Commentaire Rapports du proces

27 Mai 2010

Vue d’ensemble de l’affaire Lubanga: déclarations des témoins, arguments de l’accusation et de la défense

Par Wairagala Wakabi

Thomas Lubanga est la première personne à être jugée par la Cour Pénale Internationale (CPI). M. Lubanga, qui est âgé de 49 ans, a comparu pour la première fois devant la cour à La Haye le 20 mars 2006, et est jugé pour les crimes de guerre de conscription, enrôlement et utilisation d’enfants soldats dans un conflit armé en République Démocratique du Congo (RDC) au cours des années 2002 et 2003.

Les procureurs de la CPI accusent M. Lubanga d’avoir été le chef de l’Union des Patriotes Congolais (UPC) et des Forces Patriotiques pour la Libération du Congo (FPLC) et d’avoir utilisé des enfants soldats dans un conflit interethnique dans la province congolaise de l’Ituri. Les procureurs accusent l’UPC d’avoir utilisé des centaines de jeunes enfants soldats, dont certains n’étaient pas âgés de plus de onze ans, pour  tuer, piller et violer.  

Le 8 mai 2010, la défense avait déjà appelé dix-huit témoins à la barre, soit plus que la moitié du nombre total de témoins qu’elle se proposait de faire comparaître. Quant à l’accusation elle a appelé vingt-huit témoins dont trois experts, alors que la cour a appelé trois témoins experts en plus. En outre, trois des cent trois  victimes participant au procès ont témoigné.

Deux témoins, qui figuraient sur la liste de l’accusation mais n’ont pas pu témoigner ont également témoigné depuis le début du plaidoyer de la défense en janvier dernier – mais non pas en tant que témoins à charge car une partie de leur témoignage était en faveur de M. Lubanga. Le 19 mai 2010, les juges du procès ont révélé qu’un enquêteur du Bureau du Procureur (BdP) de la CPI et deux intermédiaires des enquêteurs de l’accusation allaient comparaître à la barre sur injonction de la défense.

Les témoins déjà présentés à ce stade

Le procès a débuté le 26 janvier 2009 et l’accusation a conclu son plaidoyer le 14 juillet 14 2009. On pensait alors que le plaidoyer de la défense commencerait en octobre 2009. Mais en mai 2009, les représentants légaux des victimes participant au procès ont demandé à la cour de requalifier les charges pesant sur M. Lubanga en y incluant celles d’esclavage sexuel et de traitement cruel.

En juillet 2009 la cour a admis qu’une requalification était possible, bien qu’il ait eu un désaccord entre le juge président Adrian Fulford et la majorité des juges. La cour d’appel a plus tard annulé cette décision en décembre 2009, ce qui a ouvert la voie à la présentation du plaidoyer de la défense.

Et le 27 janvier 2010, soit un an et un jour après l’ouverture du plaidoyer de l’accusation, l’avocat principal de la défense, Catherine Mabille a présenté le plaidoyer de la  défense dans ses grandes lignes. Après avoir déclaré que M. Lubanga n’a jamais recruté ou utilisé des enfants soldats, elle a accusé les témoins à charge d’avoir été coachés par les intermédiaires des enquêteurs de l’accusation de la CPI, et a enfin ajouté qu’après avoir appelé à la barre ses seize premiers témoins, la défense allait demander qu’un non-lieu soit prononcé pour cause de vice de procédure. Outre les dix-neuf personnes qui ont témoigné depuis l’ouverture du procès, elle va entendre un témoin de plus, puis l’enquêteur et les deux intermédiaires, et ensuite demander aux juges de prononcer un non-lieu.

Le mois de mars 2010 a vu la réapparition à la barre d’un ancien témoin à charge qui avait brièvement témoigné en juin dernier mais avait vu son témoignage interrompu d’une façon dramatique lorsqu’il a déclaré à la cour que le témoignage qu’il allait faire avait été fabriqué de toutes pièces avec l’assistance d’un intermédiaire des enquêteurs de l’accusation de la CPI

Les arguments de l’accusation

L’accusation soutient que M. Lubanga était le chef suprême de l’UPC et du FPLC ; et qu’il visitait et inspectait les camps d’entraînement du FPLC, supervisait la conduite des affaires militaires et nommait aux rangs supérieurs du FPLC, recherchait des financements pour l’UPC/FPLC et négociait la fourniture d’armes et autres équipements militaires.

Les procureurs soutiennent aussi que M. Lubanga a personnellement pris part au recrutement des enfants soldats, à leur entraînement et à leur utilisation dans un conflit armé. Ainsi que l’a affirmé le procureur Moreno-Ocampo au début du plaidoyer de l’accusation, « Les enfants étaient lâchés dans des zones de combat avec pour instruction de tuer tout le monde, militaires comme civils, hommes, femmes ou enfants. On les a forcés à tuer toutes les personnes d’ethnie lendu, car les lendu étaient l’ennemi. »

Certains témoins de l’accusation ont déclaré en audience publique qu’ils ont souvent vu M. Lubanga dans des camps d’entraînement ou qu’il y avait des enfants soldats chez lui. Cependant, un grand nombre de témoins qui ont témoigné en audience publique n’ont pas fait de rapport direct entre M. Lubanga et le commandement militaire de la milice. La plupart d’entre eux ont identifié M. Bosco Ntaganda et M. Floribert Kisembo comme étant les hommes chargés des questions militaires.

