- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Les juges ont entendu qu’un intermédiaire avait coaché un témoin de l’accusation

Un ex-témoin de l’accusation qui avait déclaré à la Cour en juin dernier avoir menti aux enquêteurs de la Cour pénale internationale (CPI) s’est présenté cette semaine une nouvelle fois à la barre et a affirmé qu’un intermédiaire travaillant pour les enquêteurs de l’accusation lui avait préparé les mensonges qu’il avait ensuite répété aux enquêteurs.

Le témoin a ajouté que, toutefois, les enquêteurs du Bureau du Procureur (BdP) n’avaient pas participé à la fabrication de sa déclaration. « Les enquêteurs ne m’ont influencé d’aucune façon », a-t-il déclaré.

Le témoignage de ce témoin, désigné sous le nom de « témoin 15 », a continué à mettre l’accent sur le rôle que les intermédiaires avaient joué dans le rassemblement des témoins et des preuves contre Thomas Lubanga.

Lundi, avant que le « témoin 15 » n’apporte son témoignage, le juge Adrian Fulford avait déclaré que la défense était en droit de connaître l’identité de certains des intermédiaires qui avaient assisté les témoins.

Il a ordonné que l’identité d’un intermédiaire spécifique soit divulguée immédiatement « car les témoignages que nous avons entendus depuis le début du mois de janvier » concernent le rôle qu’il a joué.

Le procureur Manoj Sachdeva a indiqué mercredi que les procureurs faisaient appel de cette décision.

Il a déclaré que la divulgation aurait de « graves conséquences en matière de sécurité potentielle de nos intermédiaires, de leurs familles et des organisations dans lesquelles ils travaillent et, de plus, devrait même rendre encore plus difficile l’exercice des fonctions de procureur sur le terrain lors d’enquêtes dans les zones de conflit ».

Plusieurs témoins de la défense ont affirmé que les intermédiaires avaient acheté des témoins pour fabriquer des témoignages incriminant M. Lubanga, accusé d’avoir utilisé des enfants soldats dans un conflit interethnique en République démocratique du Congo en 2002 et 2003.

Cette semaine, le témoignage du dixième témoin appelé par la défense s’est déroulé sur deux journées et en totalité à huis clos.

Entre-temps, dans son témoignage de mercredi, le « témoin 15 » avait décrit comment avait été fabriquée la déclaration qu’il avait faite aux enquêteurs en 2005.

« Á chaque fois que je rencontrais les enquêteurs, un intermédiaire venait me voir à l’hôtel. Il m’indiquait tout ce que je devais dire », a précisé le témoin.

Il a ajouté : « Bien qu’il m’indiquait tout ce que je devais relater, il ne se présentait pas devant les enquêteurs. Il me donnait les lignes directrices et j’étais autorisé à ajouter quelques détails. »

Ce témoin avait apporté un bref témoignage pour l’accusation en juin dernier et avait déclaré avoir menti aux enquêteurs du BdP, ce qui avait brutalement mis un terme à sa déposition.

Les juges avaient ensuite ordonné qu’une nouvelle déclaration soit faite par le « témoin 15 ». Il avait apporté une nouvelle déclaration en juin dernier devant les équipes de l’accusation et de la défense.

Le procureur Nicole Samson a indiqué cette semaine que, dans sa déclaration de 2005, le « témoin 15 » avait affirmé qu’il y avait des enfants, dont certains étaient âgés de 12 ans, dans le camp d’entraînement militaire dirigé par l’Union des patriotes congolais (UPC) à Mandro et dans le quartier général situé dans la ville de Bunia.

Mme Samson a déclaré qu’il avait également prétendu que, lorsqu’il était dans l’UPC, avoir souvent aperçu les dirigeants de la milice armée de l’UPC lorsqu’ils se rendaient au quartier général de l’UPC afin de rencontrer M. Lubanga.

Ce dernier est jugé devant la CPI pour avoir procédé au recrutement, à l’enrôlement et à l’utilisation d’enfants soldats. La Cour allègue qu’il a été le chef de l’UPC et de sa branche armée.

Cette semaine, le « témoin 15 », qui bénéficiait de mesures de protection, a déclaré que contrairement à ce qu’il avait indiqué aux enquêteurs en 2005, il n’avait jamais servi dans l’UPC. Il a précisé que ses affirmations précédentes, dans lesquelles il indiquait avoir vu les commandants Bosco Ntaganda et Floribert Kisembo au quartier général de l’UPC, étaient également fausses.

Dans sa déclaration de 2005, le « témoin 15 » avait déclaré que de nombreux enfants étaient présents au quartier général de l’UPC et que certains d’entre eux étaient les gardes du corps de M. Ntaganda et de M. Kisembo. Il a précisé « qu’ils étaient petits et que les armes qu’ils portaient étaient plus grosses qu’eux », selon les extraits de la déclaration lus mercredi par les procureurs devant la Cour.

Mme Samson a demandé au témoin s’il s’était déjà rendu dans le camp d’entraînement de l’UPC situé à Mandro.

« Je n’ai jamais participé à un entraînement militaire de l’UPC », a affirmé le témoin.

Les procureurs ont indiqué que, dans sa déclaration, le témoin avait décrit son enlèvement par des combattants de l’UPC, l’entraînement qu’il aurait subi à Mandro ainsi que les sanctions infligées aux recrues s’enfuyant de Mandro. Il avait relaté aux enquêteurs un incident pendant lequel quelques soldats avaient été exécutés après avoir été attachés à un arbre.

Lors de l’interrogatoire de Mme Samson, il a confirmé que la totalité de l’argent donné par les enquêteurs était destiné à ses frais de transport, de téléphone et de repas et qu’il avait signé un reçu à chaque versement d’argent. « Ce n’était ni une rémunération ni un salaire », a-t-il déclaré.

Mme Samson lui a demandé s’il avait lu et confirmé l’exactitude de sa déclaration aux enquêteurs avant de la signer.

« Non, je n’ai pas lu la déclaration. La personne qui m’avait emmené auprès de l’enquêteur m’avait en quelque sorte préparé. Il m’a dit que je ne devais pas la lire. Que je devais prétendre ne pas pouvoir lire et avoir des problèmes de vue ».

Le « témoin 15 » a également déclaré que certains fonctionnaires de la CPI l’avaient ignoré à plusieurs reprises lorsqu’il avait cherché à confesser le fait d’avoir menti aux enquêteurs de l’accusation. Il a expliqué que le personnel de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins (VWU) et les enquêteurs de l’accusation avaient ignoré ses demandes de bénéficier d’un avocat et avait suggéré qu’il utilise ses propres ressources s’il ne souhaitait pas utiliser les services des avocats fournis par la Cour.

Le témoignage du « témoin 15 » a fait écho à ceux de plusieurs témoins de la défense incriminant les intermédiaires dans la fabrication de témoignages contre M. Lubanga.

Mercredi, le procureur Nicole Samson avait demandé au témoin la raison pour laquelle, d’octobre 2005 à juin 2009, il n’avait pas dit au personnel du BdP ou du service de protection des témoins de la Cour qu’il avait menti dans la déclaration donnée aux enquêteurs.

Le témoin avait répondu : « J’ai demandé les services d’un avocat [en 2006] car j’avais donné certaines explications et elles n’avaient pas été prises en compte. Je voulais donc une protection personnelle. Je ne souhaitais pas me retrouver dans une situation difficile.

Il avait ensuite indiqué redouter finir en prison et c’est la raison pour laquelle il avait tenté d’engager un avocat afin d’être en mesure de confesser les mensonges qu’il avait confié.