- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Le co-auteur manquant de Lubanga : qui est Bosco Ntaganda?

Chers lecteurs, veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno de « International Refugee Rights Initiative » en consultation avec des personnes de nationalité congolaise. Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles d’Open Society Justice Initiative ou de « International Refugee Rights Initiative ».

Pour les observateurs de la Cour pénale internationale (CPI), il y a eu un foisonnement d’activités autour de la récente suspension du procès de Thomas Lubanga. Le Bureau du Procureur a interjeté appel et les spectateurs attendent avec impatience la décision de la Chambre d’appel. Dans le même temps, on a parlé de l’échec de la cour qui n’a pas réussi à arrêter un homme sur qui pesaient les mêmes charges – Bosco Ntaganda.

Ntaganda vit au vu et au su de tous à Goma et a été intégré dans l’armée congolaise depuis qu’il a signé un accord de paix en 2009 avec le Gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC), au nom du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), le groupe rebelle dans lequel il s’activait. Depuis lors, il y a eu beaucoup d’inquiétudes concernant le rôle qu’il continue à jouer. Certains ont exprimé leur préoccupation au sujet de la reprise des armes par le CNDP, dont les structures de commandement et de contrôle sont, selon la rumeur, restées en place malgré son intégration dans l’armée. D’autres ont exprimé leur inquiétude sur le fait que l’ONU pourrait potentiellement se souiller les mains en collaborant avec les violateurs des droits de l’homme parmi les ex-rebelles et les forces gouvernementales, y compris Ntaganda.

L’activiste Georges Kampiamba, de la Coalition congolaise pour la CPI, récemment cité dans un reportage de l’Institute for War & Peace Reporting (IWPR), a déclaré : « Sa présence au sein de l’armée constitue une menace aussi bien pour les victimes que pour les témoins et contribue à l’aggravation de la tension dans la région ». En Ituri, des rumeurs circulent selon lesquelles le gouvernement a perdu le contrôle de Ntaganda et qu’il organise de nouveaux groupes rebelles en Ituri. Selon les spéculations des analystes, Ntaganda a eu un accord informel avec le gouvernement assurant qu’il ne sera pas arrêté et, s’il était arrêté, le CNDP pourrait reprendre les hostilités. Toutefois, interrogé sur ces préoccupations, un militant de l’Ituri déclare : « S’il était arrêté? Qui va l’arrêter? », l’implication étant que la perspective d’une arrestation était si éloignée que de telles préoccupations méritent à peine qu’on en parle.

À la lumière des discussions qui se poursuivent sur le cas Ntaganda et de l’impact de l’échec à l’arrêter, il est intéressant d’explorer l’histoire de ce personnage.

Les origines de Bosco Ntaganda sont obscures. Selon le mandat d’arrêt de la CPI, Ntaganda est « considéré comme un ressortissant rwandais ». Toutefois, selon un militant de l’Ituri, « Je n’ai jamais entendu dire cela, on a toujours dit que c’est un Tutsi du Nord-Kivu comme Laurent Nkunda [l’ancien président du CNDP]. »

De militants de l’Ituri rappellent que Ntaganda, ou le Commandant Bosco, a fait sa première apparition en Ituri en 2000. Les forces rwandaises et ougandaises se sont récemment affrontées à Kisangani – ce qui a conduit à la formation des deux factions du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), le Rwanda penchant pour le RCD-Goma et l’Ouganda prenant le parti du RCD-ML. Malgré son identification comme « rwandais », Ntaganda se trouvait du côté du professeur Wamba dia Wamba qui était pro ougandais. C’est comme employé de l’administration du RCD-ML qu’il est arrivé à Bunia, seulement quelques mois après l’explosion des tensions entre Hema et Lendu en un conflit violent.

Dans le cadre du RCD, il est probable que les origines « rwandaises » de Ntaganda le rendaient suspect et l’identifiaient avec les concurrents du mouvement. Se sentant mis à l’écart par dia Wamba, il n’est peut-être pas surprenant qu’il ait finalement fait cause commune avec Lubanga, qui à l’époque critiquait fortement dia Wamba pour son soutien présumé des Lendu dans les affrontements interethniques qui avaient lieu. On rapporte qu’il s’était rapproché des  Hema du mouvement qui gardaient John Tibasima (aujourd’hui sénateur). Au moment où des conflits internes opposaient dia Wamba à Mbusa et Tibasima, Ntaganda était déjà clairement intégré parmi les Hema.

Pendant ce temps, on assistait à une aggravation des tensions politiques. Bosco Ntaganda et plusieurs rebelles Hema se sont mutinés et se sont dirigés vers le sud où ils seront rejoints par Thomas Lubanga pour constituer une milice Hema et demander le départ de Wamba dia Wamba de l’Ituri.