Les arguments de la défense

L’équipe de défense de M. Lubanga a soutenu qu’aucun des témoins de l’accusation qui se sont présentés comme étant ex enfants soldats de l’UPC ne l’a jamais été. La défense soutient également que l’UPC n’avait pas de politique de recrutement pour les enfants soldats. Pour ce qui est des enfants qui se sont portés volontaires pour rejoindre le FPLC, a dit Mme Mabille, des témoins de la défense vont prouver que « pendant les quelques mois où il a eu des responsabilités, M. Lubanga a fait tout son possible pour démobiliser les mineurs présents dans les rangs du FPLC. »

Cependant, les procureurs soutiennent que selon le Statut de Rome le fait que les enfants ont « volontairement » rejoint l’UPC/FPLC ou lui ont été confiés par leurs parents n’a absolument aucune importance. Selon le substitut du procureur Fatou Bensouda, « le fait d’accepter dans le service militaire des soi-disant volontaires âgés de moins de quinze ans constitue un crime », ce qui selon elle rend M. Lubanga responsable même si les enfants se sont volontairement engagés.

La défense a tenté de jeter le discrédit sur les témoignages faits par les témoins de l’accusation et les victimes participantes sur le fait que M. Lubanga était le commandant de la milice de l’UPC, et qu’il a pris part à l’enrôlement et l’utilisation d’enfants de moins de quinze ans. Selon la défense, ses témoins vont témoigner qu’à l’époque où M. Lubanga exerçait un certain contrôle, il a fait tout son possible pour démobiliser des enfants soldats, malgré les difficultés de la mise en œuvre de cette politique de démobilisation.

Ces arguments ont été répétés par Mme Mabille lorsqu’elle a ouvert le plaidoyer de la défense le 27 janvier 2010. Elle a déclaré : « En particulier nous nous proposons de démontrer que tous les individus qui ont été présentés (par les procureurs) comme étant des enfants soldats, ainsi que leurs parents dans certains cas, ont délibérément menti devant cette cour. La défense a l’intention de montrer que six s’entre eux n’ont jamais été enfants soldats, le septième a menti sur son âge et les conditions de son enrôlement, et le huitième n’a jamais appartenu à l’UPC. »

Le 8 mai 2010, quelque dix-huit témoins de la défense avaient déjà témoigné, la plupart à hui clos et avec des mesures de protection telles que déformation de la voix et du visage et l’utilisation de pseudonymes. Un peu avant le début du plaidoyer de la défense, l’équipe de défense de M. Lubanga avait déclaré que la plupart de ses témoins allaient témoigner en public sans mesures de protection. Cependant, la majorité d’entre eux ont demandé une protection, en disant qu’ils craignaient des représailles éventuelles au cas où on saurait qu’ils ont témoigné au procès.

La plupart des témoins de la défense qui ont fait une partie de leur déposition en audience publique ont déclaré que des intermédiaires des enquêteurs de l’accusation de la CPI ont coaché des témoins et fabriqués des preuves de toutes pièces en vue d’impliquer M. Lubanga. Ils ont ensuite ajouté que les intermédiaires ont payé des gens qui ont dit aux enquêteurs qu’ils avaient combattu comme enfants soldats dans la branche armée de l’UPC.

Ces témoins, qui auraient été coachés, auraient aussi déclaré qu’un intermédiaire du BdP leur avait dit de dire qu’ils connaissaient M. Lubanga, que les commandants du FPLC étaient sous ses ordres directs, qu’il y avait dans le groupe des filles enfants soldats qui étaient souvent sexuellement abusées par les commandants du FPLC, et que les enfants soldats de l’UPC étaient enrôlés plutôt que recrutés.

Cependant les procureurs ont affirmé à beaucoup de témoins de la défense qu’ils étaient des menteurs dont les témoignages ne peuvent pas être crus car ils avaient déjà avoué avoir menti aux enquêteurs de l’accusation pendant plusieurs années.   

La défense a aussi produit deux témoins, tous les deux soi-disant anciens enfants soldats de l’UPC, qui ont prétendu que leur identité avait été volée par deux individus qui avaient ensuite bénéficié du statut de victimes participant au procès. Les deux individus qui auraient utilisé des identités volées ont témoigné devant la cour en janvier dernier, et raconté qu’ils ont été enlevés, torturés à l’entraînement, et forcés à prendre part à des combats qui ont couté la vie à certains de leurs amis.

