- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

La Chambre clarifie les règles en matière de divulgation

Le 5 novembre 2010, la Chambre de première instance dans l’affaire Thomas Lubanga a mis en cause la communication tardive à la défense par l’Accusation d’une partie de la note interne d’un enquêteur, en date du 23 Février 2006. La divulgation complète a eu lieu le 1er novembre  2010. L’Accusation a répondu que le matériel retenu était un « produit du travail » non soumis à la divulgation en vertu des règles de la CPI. (Voir article Le procureur soutient que les notes de l’enquêteur ne doivent pas faire l’objet de divulgation [1], en date du 8 décembre 2010.)

M. Lubanga est en procès à la Cour pénale internationale (CPI) pour le recrutement, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats pendant le conflit de 2002-2003 en République démocratique du Congo (RDC). Les derniers mois du procès ont porté sur les allégations de la défense concernant l’abus de procédure par le parquet, après la rétractation d’un témoin qui a accusé les intermédiaires de l’Accusation de l’avoir coaché et soudoyé pour lui faire faire un faux témoignage.

Le paragraphe litigieux concerne l’évaluation négative d’un enquêteur du Bureau du Procureur sur la crédibilité d’un témoin éventuel (« le témoin 31 »), fondée sur le fait que le témoin n’a pas fourni certains documents. « Le témoin 31 »  avait déjà fourni à l’Accusation une documentation importante sur la démobilisation des enfants soldats, mais quand il a omis de fournir des documents supplémentaires prévus, les enquêteurs ont mis en doute sa crédibilité dans un mémorandum interne et décidé qu’il ne devrait pas témoigner. Cinq mois plus tard, en juillet 2006, « le témoin 31 » a apporté les documents qui ont été déposés comme preuves. Les documents, mais pas la note de service interne, ont été remis à la défense avant la déposition du « témoin 31 ». La défense voulait tous les documents. En fin de compte, le procureur a communiqué le mémorandum interne de l’enquêteur, mais pas avant la déposition du témoin. La défense a fait objection, laissant entendre que l’Accusation a été coupable de malfaisance. L’Accusation a répliqué que l’information était un « produit du travail » et non sujette à divulgation. L’argument a fini par faire partie des moyens utilisés par la défense dans l’accusation d’abus de procédure lancée contre le procureur.

La Chambre a rendu sa décision le 20 janvier 2011, reconnaissant que l’Accusation avait eu raison de ne pas divulguer l’évaluation négative faite par l’enquêteur de la crédibilité du témoin en tant que « produit du travail interne ». Toutefois, la Chambre a jugé que « ce sont les renseignements et les documents qui ont conduit à toute évaluation pertinente qui, selon les circonstances, doivent être fournis à la défense. . . Par exemple, dans cette situation, dans la mesure où la crédibilité du témoin 31 est en cause dans ce procès, les circonstances qui ont entouré le retard qu’il a pris dans la communication de documents et autres matériels à l’Accusation (y compris, par exemple, les demandes et les occasions de le faire), ce qui a conduit à la décision des enquêteurs de rompre tout contact avec ce témoin pendant un certain temps, ont pu constituer des informations qui auraient dû être communiquées à la défense. Le fait qu’il a finalement fourni à l’Accusation des cahiers supplémentaires et autres documents n’équivaut pas à ‘faire table rase’ – en fait, les circonstances relatives à la (longue) période au cours de laquelle ce matériel n’était pas disponible peuvent constituer du matériel susceptible d’être divulgué ».

Malgré tout, les principes appliqués par le procureur pour déterminer la nécessité de la divulgation de la note de l’enquêteur étaient justifiés, a déclaré la Chambre, énonçant les catégories de « produit du travail » légitime: i) tous les rapports d’interrogatoire préliminaire ; ii) les informations relatives à la préparation d’une affaire, tels que des mémorandums internes, la recherche juridique, des hypothèses de cas et des stratégies d’enquête ou de procès; iii) des information portant sur les objectifs et techniques d’enquête de l’Accusation; iv) les analyses et les conclusions tirées de témoignages recueillis par le BdP ; v) les notes d’entretien de l’enquêteur telles qu’elles apparaissent dans les déclarations de témoins ou l’enregistrement audio-vidéo de la déclaration; vi) les opinions ou conclusions subjectives de l’enquêteur telles qu’elles sont consignées dans les notes d’entretien de l’enquêteur, et vii) la correspondance interne ».

Cependant, la défense n’a pas été satisfaite de la divulgation effectuée par l’Accusation. Dans un email du 5 novembre 2010, la défense a demandé la divulgation de renseignements sur le « témoin 31 » similaires à ceux commandés pour les intermédiaires 143, 316, et 321 (tableaux basés sur le « système de gestion de contacts situation ») en raison de ses liens avec les intermédiaires. Le témoin a été présenté au BdP par l’intermédiaire 143, a travaillé en étroite collaboration avec l’intermédiaire 321, et a eu des contacts avec huit enfants soldats qui ont un rapport avec la requête portant sur l’abus de procédure, selon la défense. Ils ont ajouté qu’ « il a facilité des rencontres entre les enfants [SUPPRIMÉ] et les enquêteurs de l’Accusation, et en particulier, il a déclaré avoir mis en place des réunions par le biais des travailleurs sociaux, en particulier l’ « intermédiaire 321 » avec trois témoins. Le « témoin 31 »a également participé à des entretiens entre des enfants et des enquêteurs de l’Accusation ».

La Chambre a noté que le « témoin 31 » n’est pas dans la même situation que les intermédiaires, mais « étant donné son implication étroite avec les personnes qui ont potentiellement un rapport étroit avec cette requête portant sur l’abus de procédure, et en tenant compte des facteurs qui ont conduit à des doutes sur sa crédibilité, énoncés ci-dessus, la divulgation des tableaux similaires, basés sur le ‘système de gestion des situations de contacts’, est devenue nécessaire, parce qu’ils sont nécessaires à la préparation de la défense ». La Chambre a ordonné que l’Accusation lui communique le tableau pour examen.

Une conférence de mise en état sur l’affaire est prévue pour le 17 février 2011.