Rapports quotidiens

15 Juillet 2010

Libération de Lubanga : Transcription (non-officielle) de l’ordonnance des juges

Par Wairagala Wakabi

Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont aujourd’hui ordonné la libération de l’ancien chef rebelle congolais Thomas Lubanga, qui est en procès depuis janvier l’année dernière. M. Lubanga est accusé de recrutement, enrôlement et utilisation d’enfants soldats dans les conflits armés en République démocratique du Congo en 2002 et 2003. Mais selon les juges, du fait du refus par les procureurs d’appliquer les directives données la semaine dernière par les juges, il n’est plus possible que l’accusé ait un procès équitable. Voici la transcription non officielle de la décision de remise en liberté rendue aujourd’hui par le juge président Adrian Fulford:

«C’est la deuxième fois que la Chambre suspend ce procès en raison du vice de procédure dont se rend coupable l’accusation. La première fois c’était en le 13 juin 2008, quand la Chambre a décidé qu’un procès équitable pour l’accusé n’était pas possible compte tenu de la non-divulgation par le Procureur d’éléments qui pouvaient potentiellement le disculper et qui, d’après ce que l’on a dit à la Chambre, étaient couverts par des accords de confidentialité conformément à l’article 54 (3)e du Statut de Rome.

A cette première occasion, après avoir imposé la suspension, la Chambre a accordé l’autorisation d’interjeter appel le 2 Juillet 2008 et ordonné la libération de l’accusé en se fondant sur le fait que selon article 58 (1) b du Statut, sa détention avant le début du procès ne peut se justifier que si elle est nécessaire à garantir sa comparution au procès, afin de veiller à ce qu’il ne fasse pas obstacle à l’enquête ou à la procédure devant la Cour, ni n’en compromette le déroulement, ou si elle est nécessaire pour empêcher qu’une personne poursuive l’exécution de crimes relevant de la compétence de la Cour et se produisant dans les mêmes circonstances.

La Chambre a ordonné la libération inconditionnelle de M. Lubanga sous réserve des dispositions de l’article 185 du Règlement de procédure et de preuves, étant donné qu’à l’avis de la Chambre un procès équitable était impossible pour l’accusé et qu’il n’existait plus aucune justification pour sa détention, sauf que l’application de la décision serait retardée de cinq jours, afin de protéger les droits de l’accusation à interjeter appel, et qu’au cas où un appel serait interjeté, la Chambre a ordonné que la décision de remise en liberté soit encore retardée en attendant une décision de la Chambre d’appel sur l’opportunité ou non de suspendre la décision de remise en liberté (si dans la requête d’autorisation d’appel il avait été demandé que la décision ait un effet suspensif).

Cette décision a fait l’objet d’une révision par la Chambre d’appel le 21 octobre 2008 en ce sens que la Chambre d’appel a décidé que la Chambre de première instance aurait dû considérer qu’elle a à sa disposition l’éventail complet des options jusqu’à, et y compris, la libération sans conditions en particulier en cas de suspension conditionnelle.

La Chambre d’appel a souligné qu’avec un événement de ce genre, il n’est pas de coutume que la Chambre retarde l’examen de la détention de l’accusé, jusqu’à après la conclusion de l’appel sur le fond. En ce qui concerne la suspension du procès, le Procureur a indiqué qu’il va demander l’effet suspensif si l’autorisation d’appel est accordée.

Dans ces conditions, il est à ce stade demandé à la Chambre de ne pas prendre de nouvelles mesures dans la procédure et y compris l’examen de la question de sa détention jusqu’à ce qu’elle ait réglé la question de la demande d’autorisation d’appel et si elle est accordée, jusqu’à ce que la Chambre d’appel se soit prononcée sur la question de l’effet suspensif.

L’argumentation en faveur de ces propositions met l’accent sur la nécessité d’éviter tout préjudice inutile, d’éviter le gaspillage des ressources de la Cour sur les procédures qui peuvent être rendues sans objet si l’autorisation d’appel et l’effet suspensif sont accordés, et plus généralement pour éviter une procédure contentieuse inutile.

L’accusation cherche à introduire une distinction entre cette suspension du procès et la précédente suspension, en faisant valoir que la Chambre envisageait cette suspension comme étant seulement temporaire. À l’appui de cette thèse, l’accusation se fonde sur le paragraphe 31 de la décision de suspension où apparaît l’expression « pour toute la durée de la suspension ». Dans sa plaidoirie devant nous cet après-midi, l’avocat de l’accusation a suggéré que notre décision imposant la suspension était une ordonnance de sursis. En outre, il est soutenu que le délai ne sera pas long, on a fait allusion à une période de deux mois comme étant le délai dans lequel la Chambre d’appel peut être en mesure de statuer sur l’appel de fond. Pour sa part, le BCPV (Le Bureau du conseil public pour les victimes) a mis l’accent sur l’arrêt de la Chambre d’appel dont il a déjà été fait mention et en particulier sur les dangers que pourraient courir les victimes en cas de libération de l’accusé, et ces arguments sont avancés dans le cadre de la thèse selon laquelle il s’agit en tout cas de graves accusations qui restent présentes même si elles sont en suspens.

