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Le procès de Lubanga jette la lumière sur la détresse des enfants soldats

Quelle que soit la façon dont se terminera le procès de Thomas Lubanga à la Cour pénale internationale (CPI), il aura incontestablement contribué à propulser sous les projecteurs du monde le phénomène des enfants soldats et la détresse qu’ils vivent.

En emmenant les anciens enfants soldats à La Haye et en leur faisant raconter comment ils ont été enrôlés de force, la formation éreintante qu’ils ont endurée, les batailles qu’ils ont livrées, et comment ils ont vu leurs camarades tuer et se faire tuer au combat, le procès a donné au monde une image vivante des horreurs de l’utilisation des enfants soldats.

Outre les dix anciens enfants soldats qui ont témoigné, il y a aussi eu des experts qui ont fait des témoignages sur l’utilisation d’enfants soldats, à l’invitation des juges et des procureurs. Les niveaux élevés de stress post-traumatique chez les anciens enfants soldats, la raison pour laquelle de nombreux groupes armés se sont mis à utiliser des combattants mineurs, et la raison pour laquelle certaines familles en la République démocratique du Congo (RDC) ont boudé leurs enfants qui ont abandonné la milice ont constitué certaines des questions abordées par les experts à la Cour.

Le Statut de Rome qui a créé la CPI décrit un enfant soldat comme un enfant de moins de 15 ans et interdit le recrutement ou l’enrôlement d’un tel enfant dans l’armée.

Dans son témoignage du 7 janvier 2010, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés, Radhika Coomaraswamy, a fait remarquer que le procès Lubanga a été le premier dans l’histoire au niveau international à définir le cadre de la criminalité liée à la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants dans des conflits armés. Elle a souligné que les dirigeants des groupes armés ne pouvaient pas se cacher derrière l’excuse selon laquelle un enfant aurait volontairement rejoint leurs groupes.

Mme Coomaraswamy a dit aux juges qu’il était important que leur décision tienne compte de ce que les filles faisaient quand elles étaient dans des groupes armés, qu’elles aient ou non pris part directement aux combats dans les conflits armés. Selon elle, les filles soldats ont joué des rôles multiples tels que le combat, les missions de reconnaissance, le portage, et l’esclavage sexuel.

Selon le témoignage de l’expert Elisabeth Schauer, les enfants soldats ont été utilisés dans plusieurs conflits récents. Mme Schauer, qui est psychologue clinicienne, a déclaré au procès que les enfants soldats ont été moins chers à recruter et à entretenir que les adultes. En outre, les enfants étaient considérés comme sans peur et faciles à endoctriner en raison de leur capacité limitée à apprécier le danger.

Toutefois, d’autres experts ont témoigné que les enfants se portaient parfois volontaires pour rejoindre les forces armées. Cela pourrait être du à la pauvreté, à une tentative d’échapper à la violence, ou au désir de défendre leur communauté lorsqu’elle était  la cible d’attaques. Cependant les experts ont fait valoir que la décision prise par un enfant de rejoindre un groupe armé ne pouvait pas être considérée comme « volontaire » d’un point de vue psychologique.

En RDC, des milices ont utilisé des milliers d’enfants dans des conflits armés depuis l’entrée en vigueur de la CPI en juillet 2002. M. Lubanga – la première personne à être jugé par la CPI – est poursuivi pour utilisation d’enfants soldats dans des conflits armés en 2002 et 2003. Selon les procureurs, à l’époque, il a dirigé le groupe rebelle Union des patriotes congolais (UPC).

Sont également poursuivis par la CPI pour utilisation d’enfants soldats (parmi plusieurs autres charges) : Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, dont les groupes ont mené des combats à motivation ethnique contre l’UPC.

