Commentaire Rapports du proces

13 Octobre 2010

Reprise du procès de Lubanga : réactions de l’Ituri

Par Olivia Bueno

Chers lecteurs, veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno de International Refugee Rights Initiative en consultation avec des militants de nationalité congolaise. Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles d’International Refugee Rights Initiative ou d’Open Society Justice Initiative.

La décision rendue le 8 octobre 2010 par la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) était attendue avec appréhension par les victimes de crimes internationaux en Ituri, les politiciens, et d’autres personnes. Alors que l’Union des Patriotes Congolais (UPC) déclarait attendre avec impatience le retour de Thomas Lubanga, de nombreuses victimes craignaient les conséquences possibles en termes de sécurité. Selon la Ligue pour la Paix et les Droits de l’Homme (LIPADHO), basée à Bunia, « les victimes et les intermédiaires étaient inquiets, incertains de la réaction des partisans des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), la branche armée de l’Union des Patriotes Congolais (UPC), toujours très actifs sur le terrain ».

Le procès de Lubanga a été marqué par un certain nombre de rebondissements, dont au moins deux cas où le procureur a été contesté par les chambres pour ce qui est de l’équité de la procédure : dans le premier cas il s’agissait de la confidentialité des documents et dans le deuxième du maintien de l’anonymat de l’« intermédiaire 143 ». En conséquence, beaucoup en Ituri s’attendent à la remise en liberté de Lubanga, de sorte que la décision de la chambre a été une surprise.

Bien que la décision n’ait pas été en faveur de Lubanga car elle signifiait qu’il n’allait pas être remis en liberté et que le procès pouvait reprendre, ces inquiétudes quant à la sécurité se sont avérées sans fondement. Au début, les collègues de Lubanga membres de l’UPC avaient bien accueilli le procès, affirmant qu’il constituait une occasion de prouver l’innocence de Lubanga et d’expliquer la vérité sur ce qui s’était passé en Ituri. Bien qu’ils aient considéré l’annonce de sa possible remise en liberté comme une justification de cette position, ils ont aussi conservé une opinion positive de la récente décision. Pélé Kaswara, un membre du parti cité par Radio Okapi affirme : « Nous sommes satisfaits de cette décision de la chambre d’appel de la Cour. Nous voulons que ce processus soit mené jusqu’à sa fin afin que l’innocence de notre chef soit prouvée. Lui-même est calme. Il aimerait poursuivre le processus parce que toutes les vérités seront remises à jour ». Selon certains observateurs, cette rhétorique positive vise à positionner l’UPC pour les élections de 2011, pour lesquelles le parti a indiqué qu’il espère faire de Lubanga son candidat lorsqu’il reviendra innocenté de La Haye.

Pour leur part, les ONG ont dans l’ensemble salué la décision. Par exemple, l’ONG internationale Redress, qui a travaillé avec des victimes en Ituri, a déclaré : « Nous sommes extrêmement soulagés de voir que ce procès très historique peut enfin reprendre. Ceci est important pour les victimes qui craignaient de perdre leur chance de voir justice faite ». Des victimes citées par la LIPADHO se sont aussi fait l’écho de ce soulagement « Dieu merci, ce que nous craignions qu’il adviendrait de nous n’a pas eu lieu, nous nous préparions lentement à fuir dans la forêt une fois Thomas libéré ; on risquerait de le voir revenir en Ituri et rejoindre son partenaire Bosco Ntaganga qui continue à défier la Cour pénale internationale, pour nous faire taire et même nous exterminer ». D’autres ONG ont salué la décision qu’elles voient comme l’affirmation de l’indépendance et la crédibilité de la CPI.

Dans le même temps, cependant, beaucoup ont exprimé des préoccupations au sujet de l’état d’avancement du procès et la perception de la CPI par le tribunal de l’opinion publique en Ituri. Les retards importants subis à ce jour dans le processus ont sapé la confiance dans l’institution. D’autres ont exprimé un malaise en ce qui concerne le manque d’information et de compréhension du procès. Cet état de faits, ainsi que les nombreuses péripéties du processus ont facilité la propagation de rumeurs et de malentendus.

Il est clair que certains sont frustrés. Xavier Maki, de l’ONG Justice Plus en Ituri fait les réflexions suivantes sur l’impatience de la population : « La population veut savoir si Thomas Lubanga est coupable ou non. La réalité actuelle qui consiste à passer de rapports en rapports ou de voir des blocages dans le déroulement du processus est fatigante pour la population qui attend avec impatience le processus ». Faisant écho à la voix des victimes, Redress note : «  Les retards prolongés dans cette première affaire devant la CPI ont contribué à accroître le désespoir des victimes ». Une autre ONG, l’Association pour la promotion et la défense de la Dignité des victimes (APRODIVI), note qu’elle est « préoccupée par la lenteur », ajoutant que «  le temps est l’ennemi de la preuve, et à mesure que le processus traînera, les victimes disparaitront avec leurs histoires ».