Analyse: Lorsqu’on se focalise donc sur la question du maintien en détention de l’accusé, les circonstances actuelles sont essentiellement les mêmes que la situation à laquelle s’est trouvée confrontée la Chambre en juillet 2008. La Chambre a de nouveau décidé que l’accusation a de manière flagrante manqué à l’une de ses obligations fondamentales, ce qui lui fait conclure qu’il est impossible que l’accusé ait un procès équitable. Le procureur n’a pas demandé la levée de la suspension et en lieu et place, le BdP a indiqué que « le Procureur … a décidé que l’accusation préfère faire face aux conséquences néfastes pouvant découler de son action devant la Cour plutôt que de voir une personne exposée au danger en raison de son interaction préalable avec le Bureau ».

Ainsi, on ne sait absolument pas ce qui va se passer si la Chambre d’appel confirme la décision contestée et en particulier sur la base des observations écrites par le Procureur, il n’est pas du tout certain que, dans ces conditions, le respect des directives du tribunal sera assuré. Par conséquent, on ne peut pas dire qu’il s’agit nécessairement d’une suspension temporaire ou que cette suspension a été imposée de manière conditionnelle. Comme cela a déjà été souligné, l’accusation n’a pas demandé la levée de la suspension mais a plutôt choisi d’exercer son droit à interjeter appel. Dans ces circonstances, nul ne sait si ce procès va reprendre à un certain moment dans le futur et l’avenir de l’affaire dépendra, entre autres de la décision finale de la Chambre d’appel et, éventuellement, de l’attitude ultérieure du Procureur. Toutefois, il est possible qu’il soit nécessaire d’examiner d’autres questions en temps voulu.

La Chambre ne peut se pencher que sur la situation actuelle. Le procès a été interrompu car il n’est plus équitable et l’accusé ne peut être maintenu en détention préventive sur une base spéculative, à savoir qu’à un certain moment dans l’avenir, la procédure peut être ressuscitée. Comme indiqué ci-dessus, la Chambre d’appel a abordé la question des circonstances dans lesquelles un accusé doit être libéré et, en particulier si sa libération doit être l’objet de restrictions, dans son arrêt du 21 octobre 2008, dans lequel elle a fait observer que la Chambre de première instance doit tenir compte, notamment, de la nature conditionnelle de la suspension si tel est le cas, lors de l’examen de la libération inconditionnelle. En outre, elle devra examiner toutes les options à sa disposition.

Comme exposé ci-dessus, la Chambre a imposé une suspension inconditionnelle du procès, et en tenant compte de l’incertitude générale quant à la reprise de l’affaire à l’avenir, ainsi que du temps que l’accusé a déjà passé en détention, toute décision autre que la libération sans condition serait injuste. L’accusé doit donc être libéré sans conditions sous réserve de ce qui suit : cet ordre ne doit pas être exécuté avant l’expiration du délai de cinq jours pour interjeter appel. Si un appel est interjeté dans le délai de cinq jours contre cette décision de remise en liberté et si une demande est faite de suspendre son effet, l’accusé restera en détention jusqu’à ce que la Chambre d’appel se prononce sur la suspension de cette décision de remise en liberté. En tout état de cause, la décision de remise en liberté de l’accusé ne peut être appliquée qu’après que des dispositions ont été prises pour son transfert vers un Etat qui est tenu de le recevoir. Voir règle 185 du Règlement de procédure et de preuves.

1 Comment

  1. Nous remercions la CPI pour ce dur travail qu’il abbat pour juger le criminel de toute la nation signataire de ce traité de Rome. Mais nous nous demandons pourquoi deux poids deux mesures càd la coalition qui etait partie detruire l’IRAK soit disant ce dernier detient les armes en detruiction massive mais n’ayant rien trouvé Qu’est c que la CPI a-t-elle fait pour ce gens la. Et voulez encore vous retardez sur le Soudanais. VRAIMENT agissez aussi contre les forts, pour n’ai pas tenir l’image de notre institution. Mes sinceres felicitaion

    Commentaire par franck — 30 Juillet 2010 @ 09:18