Rapports quotidiens

15 Juillet 2010

Les juges ordonnent la libération de Lubanga

Par Wairagala Wakabi

Les juges à la Cour pénale internationale (CPI) ont ordonné aujourd’hui la libération inconditionnelle de l’accusé de crimes de guerre Thomas Lubanga Dyilo, qui est détenu à La Haye depuis mars 2006.

Toutefois, M. Lubanga – la première personne à être jugée par la CPI – restera en détention si les procureurs font appel de la décision de le libérer.

« La chambre a imposé une suspension inconditionnelle du procès, et en tenant compte de l’incertitude générale quant au recommencement de l’affaire à l’avenir, ainsi que du temps que l’accusé a déjà passé en détention, toute décision autre que la libération sans condition serait injuste », a déclaré le juge président Adrian Fulford dans une décision cet après-midi.

Selon lui, M. Lubanga devra donc être libéré sans condition si l’accusation ne fait pas appel de la décision dans les cinq jours. « Dans le cas où un appel serait interjeté dans le délai de cinq jours et s’il était demandé que l’appel ait un effet suspensif, l’accusé resterait en détention jusqu’à ce que la chambre d’appel se soit prononcée sur la suspension de la décision de mise en liberté », a expliqué le juge.

Les juges ont ajouté que l’ordre de levée d’écrou de l’accusé ne pourra être appliqué qu’après que des dispositions aient été prises pour son transfert vers un Etat qui devra le recevoir.

Les procureurs de la CPI allèguent que M. Lubanga était le chef de l’Union des patriotes congolais (UPC) et des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), qui ont utilisé des enfants soldats dans les combats interethniques dans la province d’Ituri au Congo. Toujours selon les procureurs, l’UPC a utilisé des centaines de jeunes enfants – certains âgés de seulement 11 ans – pour tuer, piller et violer.

Tant le Bureau du Procureur (BdP) que les représentants légaux des victimes participant au procès se sont opposés à la libération de M. Lubanga avec des arguments présentés à la Cour cet après-midi.

Soutenant que l’ordre des juges de la semaine dernière concernait une suspension du procès plutôt que la fin du procès, Paolina Massidda, Conseil principal du Bureau du conseil public pour les victimes, a déclaré : « Il semblerait aussi que la suspension conditionnelle ou temporaire des débats, comme c’est le cas en l’espèce, ne doit pas forcément conduire à la libération de [l’accusé] ».

« La situation qui prévaut actuellement dans la partie orientale de la RDC reste instable, les représentants légaux des victimes voudraient également attirer l’attention de la Chambre sur le fait que l’accusé a, au cours du procès, connu l’identité de tous les témoins du BdP ainsi que l’identité des nombreuses victimes qui ont pris part à ce procès », a déclaré Massidda. « Dans ce cas particulier, les charges pèsent encore sur l’accusé. Il s’agit d’accusations graves et nous devons continuer à prendre en compte la gravité de ces accusations. Ainsi, nous demandons à la Chambre de confirmer et de poursuivre le maintien en détention de M. Lubanga. »

La coordonnatrice de l’accusation Sara Criscitelli a également fait valoir que puisqu’il n’a pas été mis fin au procès de façon définitive, il n’était pas souhaitable de libérer M. Lubanga. En outre, a-t-elle ajouté, il y avait un risque de fuite de l’accusé.

« S’il est libéré, il n’existe aucun moyen de garantir son retour. Et avec l’appel, il y a la possibilité que le jugement en appel soit cassé, et on retournerait au procès ; or on a déjà libéré une personne et il est possible qu’elle ne se trouve plus dans la juridiction », a déclaré Criscitelli.

Jeudi dernier, les juges ont suspendu les débats au procès pour crimes de guerre de M. Lubanga, en se fondant sur un vice de procédure de la Cour. Les juges ont précisé que la cause première de la suspension a été le refus de l’accusation d’appliquer une directive des juges qui voulait que soit révélée l’identité de l’intermédiaire 143, qui a aidé les enquêteurs de l’accusation à identifier les personnes qui pourraient témoigner contre Lubanga.

Le personnel de la Division des poursuites a fait valoir que révéler l’identité de l’intermédiaire 143, avant la mise en place de mesures de protection pour lui, aurait mis sa vie en danger.

C’est la deuxième fois que les juges du procès de M. Lubanga suspendent le procès pour vice de procédure et ordonnent sa libération. La première fois c’était en le 13 juin 2008, quand les juges ont décidé qu’un procès équitable pour l’accusé n’était pas possible compte tenu de la non-divulgation par le BdP d’éléments qui pouvaient potentiellement le disculper. L’accusation a fait valoir que ces documents étaient couverts par des accords de confidentialité.

En octobre 2008, la Chambre d’appel a infirmé la décision de la Chambre de première instance, ouvrant ainsi la voie à un démarrage du procès le 26 janvier 2009.

Au cours de l’audience d’aujourd’hui, l’avocat principal de la défense Catherine Mabille a déclaré que le Procureur a été ‘la seule personne’ responsable des retards causés par cette nouvelle suspension du procès.

« M. Thomas Lubanga est incarcéré depuis le 17 mars 2006, soit plus de quatre ans. La défense a aujourd’hui fait valoir que Thomas Lubanga doit être libéré parce que cette durée n’est absolument plus raisonnable, en aucune façon ni d’aucune manière. »

La défense de M. Lubanga ne s’est pas opposée à la demande du BdP qui voulait interjeter appel du sursis à statuer. On s’attend à ce que l’accusation dépose sa requête dans les cinq prochains jours, ce qui signifie que M. Lubanga va rester en détention jusqu’à ce que la Chambre d’appel rende une décision.

(NDLR : Voir le message ci-dessous pour la transcription complète (non officielle) de la décision des juges.)

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