Au-delà de l’impatience, la population de l’Ituri semble penser qu’il ne s’agit pas seulement d’un simple retard malheureux, mais qu’il y a manipulation de la cour (on reproche souvent au procureur des machinations politiques). Cette inquiétude sur la possibilité de manipulation du processus a été exacerbée par un déficit en matière d’information sur la CPI et le fonctionnement du procès. Cependant, il y a eu de la part de la cour l’effort de fournir des informations, mais il est clair que le niveau d’information sur la procédure est limité. Par exemple, certaines personnes ayant un intérêt dans la procédure n’étaient pas au courant de la date à laquelle la décision devait être rendue, malgré les craintes de la réaction de l’UPC pour laquelle ils auraient aimé se tenir prêts.

Bien que l’on prenne de plus en plus conscience de la présence de la catégorie d’individus connus sous le nom d’intermédiaires au cœur de la débâcle actuelle (et un problème de protection au fur et à mesure que l’on s’intéresse à l’identification de ces personnes), on ne sait pas clairement sur le terrain quel rôle ces individus peuvent jouer. Avec la mauvaise comprehension que les gens ont d’un procès équitable et des questions de confidentialité en général, beaucoup de gens ne comprennent pas comment le fait de ne pas révéler le nom d’un intermédiaire pourrait arrêter ou faire redémarrer le procès.

Dans la rhétorique politique, on s’épanche également sur les doutes au sujet de la CPI. Bien que la réaction publique de l’UPC à la décision la plus récente soit positive, il y a eu également des allégations de manipulation. Certains dans le parti, et plus généralement des membres de l’ethnie Hema qui constitue la base de Lubanga, voient la CPI, et plus précisément le Bureau du Procureur, comme politisée. Comme André Kitio, coordonnateur national de la Coalition congolaise pour la CPI, décrit le sentiment parmi les Hema (ethnie de Lubanga):

À leur avis, les juges ont démontré leur indépendance par rapport au Bureau du Procureur de la CPI, et à la politique [en ordonnant la suspension de l’instance]. En outre, selon eux, les difficultés de procédure auxquelles l’Accusation a eu à faire face montrent que Lubanga n’aurait jamais dû être poursuivi.

Certains Hema croient que l’Accusation traque Lubanga parce qu’elle est incapable de fournir des preuves. On ne sait pas si la récente décision de la Chambre a eu un impact sur cette opinion.

Si certains pensent que le processus devrait se poursuivre jusqu’à la fin afin de permettre à Lubanga d’être innocenté, il existe d’autres pour qui les péripéties interminables du procès montrent que l’Accusation souffre d’un manque de crédibilité. Par exemple, un cadre de haut rang du FNI, le parti politique qui rivalisait avec l’UPC de Lubanga dans les violences qui ont déclenché l’enquête de la CPI en Ituri, a demandé pourquoi le procureur continue à tergiverser au lieu de présenter des preuves des crimes que lui-même a proposé de présenter (probablement une référence au manque d’empressement du Bureau du Procureur lorsqu’il s’est agi de livrer le nom des intermédiaires). Ils font valoir qu’une telle action est quelque chose de jamais vu en droit. Si le tribunal n’a pas de preuves, disent-ils, alors il devrait être remis en liberté.

Moins ouvertement, d’autres personnes sur le terrain susurrent que la libération de Lubanga pourrait avoir des conséquences non seulement pour les témoins et les victimes, mais aussi en termes plus généraux pour la sécurité. Certains craignent que son retour en Ituri ne puisse renforcer la mobilisation ethnique, qui est déjà forte et qui aurait gagné en force depuis l’annonce de la suspension de l’instance. Certains extrémistes Lendu ont déjà exprimé leur grande colère contre ce qu’ils considèrent comme étant la dernière d’une longue série d’injustices : que leurs congénères soient poursuivis alors que Lubanga peut être remis en liberté. Bien que ces craintes aient été momentanément apaisées par cette dernière décision, cette voix, si on la laisse se faire entendre, pourrait mettre de l’huile sur le feu des tensions entre les groupes – ou d’un conflit éventuel. Cette peur de la montée des tensions et des conflits potentiels est reprise en écho par certains membres de la société civile.

La semence de cette opinion des Lendu selon laquelle la CPI ne traite pas leur cause d’une manière équitable avait déjà été plantée par l’approche que la Cour a des accusations et de la situation des victimes. Bien que les victimes des attentats de Bogoro (qui constituent le fondement des accusations portées contre Ngudjolo et Katanga) soient des rappels visibles de la victimisation des Hema dans le conflit, les victimes de Lubanga ne fournissent rien de semblable. En raison de la nature des charges retenues contre Lubanga – recrutement d’enfants soldats, ceux qui sont reconnus comme des victimes sont en fait surtout des Hema, non pas des Lendu. Parce que le procès est naturellement impopulaire au sein de leur groupe (les Hema), ils sont aussi moins visibles : la plupart de ceux qui pourraient être considérés comme des victimes tentent de se cacher plutôt que d’attirer l’attention sur leur statut. Il est donc difficile de recueillir les points de vue des victimes.

La dernière décision est une avancée à saluer, mais les réponses montrent aussi clairement qu’il y a des réticences croissantes en ce qui concerne la Cour, réticences qui vont de l’impatience aux soupçons de manipulation politique. Il est également évident que la CPI doit prendre au sérieux ces préoccupations à la fois par la sensibilisation croissante et en répondant à certaines des questions de procédure qui ont conduit au retard afin d’améliorer la façon dont elle est perçue sur le terrain.

Mots clés: , , , , , , , , ,