Un militant raconte comment les ougandais, pour calmer la situation, ont dépêché une mission militaire pour convaincre les militants Hema d’abandonner leur mutinerie. Ils ont offert une formation pour le groupe en Ouganda sous le commandement de Lubanga et ont fait arrêter Ntaganda. Alors que Lubanga était Ministre de la Défense au sein du RCD-ML, des hommes d’affaires Hema ont pris contact avec les autorités ougandaises pour demander la remise en liberté de Ntaganda, ce que l’Ouganda a accepté. Lorsque Lubanga est retourné à Bunia en 2001 pour servir sous Mbusa Nyamwisi, il a rapidement gâché ses relations avec son patron en essayant de donner le commandement de la ville à Ntaganda. Mbusa a contesté ce choix et le différend a créé une scission du RCD-ML sur des bases ethniques, les Hema soutenant Lubanga et les Lendu soutenant Nyamwisi.

C’est à cette époque que Lubanga a été arrêté par les Ougandais et remis aux autorités de Kinshasa. Alors que Lubanga était en prison, Ntaganda et le chef Kahwa auraient mis en place une base militaire à Mandro et a commencé la formation de jeunes Hema avec le soutien de certains officiers de l’armée ougandaise et des approvisionnements du Rwanda.

A partir de cette base, ils prendront le contrôle de la ville de Bunia et ses environs, le 9 août 2002. Lubanga fera un retour triomphal à Bunia et formera un gouvernement avec Ntaganda comme Chef d’État-major de l’armée. Lubanga dirige l’aile politique, l’Union des patriotes congolais (UPC), Ntaganda l’aile militaire, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Le mandat d’arrêt de la CPI affirme que Ntaganda était le troisième dans l’ordre hiérarchique dans la structure militaire. Cependant les militants de l’Ituri le considèrent comme ayant joué un rôle crucial, en particulier dans le rapprochement du mouvement avec le Rwanda. 

Dans le mandat d’arrêt délivré par la CPI, Ntaganda, comme Lubanga, est accusé d’enrôlement d’enfants soldats. Toutefois, en sa qualité de chef de l’aile militaire de l’UPC, il a été associé à un certain nombre d’opérations du mouvement qui comprennent les campagnes sanglantes et les attaques contre des civils et des villages Lendu et Ngiti. Parmi les autres crimes dans lesquels Ntaganda auraient été impliqué à cette période, le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ) signale des attaques contre des villages Lendu et Ngiti, y compris Songolo et Zumbe où des civils ont été massacrés, des maisons brûlées, et le pillage a été généralisé. A Kilo et Mongbwalu, il est accusé d’avoir supervisé le massacre de civils en raison de leur appartenance ethnique. Entre août 2002 et mars 2003, on rapporte qu’il a conçu l’arrestation, la torture et le meurtre de nombreux civils Lendu et Ngiti.

Relations avec Lubanga

Comme l’a relaté un militant local, « Il est important de se rappeler que Ntaganda était en train de mobiliser la milice Hema alors que Lubanga était un simple porte-parole de la jeunesse Hema ». On susurre que Lubanga ne contrôlait pas Ntaganda et que ce dernier était un agent des rwandophones soupçonnés d’avoir contrôlé l’UPC.

Lubanga et Ntaganda ont été défaits par les forces de défense de l’Ouganda et se sont réfugiés au Rwanda jusqu’à la reprise de l’Ituri par l’UPC le 12 mai 2003. Ntaganda a été en charge de l’organisation de la branche armée de l’UPC, qu’il aurait utilisée pour concevoir des attaques contre des civils et le personnel des Nations Unies (ONU). En juin 2004, il aurait assassiné un membre des forces de maintien de la paix des Nations Unies.

Alors que le conflit tirait à sa fin, le gouvernement de la République démocratique du Congo a offert à Ntaganda et d’autres, dont Floribert Kisembo, Germain Katanga, et d’autres anciens groupes armés de l’Ituri l’occasion de signer des accords politiques et de recevoir des postes du gouvernement. Ntaganda a refusé et a rejoint le CNDP de Laurent Nkunda au Nord-Kivu, où il a pris le poste de chef d’état-major.

Accusé de nombreux autres crimes pendant qu’il était au CNDP, notamment le massacre de populations civiles à Kiwanja, Ntaganda finalement renversé Nkunda au début de 2009. Il a rapidement signé un accord de paix avec le gouvernement de la RDC, ce qui lui a permis, lui et son mouvement d’être intégrés dans l’armée et de vivre ouvertement à Goma. Les unités du CNDP dans l’armée ont collaboré avec le gouvernement du Rwanda et les Nations Unies dans des opérations contre les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) comme Umoja Wetu et Amani Leo. On dit qu’à ce jour, il garde le contrôle de forces armées.

Ntaganda a été un rebelle prolifique et s’est impeccablement adapté à son profil d’agent du gouvernement, qui lui offre une protection contre les arrestations. Cette nouvelle identité gouvernementale représente un défi permanent pour la Cour.