Quelques questions qui vont continuer à se poser

Il y a un certain nombre de questions dont on a beaucoup parlé dans le procès et quelques-unes de ces questions vont continuer à occuper le devant de la scène à mesure que le procès avancera.

Vice de procédure
Une de ces questions c’est le présumé vice de procédure dans la collecte des preuves et le rassemblement des personnes qui ont témoigné contre M. Lubanga. La défense indique qu’elle a l’intention de faire comparaître à la barre près de vingt-et-un témoins qui vont prouver que les preuves ont été fabriquées, puis demander aux juges de prononcer un non-lieu pour vice de procédure. L’accusation nie qu’il y ait eu un quelconque vice de procédure, et promet de s’opposer vigoureusement à cette prétention de la défense. La requête de la défense concernant le non-lieu pour vice de procédure doit être déposée en ce mois de juin.

Rôle des intermédiaires
Une autre question apparentée qui risque de se révéler très importante c’est le rôle des intermédiaires des enquêteurs de l’accusation de la CPI. Divers témoins de la défense les ont impliqués dans la fabrication et la corruption des preuves. En fait, on peut dire que tous les témoins de la défense entendus en audience publique considèrent les soi-disant exemples de vice de procédure qui selon la défense constituent une raison pour que les juges prononcent un non-lieu comme étant le fait des intermédiaires plutôt que des membres du BdP ou d’autres organes de la CPI.

Tellement de choses ont été dites par les témoins de la défense au sujet des intermédiaires que les juges ont demandé au Bureau du Procureur (BdP) s’il envisageait d’appeler certains d’entre eux à la barre. Les juges ont aussi décidé qu’étant donné les preuves apportées sur le rôle joué par un intermédiaire en particulier, la défense avait le droit de connaître son identité.

Est-ce que M. Lubanga était responsable des affaires militaires de l’UPC?                                         
L’autre question qui pourrait être d’une importance capitale est la question de savoir si M. Lubanga était responsable des affaires militaires de l’UPC/FPLC. Selon la déclaration liminaire de M. Moreno-Ocampo, M. Lubanga serait le fondateur de l’UPC et du FPLC. Le procureur de la CPI accuse aussi M. Lubanga d’avoir été le commandant en chef du FPLC, à partir de septembre 2002 et au moins jusqu’en fin 2003. L’accusation soutient également que M. Lubanga a ordonné et supervisé le recrutement d’enfants soldats dans sa milice.

La défense a contesté ces arguments et promis d’apporter la preuve que « Thomas Lubanga le dirigeant politique n’a joué aucun rôle dans la création des forces militaires de l’UPC et n’a en aucune façon délibérément participé à un plan commun de recrutement de mineurs. »

Connaissance et responsabilité
Est-ce que les enfants soldats de l’UPC/FPLC étaient enrôlés ou recrutés? La défense de M. Lubanga a nié qu’il ait enrôlé ou utilisé des enfants soldats. La défense a soutenu qu’au contraire M. Lubanga s’opposait à l’enrôlement et à l’utilisation des enfants combattants. Selon plusieurs témoins de l’accusation, l’UPC/FPLC enrôlait des enfants dont certains tout juste sortis de l’école primaire. Certains témoins de l’accusation ont raconté à la cour comment ils ont été enlevés, enrôlés et entraînés dans des conditions inhumaines dans les camps militaires de l’UPC, puis forcés à prendre part aux combats.

Cependant on a entendu une toute autre histoire du côté de la défense. D’abord, la défense a affirmé que tous les témoins de l’accusation qui ont prétendu avoir été des enfants soldats de l’UPC ont menti. Deuxièmement, la défense a indiqué qu’elle n’a pas l’intention de montrer qu’il n’y a pas de mineurs dans les rangs du FPLC. Elle se propose plutôt de répondre à des questions telles que : est-ce que M. Lubanga a été l’initiateur du recrutement de mineurs dans les forces de l’UPC, est-ce qu’il a d’une façon ou d’une autre contribué au recrutement de mineurs, et que pensait-il de la présence de mineurs dans les troupes de l’UPC?

La défense a argué du fait que beaucoup d’enfants se sont portés volontaires pour rejoindre le groupe armé car ils voulaient être comme les enfants de leur classe d’âge qui étaient des soldats et passaient leur temps à rançonner les civils, ou tout simplement parce qu’ils n’avaient rien de mieux à faire dans la situation de guerre où ils se trouvaient. D’autres témoins – y compris des experts cités à comparaître par les procureurs et par la chambre – ont laissé entendre que dans une guerre aux motivations ethniques, il est possible que les enfants soient forcés par leur famille ou les anciens de leur communauté, à rejoindre des groupes armés pour défendre leur communauté et se protéger de l’ostracisme.

En affirmant que M. Lubanga n’a pas pris part au recrutement de mineurs, et que quand il en avait le pouvoir il a fait de son mieux pour démobiliser des enfants soldats, la défense essaie de blanchir M. Lubanga des trois accusations de conscription, enrôlement et utilisation d’enfants soldats.

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