Analyse juridique Rapports du proces

17 Novembre 2010

La Cour décide que l’Accusation a une obligation générale de divulgation

Par Judith Armatta

Vendredi, le 12 novembre 2010, au procès de Thomas Lubanga, les juges de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI) ont décidé que l’obligation du ministère public de révéler des informations à l’accusé est générale, et englobe tous les éléments pertinents en sa possession à l’exception des éléments en rapport avec ses théories ou tactiques. L’avocat de M. Lubanga a soulevé la question de l’étendue de la divulgation le 5 mars 2010, lorsqu’il s’est avéré que l’Accusation interrogeait un témoin de la défense sur la base d’informations non divulguées. La chambre a demandé aux parties de présenter des arguments écrits.

Dans le cadre du Statut de Rome, le traité régissant la CPI, il est enjoint à l’Accusation de communiquer à la défense tous moyens de preuve potentiellement disculpatoires. « Moyens de preuve disculpatoires » signifie des preuves qui, selon l’Accusation : i) démontrent ou tendent à démontrer l’innocence de l’accusé; ii) atténuent la culpabilité de l’accusé, ou iii) sont susceptibles d’affecter la crédibilité des preuves apportées par l’Accusation. En outre, le Règlement de procédure et de preuve déclare que le Procureur est tenu de permettre à la défense « de prendre connaissance des livres, documents, photographies et autres objets se trouvant en sa possession ou sous son contrôle qui sont nécessaires à la préparation de la défense ou qui seront utilisés par le Procureur comme moyens de preuve…  ou qui ont été obtenus de l’accusé ou lui appartiennent ».  

Dans une décision antérieure dans cette affaire, la Chambre d’appel a décidé que la Chambre de première instance a commis une erreur en interprétant les règles de manière trop restrictive « car elle exclut les objets qui, bien que n’étant pas directement liés au caractère disculpatoire   ou incriminant des moyens de preuve, peuvent par ailleurs contribuer à la préparation de la défense. » (Souligné par nous)

Dans sa récente décision, la Chambre de première instance a statué que ce qui est potentiellement pertinent à la préparation de la défense comprend des documents de fond qui « peuvent grandement aider l’accusé à comprendre les moyens de preuve tant disculpatoires qu’incriminants, ainsi que les questions évoquées dans le cadre de l’affaire ». Au nombre de ces moyens de preuve peuvent figurer des informations de base sur le site d’une bataille ou d’un crime, par exemple.

Le procureur s’oppose à l’élargissement de son obligation de mettre des preuves disculpatoires à la disposition de l’accusé. A son avis, l’Accusation ne devrait pas avoir à révéler d’avance les éléments qui allaient lui servir à tester la crédibilité d’un témoin de la défense. Dans une certaine mesure, le contre-interrogatoire est réactionnaire. Bien que les parties soient tenues de fournir un résumé du témoignage qu’un témoin doit faire, il arrive parfois qu’un témoin aille plus loin que cela. Le procureur a fait valoir qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’il livre les éléments dont il se sert dans son contre-interrogatoire lorsqu’il porte sur des questions imprévues.

La chambre de première instance n’est pas d’accord. « L’obligation de divulgation de l’Accusation continue d’exister tout au long du procès, et une fois identifiés des éléments nouveaux à fournir à la défense, cela doit se faire rapidement », a conclu le tribunal.

La chambre de première instance a cité le souci d’efficacité comme raison à sa décision. La connaissance des éléments que l’Accusation se propose d’utiliser dans son contre-interrogatoire permettra à la défense de décider si elle va appeler le témoin ou non. « Cela augmentera la probabilité que les seuls témoins appelés sont ceux qui s’avèrent crédibles et fiables après examen de tous les éléments pertinents,».

M. Lubanga, le présumé ex dirigeant de Union des patriotes congolais (UPC), est en procès à la CPI depuis janvier 2009. Il est jugé pour le recrutement, la conscription et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés en 2002 et 2003 en République démocratique du Congo.

Tout au long du procès, la défense s’est insurgée contre le fait que l’Accusation n’honorait pas son obligation de divulgation. En juin 2008, les juges du procès ont décidé de suspendre l’instance après avoir déterminé qu’il était impossible que le procès soit équitable parce que le procureur n’avait pas communiqué à la défense, ou mis à la disposition des juges, d’importantes preuves potentiellement disculpatoires. Les juges de première instance ont également ordonné la libération inconditionnelle de M. Lubanga, mais la décision n’a pas été exécutée suite à un appel du Procureur. Une fois que l’Accusation a procédé à la divulgation, les juges du procès ont levé la suspension de l’instance le 18 novembre 2008. Cela a ouvert la voie à l’ouverture du procès, le 29 janvier 2009.

Cependant, à ce jour, les avocats de la défense ne sont toujours pas satisfaits du niveau des divulgations effectuées par le ministère public. Au début de ce mois, l’avocat principal de la défense, Me Catherine Mabille, a dit qu’il restait encore de révélations importantes que l’Accusation avait à faire. « Nous ne sommes pas satisfaits de la divulgation par le Bureau du Procureur [concernant] les éléments de la requête pour cause d’abus de procédure », a déclaré Mme Mabille. « Si possible, nous aimerions inclure cette question dans notre requête concernant l’abus de procédure », a-t-elle dit. Le mois prochain, la défense déposera une requête demandant aux juges de classer l’affaire en raison du présumé coaching des témoins de l’Accusation par des intermédiaires du Bureau du Procureur (BdP). Elle a demandé au BdP de divulguer divers documents et communications concernant des intermédiaires qui auraient joué un rôle dans la falsification des preuves.

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