- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

La chambre rend une décision concernant la divulgation des preuves

Le 3 décembre 2010, la Chambre préliminaire I a rendu une ordonnance sur trois requêtes de l’Accusation concernant la non-divulgation de l’information dans le procès de Thomas Lubanga pour crimes de guerre. La défense a soulevé des objections pour certaines, mais pas toutes les demandes de non-divulgation.

Les questions entourant la divulgation sont venues au premier plan à la suite des révélations du « témoin 15 » en juin 2009 selon lesquelles il avait donné à l’Accusation un faux nom et de fausses informations concernant son expérience d’enfant-soldat. La défense a demandé la divulgation de tous les documents en possession de l’Accusation et relatives aux témoins de la défense.

Le statut et les règles de la Cour pénale internationale (CPI) rendent obligatoire la divulgation par l’Accusation à la défense des éléments de preuve tendant à démontrer l’innocence de l’accusé, à atténuer sa culpabilité, ou qui pourraient affecter la crédibilité des preuves de l’Accusation, ainsi que des éléments importants pour la préparation de la défense, destinés à être utilisés par le procureur à titre de preuve, ou obtenus de l’accusé ou lui appartenant.

La réglementation autorise l’Accusation à chercher la sanction du juge pour la rétention, pour des raisons précises, d’informations par ailleurs soumises à divulgation, par exemple, le « produit du travail » de l’Accusation (notes internes, notes des enquêteurs, notes sur la stratégie) dont la divulgation pourrait nuire à une victime ou un témoin.

Parmi les 988 documents identifiés par l’Accusation pour la divulgation à la défense, l’Accusation a demandé que 83 soient expurgés. La défense ne s’est pas opposée à ce que soient supprimées des informations sur l’endroit où se sont déroulés les entretiens avec les témoins et le lieu d’hébergement de ces derniers, la localisation des témoins dans le Programme de protection de la CPI (PPCPI), ou les coordonnées des témoins et autres personnes qui courent des risques en raison des activités de la Cour.

Toutefois, la defense a contesté la demande de l’Accusation concernant l’expurgation de l’identité des intermédiaires, des sources et des pistes de l’Accusation, l’identification du personnel de la CPI, les codes d’identification des témoins et des membres de leur famille ou des tuteurs, et l’identité des personnes ou organismes non pertinents.

En décidant quels renseignements normalement soumis à divulgation peuvent être gardés confidentiels, la Chambre a pris en compte les intérêts de l’Accusation, des témoins, des victimes, de l’accusé, et de la Court. Le procureur a intérêt à empêcher la divulgation de renseignements qui pourraient entraver les enquêtes en cours ou à venir en République démocratique du Congo (RDC). Les victimes, les témoins et leurs familles peuvent subir des représailles si leur identité est connue. D’autre part, la défense a besoin d’avoir accès aux témoins et autres personnes qui pourraient faire la lumière sur les questions pertinentes, comme l’abus de procédure par l’Accusation ou ses témoins. La Chambre est responsable de la tenue du procès d’une manière équitable et rapide, « dans le respect total des droits de l’accusé et de la protection des victimes et des témoins ». Selon la décision de la Chambre d’appel la responsabilité de la Chambre de première instance s’étend aux « personnes qui courent des risques en raison des activités de la Cour », et elle précise que la Chambre doit examiner les effets négatifs de la divulgation à des tiers qui ne comparaissent pas devant la Cour.

En cherchant à concilier les divers intérêts, la Chambre a exposé les bases sur lesquelles elle va décider d’accorder ou non la demande de la partie en matière de non-divulgation de documents normalement soumis à la divulgation : (1) est-ce que la divulgation n’est pas pertinente pour un quelconque problème concernant l’affaire, et est-ce que l’expurgation rendrait le document incompréhensible ou inutilisable? (2) est-ce que les expurgations sont nécessaires pour assurer la sécurité et la sûreté des personnes concernées? (3) est-ce que la non-divulgation ne causera aucun préjudice à l’accusé? (4) est-ce que la réduction des mesures de protection est possible?

La Chambre a appliqué les considérations ci-dessus aux questions contestées à la lumière des allégations d’abus de procédure. Notant qu’elle avait dans le passé autorisé la non-divulgation de l’identité des intermédiaires mais ordonné que l’Accusation révèle l’identité de l’« intermédiaire 143 » à la suite d’accusations selon lesquelles il a été impliqué dans l’abus de procédure, la Chambre a néanmoins accordé la demande du procureur concernant la rétention de l’identité de l’« intermédiaire 273 » parce que « les informations fournies par l’Accusation sur cette personne ne semblent n’avoir aucune importance en l’espèce ».

Bien que la Chambre ait autorisé l’Accusation à retenir l’identité des membres du personnel de la CPI qui ont travaillé sur l’affaire, la question de l’abus de procédure rend l’identité pertinente pour les arguments de la défense, « compte tenu de la suggestion que les témoins ont été indûment influencés et que l’argent des frais ou avantages a été mal utilisé ». La Chambre a ordonné la divulgation confidentielle à la défense des identités, mais pas des coordonnées pour garantir la sécurité du personnel et la capacité de l’Accusation à mener des enquêtes en cours et futures.

L’Accusation a demandé la non-divulgation de l’identité et des informations permettant d’identifier trois témoins extérieurs au procès,  de l’identité de membres de la famille et des tuteurs de cinq témoins, ainsi que l’identité et les destinations des membres de la famille de l’« intermédiaire 316 ». La Chambre a statué que les informations concernant la famille de  l’« intermédiaire 316 » ne sont pas pertinentes et ne doivent pas être divulguées. Dans les cas où la Chambre a ordonné la divulgation parce que l’identité de témoins auparavant anonymes est devenue pertinente pour l’affaire à la lumière de l’allégation d’abus de procédure, la Chambre a également pris des mesures pour protéger ces personnes. Elle a ordonné à l’Accusation d’entrer en liaison avec l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins (VWU) on vue de mettre en place toutes les mesures de protection nécessaires, et a ordonné que « l’information ne soit communiquée à titre confidentiel qu’à la seule défense (c’est-à-dire l’avocat, ses assistants et ‘personne-ressource’) ».

La Chambre a également ordonné la divulgation des six documents en rapport avec les dépenses de l’« intermédiaire 316 » et l’« intermédiaire 320 », mais avec les mesures de protection énoncées dans le paragraphe ci-dessus.

Thomas Lubanga est un ancien chef rebelle accusé de conscription, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants-soldats en RDC de 2002 à 2003. Il est jugé à La Haye depuis janvier 2009.