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Les paiements aux intermédiaires occupant le devant de la scène au procès de Lubanga

Cette semaine, la défense de Thomas Lubanga, un homme accusé de crimes de guerre, s’est concentrée sur l’argent versé par un membre du personnel du Bureau du Procureur (BdP) à quatre intermediaires qui ont contribué à mettre les enquêteurs de l’accusation en contact avec des témoins.

Au cours de la déposition du coordinateur de liaison sur le terrain du BdP en République Démocratique du Congo (RDC), le principal avocat de la défense, Catherine Mabille a parlé en détail de plusieurs paiements effectués par ce témoin au bénéfice d’intermédiaires et de témoins, surtout d’anciens enfants soldats.

Au nombre des dossiers financiers passés en revue figurent ceux relatifs à ‘l’intermédiaire 143’. Selon le témoignage de plusieurs témoins de la défense, ‘l’intermédiaire 143’ aurait soudoyé et coaché des témoins de l’accusation, en particulier ceux qui ont plus tard déclaré à la Cour qu’ils étaient d’anciens enfants soldats de l’Union des Patriotes Congolais (UPC).

L’intermédiaire doit comparaître à la barre des témoins pour répondre aux allégations de falsification de preuves contre M. Lubanga.

L’unique témoin de la semaine a expliqué que la plupart de ces paiements étaient destinés aux frais de transport, de séjour et de communication des intermédiaires. Dans certains cas, le loyer a été payé pour les intermédiaires lorsqu’on les déplaçait pour raison de sécurité.

Au cours de son troisième jour de témoignage, le témoin a expliqué que des enquêteurs du BdP basés en RDC et à La Haye le contactaient pour effectuer des paiements à des intermédiaires. «Je peux connaître ou ne pas connaître la destination des sommes versées », a-t-il dit.

Mme Mabille a interrogé le témoin au sujet des paiements à des intermédiaires qui ont été identifiés comme étant ‘M. X’, ‘M. Y’, ‘M. Z’, et ‘l’intermédiaire 143’. Trois d’entre eux ont présenté d’anciens enfants soldats au témoin, qui les a sélectionnés et les a remis aux enquêteurs pour des entrevues en profondeur. La plupart de ces enfants sont ensuite devenus des témoins de l’accusation.

«Tous les gens qui travaillent en tant qu’intermédiaires pour le BdP sont payés selon les différentes tâches qu’ils effectuent », a-t-il expliqué. «Il y a un papier, un dossier qui est préparé par les enquêteurs au siège. Ce sont eux qui assurent le suivi des tâches sur le terrain et préparent un document indiquant le nombre de jours de travail que les intermédiaires ont effectués sur le terrain, et c’est sur cette base que le paiement est effectué. »

Le témoin a indiqué qu’il connait l’intermédiaire 143’ depuis environ 2007.

« Diriez-vous que ‘l’intermédiaire 143’ travaille toujours comme intermédiaire pour le BdP ? », a demandé Mme Mabille.

« À ma connaissance, oui », répondit le témoin. « On ne m’a pas informé que ‘l’intermédiaire 143’ n’est plus un intermédiaire. »

Toutes les questions suivantes au sujet de ‘l’intermédiaire 143’ et des témoins qu’il a présentés au BdP ont été posées au témoin à huis clos.

Le témoin, qui a fait sa déposition avec des mesures de protection telles que la déformation de la voix et du visage, était le premier à comparaître à la barre parmi les trois membres du personnel du BdP appelés à témoigner sur injonction des juges. En outre, il y aura le témoignage de trois intermediaries qui ont joué un rôle dans l’identification de témoins à charge.

Les juges ont demandé que le BdP fasse venir son personnel et quelques-uns de ses intermédiaires pour répondre au témoignage de la défense selon lequel des intermédiaires ont coaché des témoins de l’accusation. Au nombre des témoins qui auraient été coachés figurent ceux qui ont déclaré avoir été des anciens enfants soldats de l’UPC.

M. Lubanga est jugé à la CPI pour conscription, enrôlement et utilisation d’enfants soldats dans un conflit armé alors que, selon l’accusation, il dirigeait l’UPC.

Le témoin de cette semaine a déclaré à la Cour qu’on n’a jamais promis ou donné aux enfants qui ont témoigné à charge une incitation financière pour qu’ils fassent un témoignage incriminant.

« Pendant le temps que vous étiez avec des enfants ou des adultes, leur avez-vous, à quelque moment que ce soit, prodigué des conseils ou des encouragements en ce qui concerne ce qu’ils devaient dire aux enquêteurs? » a demandé le procureur Nicole Samson.

Réponse du témoin : « Il ne s’est passé rien de ce genre … Il n’a pas été nécessaire de prodiguer des encouragements. »

Mme Samson a ensuite demandé au témoin s’il a promis aux enfants ou leurs parents quelque chose en échange de leur coopération avec les enquêteurs.

«Mon travail consistait à emmener les enfants rencontrer les enquêteurs et je me suis limité à [cela] … Donc, aucune promesse n’a faite aux parents ou aux enfants », a-t-il-répondu.

Mme Nicole Samson a demandé au témoin, qui est toujours basé en RDC, s’il lui arrivait parfois de payer des témoins et des intermédiaires.

Il a répondu que dans le cadre de son activité quotidienne, chaque fois qu’il fallait payer un témoin ou un intermédiaire, il consultait ses supérieurs hiérarchiques à La Haye, et si le paiement était approuvé, il déboursait l’argent.

Mme Samson a demandé à l’enquêteur d’expliquer combien il a payé à un intermédiaire dénommé «M. X » au cours d’une opération spéciale. L’enquêteur a répondu que, lorsque M. X a demandé de l’argent pour son transport vers un certain endroit, il a bien vérifié avec des collègues si c’était bien le montant exact nécessaire pour ce voyage. Il a ensuite discuté de la question avec ses supérieurs et une fois le montant approuvé, il a versé l’argent à M. X

« Et lors de cette opération spéciale, avez-vous jamais donné de l’argent à M. X pour autre chose que ces frais de transport? » a demandé Mme Samson, parlant d’une opération dont les détails avaient été discutés à huis clos.

«Non. L’argent versé à M. X au cours de toutes ces opérations a été essentiellement pour son transport pour faire venir les enfants, me les amener, et les remmener », a déclaré le témoin, faisant référence à d’anciens enfants soldats qui ont ensuite témoigné pour l’accusation. Il a dit que tout l’argent donné à M. X, à d’autres intermédiaires et aux témoins, a fait l’objet d’une décharge, avec indication de la date de réception et de l’objet du paiement.

Mme Samson a ensuite demandé à l’enquêteur si à un quelconque moment au cours de cette opération M. X lui a dit qu’il pensait ou savait que l’un des enfants que l’intermédiaire avait rencontrés mentait lorsqu’il a dit avoir été un enfant soldat.

Le témoin a déclaré que M. X ne lui a jamais rien dit de la sorte. «S’il m’avait dit une chose pareille, j’aurais réagi immédiatement. J’aurais informé mes supérieurs que cet enfant qui m’a été envoyé, qui a été interrogé, n’avait jamais été enfant soldat ou avait menti », a déclaré le témoin.

Le procès continue la semaine prochaine avec le témoignage d’un intermédiaire.