Rapports du proces

28 Septembre 2010

Les juges du procès de Lubanga rejettent la tentative du procureur d’interroger des témoins

Par Wairagala Wakabi

Les juges de première instance ont refusé une demande présentée par les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) portant sur l’autorisation d’interroger les témoins restants du procès de Thomas Lubanga alors que les procédures sont toujours suspendues.

Dans une décision rendue le 24 septembre 2010, les juges Adrian Fulford, Elizabeth Odio Benito, et René Blattmann ont rejeté la demande de l’accusation au motif que le Bureau du Procureur (BdP) n’avait pas abordé l’une des deux raisons qui ont conduit à la suspension des procédures.

Les juges ont souligné que les procureurs avaient respecté l’ordre de divulguer l’identité de l’« intermédiaire 143 » à la défense. Cependant, les procureurs ont omis de déclarer si oui ou non ils obéiraient aux ordres émis par les juges s’ils estimaient que ces ordres allaient à l’encontre des autres obligations de l’accusation. « On n’a pas du tout parlé de ce second élément de la décision de la chambre dans les conclusions de l’accusation », ont déclaré les juges, ajoutant qu’on s’est contenté de faire allusion à la question, en passant, dans le cadre de l’historique de la suspension des procédures.

Dans une déposition du 16 septembre 2010, le procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo a demandé aux juges de première instance de permettre aux procureurs de recueillir les dépositions de témoins qui devaient témoigner au procès pour crimes de guerre de M. Lubanga avant la suspension des procédures. Il a suggéré que si la suspension était levée par la chambre d’appel, alors les juges du procès décideraient s’il ya lieu d’admettre le témoignage comme preuve dans l’affaire.

Dans leur décision rendue la semaine dernière, les juges du procès ont déclaré qu’il leur fallait répéter que justice ne pouvait plus être rendue dans l’affaire Lubanga tant que le Procureur continuait à se réserver le droit de ne pas exécuter les ordres de la chambre s’il était d’avis qu’ils étaient en conflit avec l’interprétation qu’il faisait de ses autres obligations. Dans ce cas, les juges perdraient le contrôle d’un aspect important du procès, a ajouté la décision.

« En effet, il est possible que la chambre ne soit même pas au courant de cas où ses décisions ne sont pas appliquées si cette approche est permise. Il s’agit d’une atteinte grave à la suprématie du droit, aussi bien dans le cas de procédures dans lesquelles des preuves « provisoires » sont reçues que dans le cas d’une reprise du procès. Les garanties d’un procès équitable seraient absentes dans les deux cas », ont déclaré les juges.

En outre, les juges ont noté que la chambre était tenue de veiller à ce que le procès de l’accusé soit conduit dans le respect total de ses droits. Ils ont ajouté : « La chambre n’est pas en mesure de s’acquitter de cette obligation alors que le procureur refuse d’accepter l’autorité de la Cour. Le respect des ordonnances judiciaires se trouve au cœur du principe de la primauté du droit – il s’agit d’un des ingrédients inamovibles et fondamentaux d’un procès pénal équitable ».

Les procédures ont été suspendues au procès Lubanga en juillet dernier après le refus de l’accusation d’appliquer l’ordre de divulguer l’identité d’une personne qui a aidé à entrer en contact avec des témoins à charge. Le BdP a ensuite déclaré que la divulgation de l’identité de l’intermédiaire avant la mise en place pour lui de mesures de protection telles que son déplacement vers une autre localité aurait mis sa vie en danger.

En suspendant le procès, les juges ont souligné qu’aucune juridiction pénale ne pourrait fonctionner sur la base du fait qu’à chaque fois qu’elle rend une décision dans un domaine donné, il revient au procureur de décider s’il va appliquer ou ne pas appliquer cette décision, selon la conception qu’il se fait de ses obligations. Ils ont ajouté que c’était aux juges, et non au procureur, de décider des mesures de protection pendant le procès.

M. Lubanga, le présumé ancien chef du groupe rebelle de l’Union des patriotes congolais (UPC), est en procès pour la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats dans des conflits armés en 2002 et 2003. Il a rejeté ces accusations.

Les représentants légaux des victimes participant au procès ont fait valoir qu’étant donné que l’identité de l’« intermédiaire 143 » a été divulguée par l’accusation le 13 septembre, il est inutile de maintenir la suspension des procédures.

L’avocat principal de la défense, Catherine Mabille a toutefois rejeté la demande de l’accusation concernant la possibilité de recueillir les dépositions des témoins restants et l’a qualifiée de « manifestement irrecevable ». Elle a fait valoir que l’accusation a eu tort de supposer que l’arrêt des procédures était essentiellement fondée sur la non-divulgation de l’identité de l’« intermédiaire 143 » et que, une fois son identité divulguée, le procès pouvait reprendre.

Par ailleurs, Mme Mabille a déclaré que c’était à la chambre d’appel de décider s’il convient d’annuler la suspension des procédures et d’ordonner la reprise du procès, ou d’inviter la Chambre de première instance à réexaminer la question.

L’accusation a interjeté appel de la suspension de la procédure et de la décision de remise en liberté de M. Lubanga, décisions rendues par les juges de première instance le 15 juillet 2010.

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