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14 Février 2011

La Cour prononce la divulgation d’informations relatives aux victimes

Par Judith Armatta

Alors que le public attend de savoir quand le procès de Thomas Lubanga reprendra, la chambre de première instance a émis plusieurs décisions sur des demandes en attente déposées par les parties. Dans la plus récente, la défense sollicitait la divulgation d’informations contenues dans certains formulaires de demandes de victimes dans lesquels ces dernières demandaient à participer au procès. Les victimes ont témoigné au procès en janvier 2010 comme témoins à charge sous les noms respectifs de Dieudonné Tonyfwa Urochi et de Jean Paul Bijijjo Chonga. En avril, deux témoins de la défense ont affirmé être M. Urochi et M. Chonga et que les témoins au double statut ayant déposés en janvier étaient des imposteurs.

Cette controverse avait pratiquement fait péricliter les procédures en cours contre M. Lubanga en juillet 2010, lorsque l’accusation avait refusé d’appliquer la décision de la Cour de divulguer l’identité d’un intermédiaire. En fin de compte, le nom a été dévoilé et le procès a repris mais s’est centré sur le fait de savoir si l’accusation avait préparé les témoins et fabriqué les témoignages comme l’affirmait la défense.

Thomas Lubanga, ancien chef rebelle de la République démocratique du Congo, est jugé pour avoir procédé au recrutement, à la conscription et à l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans dans un conflit armé en 2002 et 2003. Il a nié les accusations.

Dans sa tentative de déterminer qui étaient les véritables M. Urochi et M. Chonga, la défense a demandé à la Cour de divulguer des informations contenues dans les formulaires de demande que la cour avait précédemment rédigés (et gardés confidentiels). La défense a demandé une divulgation dans six domaines généraux : « i) les personnes ou les organisations avec lesquelles la Cour s’était entretenue concernant leur sécurité ; ii) le nom de la personne qui, dans chaque cas, avait assisté à la signature du formulaire ; iii) les noms de ceux qui avaient envoyé les informations pertinentes; iv) les noms de ceux qui avaient aidé à remplir le formulaire ; v) les autres victimes auxquelles il est fait référence dans les formulaires de demande ; et vi) dans un cas, le nom de la personne qu’une victime avait tenté d’aider ».

L’accusation ne s’est pas opposée à la demande mais a cherché à connaître plus de détails sur le contenu de celle-ci. Le Conseil principal du Bureau du conseil public pour les victimes (BCPV) a estimé que la divulgation devrait être limitée et ne devrait inclure que : i) les formulaires de participation des victimes 225 et 229, et ii) les noms déjà divulgués par leurs représentants légaux. Le BCPV a également déclaré s’opposer à la divulgation des informations concernant certaines organisations non gouvernementales (ONG) et a demandé que la chambre le prévienne à l’avance lorsqu’elle décidait qu’une divulgation était pertinente, étant donné que la situation du point de vue de la sécurité en Ituri, dans l’est du Congo, où un grand nombre d’ONG sont situées, demeure très instable.

Joseph Keta, le représentant légal des victimes 225 et 229, s’est opposé à la divulgation des noms des intermédiaires et des ONG cités dans les formulaires de demande de ses clients. Il a donné son accord à la divulgation du nom des personnes ayant assisté à la signature des documents.

Dans leurs témoignages présentés en janvier dernier, les victimes 225 et 229 se sont identifiées comme ex-enfants soldats de l’UPC. Le témoin 225 a raconté la manière dont il avait été enlevé par des miliciens de l’UPC, torturé dans un camp d’entraînement puis il a indiqué avoir vu ses amis être tués dans une bataille et « tomber comme des mouches ». Entretemps, le témoin 229 a décrit la torture dans le camp de l’UPC et a affirmé que les commandants de l’UPC lui avaient ordonné de leur trouver de belles jeunes filles et d’emmener les miliciens dans les maisons des riches habitants du village qu’ils avaient ensuite volé. Ces deux personnes figurent parmi les trois témoins ayant un double statut, à savoir ceux qui sont à la fois victimes et témoins, dans le procès Lubanga. Ils ont témoigné avec une déformation numérique de la voix et du visage. Les témoins de la défense qui prétendaient être les véritables Dieudonné Tonyfwa Urochi et Jean Paul Bijijjo Chong ont témoigné via un lien vidéo depuis la RDC mais leurs visages étaient visibles sur les écrans publics de la Cour à La Haye.

La défense de M. Lubanga a affirmé que la situation de chaque personne dont l’identité est sollicitée fera l’objet d’un examen individuel, prenant en compte les circonstances et la situation locale. Elle a également soutenu que les justifications pour les documents étaient insuffisantes et que les ONG étaient déjà connues.

Le Greffe est intervenu en faisant remarquer qu’il s’opposait généralement à la divulgation du nom des intermédiaires et des victimes. Le Greffe a déclaré que les intermédiaires jouaient un rôle dans les autres affaires et que la divulgation augmentait les risques pour leur sécurité. Le Greffe n’avait aucune objection quant à la divulgation dans le cas où les identités avaient déjà été dévoilées lors du procès, à condition que la Cour sollicite en premier l’avis des représentants légaux des victimes. Pour finir, le Greffe a fait valoir que, si la Cour ordonnait la divulgation, elle ne devrait être effectuée que : (1) après consentement des intermédiaires ; (2) avec des limitations à l’utilisation des informations ; (3) si la défense a l’interdiction de divulguer les noms des intermédiaires et leurs rôles par rapport à la Cour à des tiers.

En prenant sa décision, la Cour a souligné ses doubles obligations qui sont parfois conflictuelles, à savoir d’une part de protéger la sécurité des victimes et des témoins et d’autre part de garantir à l’accusé un procès équitable. Dans cette situation, la chambre a conclu que le droit de l’accusé à avoir un procès équitable exigeait la divulgation des identités demandées qui « pourraient aider la défense à rechercher la (véritable) identité des victimes et des témoins impliqués dans cette demande ». La chambre a fait remarquer que les informations demandées avaient été, dans l’ensemble, déjà dévoilées lors du procès et que, par conséquent, elles n’étaient pas susceptibles de compromettre la sécurité de ceux dont l’identité allait être révélée. Pour les identités qui n’avaient pas été dévoilées, la chambre a ordonné que la Section de la participation des victimes et des réparations (SPVR) les contacte pour connaître leurs avis sur la divulgation de leurs identités à la défense. La SPVR devra faire un rapport à la Cour « dès que possible ».

La conférence de mise en état prévue pour le 17 février a été annulée. Aucune nouvelle date n’était fixée à l’heure de la rédaction de ce document.

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