Rapports quotidiens

22 Novembre 2010

Reprise des témoignages en audience publique avec l’enquêteur de la Division des poursuites

Par Judith Armatta

Les témoignages en audience publique ont repris aujourd’hui au procès de Thomas Lubanga à la Cour pénale internationale (CPI) après une semaine de séances à huis clos pour recueillir le témoignage du « témoin 582 », un enquêteur du Bureau du Procureur (BdP), sous forme de déposition sous serment. Un autre enquêteur du BdP, Nicolas Sebire, également connu sous le nom de « témoin 583 », a témoigné sur la base de sa déclaration écrite.
La Chambre de première instance I entend les témoignages sur la présumée subornation de témoins, à la suite des allégations selon lesquelles des intermédiaires au service du BdP ont soudoyé ou coaché des témoins pour leur faire dire qu’ils ont pris part au conflit de 2002-2003 en République démocratique du Congo (RDC) en tant qu’enfants-soldats de la milice de Thomas Lubanga. L’intermédiaire 316, qui a témoigné plus tôt, a nié ces allégations.
M. Sebire a fait une longue carrière dans les renseignements avec la Division des enquêtes criminelles sur la lutte contre le terrorisme de Paris, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, EUROPOL, la Cour pénale internationale, et INTERPOL. A la Cour, il a expliqué que le BdP a eu recours aux intermédiaires pour localiser des témoins potentiels lorsque ses déplacements en RDC ont été limités à certains moments et lieux géographiques. Selon le témoin, parmi les critères de sélection des intermédiaires il y avait le fait qu’ils n’étaient pas auteurs de crimes et n’étaient pas impliqués dans les combats.
Un intermédiaire identifié comme « M. X » était un agent de renseignement congolais. Au début, M. Sebire a considéré « M. X » comme crédible parce qu’il était en mesure de localiser et de contacter des personnes recherchées par le BdP. Plus tard, cependant, il a commencé à remettre en question la crédibilité de cet intermédiaire. C’est seulement ensuite que M. Sebire a appris que les autres membres du BdP et le Greffe de la CPI ont utilisé « M. X » pour enquêter sur certaines questions. Ni « M. X » ni le personnel de la CPI n’ont informé M. Sebire à l’avance, bien qu’il ait été considéré comme le principal point de contact de l’intermédiaire.

M. Sebire a dit aux juges qu’il n’a jamais soupçonné que « M. X » avait pu préparer les témoins pour qu’ils mentent ou fabriquent des preuves. Selon lui, « M. X » n’était pas présent lors des entretiens avec des témoins et n’a pas reçu les questions à l’avance.

« M. X » a également présenté l’enquêteur au « témoin 35 » et au « témoin 15 ». M. Sebire a encore répété que « M. X » n’était pas présent lors des entretiens et n’a pas reçu les questions à l’avance. Le « témoin 15 » a plus tôt déclaré que « M. X » l’avait soudoyé pour qu’il fasse des fausses déclarations et qu’il (le « témoin 15 ») a menti sur sa propre identité. Cette déclaration a d’autant plus surpris M. Sebire que l’histoire du témoin a été constante sur toute la durée des entretiens, soit plusieurs jours. Un autre intermédiaire a « systématiquement » appelé le « témoin 15 » par le nom qu’il avait donné à l’enquêteur du BdP. Il ne se doutait pas que le « témoin 15 » avait pu mentir.

L’avocat de la défense, Jean-Marie Biju-Duval, a suscité l’accord du témoin sur le fait que le BdP a ouvert un bureau à Bunia en 2006, et qu’en 2007, il était plus facile pour les équipes d’enquête de se déplacer, même si la situation sécuritaire imposait l’utilisation de véhicules blindés. Il n’a pas dit, en audience publique, comment cela a affecté l’utilisation des intermédiaires par le BdP.

En ce qui concerne l’« intermédiaire 316 », M. Sebire a dit à l’avocat de la défense qu’il a commencé à travailler avec son équipe en avril 2005, et il a retenu ses services jusqu’à son départ de la CPI en septembre 2007. Il a été en contact avec l’« intermédiaire 316 » pendant tout ce temps mais avec une fréquence variable. M. Sebire le considérait comme un intermédiaire essentiel parce qu’il a pris contact avec les membres de l’Union des patriotes congolais (UPC), groupe qui selon les procureurs était dirigé par M. Lubanga. Au cours de son contre-interrogatoire, le témoin a admis qu’il n’a jamais demandé à l’« intermédiaire 316 » de fournir des documents attestant l’identité de témoins potentiels. Le BdP a essayé d’obtenir cette information et a parfois demandé que le témoin apporte avec lui des documents d’identité en se présentant pour l’entrevue.

En réponse à M. Biju-Duval, M. Sebire a indiqué qu’il avait favorablement recommandé l’« intermédiaire 316 » lorsque le Bureau du Procureur l’a recruté pour un contrat temporaire en tant qu’agent de  liaison sur le terrain. Il n’a pas été consulté lorsque l’« intermédiaire 316 » a postulé pour un poste permanent. L’intermédiaire n’a pas été choisi parce que son travail a été principalement d’ordre logistique, selon le témoin. Pourtant, M. Sebire l’a plus tard utilisé pour la collecte de renseignements et l’établissement de contacts avec des témoins. Il a alors été fait mention d’un « incident » où des enquêteurs du BdP appartenant à une autre équipe ont accusé l’« intermédiaire 316 » d’avoir menti au sujet des menaces contre des témoins. M. Sebire a dit qu’il n’était responsable d’aucune des deux équipes à l’époque et ne pouvait donc pas faire de commentaires.

Le témoignage et le contre-interrogatoire de M. Sebire ont été interrompus à plusieurs reprises lorsque les juges ont imposé le huis clos pour raison de sécurité, ce qui a nécessairement réduit la compréhension du témoignage par le public.

La chambre a passé les vingt dernières minutes de la séance d’aujourd’hui à essayer d’aider les parties à régler les questions en suspens concernant la divulgation. À la demande expresse de la Chambre, le procureur Manoj Sachdeva a accepté de mettre à la disposition des avocats de la défense une liste des catégories de documents que le « témoin 583 » a reçus pour la préparation de son témoignage, même si le témoin a prétendu qu’il ne les a pas utilisés.

M. Sachdeva a refusé de divulguer des courriels internes concernant de faux témoignages possibles de ses témoins. Le procureur s’inquiétait du fait que cela allait créer un précédent en matière de divulgation des communications internes dans d’autres domaines et réduire la capacité de l’Accusation à procéder à des évaluations. M. Sachdeva a opéré une distinction entre les opinions et les faits, reconnaissant que les faits doivent être divulgués, mais non les opinions. (Par exemple, une communication qui affirme, « Je considère ce témoignage comme non fiable » est une opinion et ne peut donc pas être divulguée, alors que dans la déclaration, « Je considère ce témoignage comme non fiable parce qu’il a dit X ou a fait Y », X et Y sont susceptibles de divulgation.) Le juge président Adrian Fulford a semblé accepter cette distinction. M. Sachdeva a accepté de remettre aux juges les courriels litigieux pour qu’ils les examinent en détail.

Le juge Fulford a ordonné aux parties de tenter de résoudre les questions en suspens entre eux après l’ajournement de la séance d’aujourd’hui. Au cas où ils ne seraient pas en mesure de le faire, ils devront alors en aviser la chambre, qui traitera de la question mardi matin, à la reprise du procès. Ensuite le contre-interrogatoire de M. Sebire se poursuivra.

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