La défense de M. Lubanga a affirmé que plusieurs enfants se sont portés volontaires pour rejoindre l’UPC. En fait, la défense n’a pas contesté l’accusation selon laquelle il y avait des enfants soldats dans l’UPC. Elle a plutôt a contesté la version de l’accusation concernant la façon dont les enfants sont devenus des combattants dans le groupe. La défense a aussi rejeté les allégations selon lesquelles M. Lubanga a joué un rôle dans le recrutement de mineurs. La défense a soutenu que l’UPC n’avait pas de politique de recrutement de mineurs, et a plutôt indiqué que M. Lubanga avait résolument cherché à démobiliser les enfants soldats du groupe.

Au cours de leur comparution à la barre des témoins, d’anciens enfants soldats ont raconté une histoire différente de celle de la défense de M. Lubanga. Ils ont raconté avoir été enlevés par la milice UPC alors qu’ils se rendaient à l’école et soumis à un entrainement très dur dans les camps de l’UPC où les sanctions pour désobéissance aux ordres allaient de l’emprisonnement dans des fosses gorgées d’eau à la flagellation. Selon eux, ceux qui étaient reconnus coupables de désertion étaient fusillés par un peloton d’exécution.

En outre, ils ont raconté qu’ils restaient plusieurs semaines sans prendre un bain, qu’ils étaient forcés par leurs supérieurs d’extorquer de l’argent aux civils, et que les commandants violaient systématiquement les filles soldats. Beaucoup d’entre eux ont déclaré avoir été forcés de fumer du cannabis avant d’aller au combat, car leurs commandants croyaient que la drogue rendait les mineurs intrépides.
Un bon nombre d’anciens enfants combattants ont raconté comment ils ont tué et ont vu leurs pairs se faire tuer. Un de ces anciens enfants soldats, qui est à la fois témoin et victime participant au procès, a témoigné le 14 janvier 2010. Se souvenant d’une bataille à laquelle il a pris part au début en 2003 en tant que combattant de l’UPC, il a dit, « Ce jour-là, des gens ont été tués. J’ai vu des gens mourir à côté de moi. Ils tombaient comme des mouches. Même nos amis avec qui nous étions sont morts. Les commandants mouraient aussi ».

Ces dépositions ont présenté quelques-uns des récits de première main les plus intimes d’enfants soldats qui aient jamais été entendus par une Cour internationale.

Cependant, l’utilisation d’enfants soldats reste très répandue, bien que selon certains observateurs des groupes armés dans des pays comme la Colombie et le Népal ont cessé d’utiliser les enfants soldats à la suite du procès de M. Lubanga.

Dans son rapport annuel au Conseil de sécurité sur les enfants et les conflits armés en mai 2010, Mme Coomaraswamy a noté que tandis que le Burundi, le Népal et le Soudan – entre autres – sont près de mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats, il y avait encore de nombreuses violations systématiques des droits des enfants dans les conflits armés. Il s’agit notamment de divers groupes armés dans le pays d’origine de M. Lubanga, la RDC.

En outre, le procès de Lubanga a également montré la difficulté à prouver l’âge des témoins qui ont été présentés comme anciens enfants soldats. Alors que les experts ont reconnu que les techniques de détermination de l’âge ne sont pas infaillibles, ils ont néanmoins indiqué que les études de radiographies des mains, des poignets, et les mâchoires de ces personnes ont indiqué que certains n’avaient que 10 ou 11 ans au moment où l’UPC aurait utilisé des enfants soldats.

De plus, parce que la plupart de ces témoins n’ont pas de certificat de naissance, et les dossiers scolaires en RDC étaient manquants ou peu fiables, il n’était pas toujours possible d’établir l’âge réel des témoins qui ont affirmé avoir été des enfants soldats dans le groupe dont M. Lubanga aurait été le chef.

Il est également à noter que la défense de M. Lubanga a rejeté comme faux tous les témoins qui ont affirmé avoir été ex-enfants soldats de l’UPC, les accusant d’avoir été coachés par des agents des enquêteurs de l’accusation pour faire de faux témoignage contre M. Lubanga.

Néanmoins, quelle que soit la manière dont se terminera le procès de M. Lubanga, il est largement reconnu qu’il aura permis de mettre en lumière et d’exposer devant la communauté internationale le crime d’utilisation d’enfants soldats.