa remise en liberté immédiate pour procédure abusive dont se serait rendue coupable l’Accusation. Les juges ont rendu leur décision verbale le 23 février. Nul ne sait si la défense fera appel de la décision ou quand le procès pourrait reprendre. Lubanga est accusé de conscription, enrôlement et utilisation d’enfants soldats en tant que commandant des Forces Patriotiques de Libération du Congo (FPLC) qui ont de 1999 à 2003 mené en République Démocratique du Congo (RDC) un conflit armé qui s’est soldé par au moins 50000 morts dans le seul districts de l’Ituri. On estime que quatre millions de personnes ont trouvé la mort en RDC entre 1988 et 2003 au cours de ce qu’on a appelé « la Guerre Mondiale de l’Afrique ».

Le procès a été détourné vers l’audition des témoignages sur la présumée procédure abusive lorsque le témoin 15, présenté par l’accusation comme un ancien enfant soldat, a inversé de façon spectaculaire son témoignage, en affirmant qu’il a menti après avoir été coaché par un intermédiaire de la Division des poursuites. L’Accusation a utilisé des intermédiaires pour trouver des témoins potentiels pendant la période où la guerre faisait rage et où les enquêteurs de la Division des poursuites ne pouvaient pas se rendre en RDC. La défense a accusé d’autres intermédiaires d’avoir aussi fourni des faux témoins à l’Accusation. La Cour a ordonné qu’ils soient appelés à la barre pour témoigner sur la question.

Dans sa déclaration de décembre 2010 à la cour, après des mois d’audience, la défense a accusé le procureur de rendre impossible un procès équitable en raison de « préjudice grave et irréparable à la procédure judiciaire de recherche et d’établissement de la vérité ». les arguments de la défense ont porté sur cinq éléments principaux : 1) le rôle des quatre intermédiaires, 2) la négligence du procureur qui n’a pas enquêté correctement sur les preuves qu’il a présentées et qui étaient au moins en partie erronées ou mensongères ; 3) le fait que le procureur a délibérément omis de s’acquitter de ses obligations en matière de divulgation et d’inspection ; 4) le rôle joué par certaines victimes participantes ; 5) le fait que le procureur n’a pas agi équitablement et impartialement.

Dans son analyse juridique, les juges ont noté que le Statut de Rome ne traite pas de l’abus de procédure. La Chambre de première instance a cité la Chambre d’appel à l’effet que l’interruption d’un procès pour abus de procédure constituait une réparation « draconienne » qui supposait « l’impossibilité de réunir les éléments constitutifs d’un procès équitable. » Selon la décision : « Tous les exemples d’inconduite de la part de l’Accusation ne conduisent pas forcément à une suspension permanente de l’instance ; c’est plutôt une question de fait et de degré ». Au nombre des situations dans lesquelles une suspension peut être exigée figure l’utilisation de la torture et la non-divulgation d’éléments disculpatoires importants. La Cour doit apprécier la nature de la violence par rapport à la gravité des crimes, ont écrit les juges.

La Chambre a élaboré un critère à deux volets pour déterminer si le seuil supérieur a été atteint: 1) serait-il odieux ou contraire à l’administration de la justice de permettre la poursuite de la procédure, ou 2) est-ce que les droits de l’accusé a été violés dans une mesure telle que la tenue d’un procès équitable a été rendue impossible.

Examinant des allégations selon lesquelles les intermédiaires ont persuadé des témoins de mentir, la Chambre de première instance a fait remarquer, « [A] u moins depuis janvier 2010, la position de certains intermédiaires a été un élément clé de la défense de l’accusé. » Par conséquent, la Cour a pris un certain nombre de décisions pour s’assurer que l’accusé était en mesure de traiter les questions concernant les intermédiaires. Les intermédiaires ont été appelés à témoigner, les enquêteurs qui étaient principalement responsables d’eux ont témoigné et le Procureur a communiqué tous les documents pertinents. Conclusion de la Chambre de première instance : « Dans ces circonstances, la Chambre n’est pas convaincue, que les droits de l’accusé ont été violés dans une mesure telle qu’un procès équitable a été rendu impossible » Et il ne serait pas « odieux » ou « répugnant » pour une administration de la justice de permettre la poursuite du procès, dit la Chambre, faisant remarquer qu’il s’agit là d’une question de discrétion judiciaire. Les juges ont souligné leur capacité à décider des questions de fait au moment opportun, en notant que « cette demande ne porte que sur une partie, il est vrai significative, d’une affaire plus importante. » De plus, ils sont capables d’évaluer tout impact des intermédiaires sur les preuves et de parvenir à des conclusions définitives sur l’inconduite présumée ou la négligence de l’Accusation – après la clôture de l’affaire. « L’interruption du procès à ce stade constituerait une réaction disproportionnée », ont conclu les juges.

L’allégation la plus grave contre des intermédiaires a été que l’Accusation est consciemment ou inconsciemment devenue l’instrument du gouvernement congolais dans ses tentatives visant à se débarrasser des opposants politiques tels que Thomas Lubanga. En soulevant cette question, l’avocat de la défense a souligné que c’est le président congolais, Joseph Kabila, qui est à l’origine de l’arrestation de Lubanga et de son transfert à la CPI. Dans ce cas particulier où la Cour a analysé les preuves, il les a trouvées déficientes. Même si l’intermédiaire 316 a été impliqué avec le gouvernement de la RDC et passait de fausses informations à la CPI afin d’obtenir la condamnation de Lubanga, il ne s’ensuit pas que l’Accusation était consciente d’être manipulée, a dit la Cour.

La Chambre de première instance a appliqué le même test en deux parties aux allégations de la défense – absence d’enquête sur la fiabilité des preuves, pas de divulgation rapide d’informations, collaboration entre les victimes participantes, et violation des obligations de la Division des poursuites en matière d’équité et d’impartialité – et est arrivée à la même conclusion. Une des allégations de la défense concernait le vol d’identité par deux témoins à l’instigation d’un troisième. La défense a soutenu que cela faisait partie d’un plan concerté par un proche du Président Kabila pour détourner le processus judiciaire à des fins politiques. Une autre concerne un entretien et un roman écrit par des consultants de l’Accusation, qui a fait preuve de partialité contre l’accusé. La Cour a cité sa réponse antérieure à l’entrevue, en indiquant son désaccord, mais en notant qu’elle ne subissait pas du tout l’influence de « ces remarques trompeuses et inexactes » La Cour a estimé qu’aucun des faits soulevés par la défense, même s’il était vrai, ne pouvait rendre impossible le droit de l’accusé à un procès équitable, ou rendre la poursuite du processus répugnante ou odieuse. Toutes les questions de fait seront décidées à la fin du procès.

Dans le jugement rendu après présentation de toutes les preuves et après les plaidoiries finales, la Chambre de première instance pourrait toujours décider que l’Accusation s’est rendue coupable d’abus de procédure sur certains points. Si tel est le cas, la Chambre doit encore décider si et dans quelle mesure cela a un impact sur les éléments de preuve. Dans sa décision écrite, la Chambre a souligné sa capacité à rendre ces arrêts, contrairement à ce que dit la défense. La décision reflète également l’opinion de la Chambre concernant la gravité des accusations qui méritent une audience complète et ne doivent pas être rejetées quand il ne fait aucun doute que le processus a été rendu inéquitable et ne peut pas être rattrapé. Ce n’est pas seulement l’accusé qui a droit à un procès équitable. Les victimes et le grand public ont également un intérêt dans l’établissement équitable de la culpabilité ou l’innocence d’une personne accusée d’avoir causé des torts aussi graves.