- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Les juges mettent en défaut les procureurs alors que le deuxième témoin de la défense comparaît

Mardi, tandis que le deuxième témoin de la défense débutait sa déposition au procès de Lubanga, les juges ont admonesté les procureurs pour avoir omis de transmettre rapidement aux avocats de l’accusé certaines informations importantes relatives aux deux témoins de la défense qui étaient en leur possession.

La contestation relative aux divulgations est survenue après que le premier témoin ait fini son témoignage, dans lequel il précisait que son fils avait comparu au procès en tant que témoin de l’accusation et que ce dernier avait menti sur le fait d’avoir été un enfant soldat dans l’Union des patriotes congolais (UPC), le groupe que Thomas Lubanga aurait dirigé.

Lubanga est jugé à la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes de guerre concernant l’utilisation d’enfants soldats. La Cour pénale internationale accuse Lubanga d’avoir été le commandant en chef des Forces patriotiques pour la libération du Congo, une milice qui a utilisé des enfants soldats dans des combats interethniques ayant eu lieu en République démocratique du Congo (RDC). Il a nié les accusations.

Catherine Mabille, l’avocate principale de Lubanga, a protesté devant la Cour en indiquant que ce n’était que jeudi dernier (28 janvier 2010) que les procureurs avaient divulgué les informations relatives au « Témoin 003 » et au « Témoin 004 », respectivement le deuxième et le troisième témoins cités par la défense.

« Pourquoi les notes des enquêteurs ne nous ont pas été communiqués en temps et en heure ? Nous avons le sentiment que cela place la défense dans une situation qui ne nous permet pas d’interroger les témoins qui comparaissent aujourd’hui ou la semaine prochaine afin qu’ils nous fournissent des explications sur un certain nombre d’évènements relatifs aux notes des enquêteurs », a-t-elle indiquée.

Mabille a ajouté : « Le procureur a l’obligation légale de divulguer ces éléments en application de la règle 77 et concernant les preuves à décharge. C’est pourquoi nous nous demandons pourquoi cette divulgation a été effectuée avec du retard. Cela nous a mis dans une situation difficile ».

Le juge Adrian Fulford a poussé les procureurs à expliquer la raison pour laquelle ils avaient pris autant de temps pour remplir leurs obligations de divulgation. « Les éléments contenus dans ces rapports ne sont pas uniquement à l’évidence divulgables mais ils sont également importants pour les deux témoins que la défense doit citer », a-t-il déclaré.

Lors des séances publiques du procès, aucune des parties n’a expliqué quelles étaient exactement les informations contenues dans les notes des enquêteurs.

Mabille a déclaré à la Cour que, depuis août dernier, le Bureau du Procureur (BdP) connaissait l’identité des témoins de la défense et qu’il aurait dû par conséquent effectuer ses divulgations à la défense bien plus tôt.

Le procureur Nicole Samson a expliqué que bien que l’accusation avait reçu le nom des témoins de la défense en août dernier, des enquêtes complémentaires concernant les témoins de la défense 003 et 004 avaient dues être menées.

Mme Samson a indiqué que ces enquêtes avaient été effectuées après que les procureurs aient établi que les informations fournies au BdP par la défense concernant l’identité des témoins n’étaient pas cohérentes avec le contenu de la base de données du BdP. Elle a indiqué que les enquêtes complémentaires avaient également été réalisées après qu’une relation entre le « témoin 297 » et les témoins de la défense 003 et 004 ait été identifiée. Elle a précisé que les procureurs n’ont eu connaissance de ce lien qu’en décembre ou en janvier.

Samson a déclaré que le « témoin 297 » devait précédemment témoigner pour l’accusation et qu’il a été ensuite retiré de la liste des témoins de l’accusation mais qu’il a continué à coopérer avec le BdP.

Le juge a toutefois mis en défaut les procureurs pour avoir effectué leurs divulgations « nettement trop tard ».

« Cela aurait dû être réalisé au plus tard fin décembre (2009), si ce n’est antérieurement, une fois que l’identité de ces deux témoins vous a été dévoilée », a indiqué le juge Fulford. « Nous vous demandons de bien vouloir revoir la manière dont la divulgation est abordée lorsque vous disposez du nom des témoins… afin de garantir que nous ne nous retrouvions pas dans cette situation à l’avenir ».

Mabille a déclaré que la défense estime avoir besoin d’un délai supplémentaire avant de citer les deux témoins. Toutefois, les avocats de la défense ont décidé de ne pas solliciter ce délai puisque les témoins étaient déjà à La Haye « et que nous ne pouvons pas demander d’ajournement car cela serait déraisonnable à ce moment crucial du procès ».

Les juges ont déclaré qu’ils étaient prêts à leur accorder un ajournement pour étudier les documents divulgués et pour rencontrer leurs témoins avant qu’ils ne soient appelés à comparaître.

Mardi, le témoin 003 s’est ensuite présenté à la barre et a apporté son témoignage sans bénéficier de mesures de protection telles que la déformation numérique de la voix et du visage. Mais presque la totalité de son témoignage s’est déroulée à huis clos.

Étant donné qu’il a dit peu de choses en séance publique, il n’a pas été possible de savoir en quelle qualité il témoignait. Le premier témoin de la défense, qui avait conclu sa déposition lundi, était le père d’un témoin de l’accusation qui a déclaré que son fils avait menti à la CPI sur le fait d’avoir été enfant soldat.

Le témoin 003, qui poursuivra son témoignage la semaine prochaine, a été interrogé pour savoir s’il connaissait un travailleur social, dont le nom n’a été mentionné qu’en séance à huis clos, qui a collaboré avec une organisation œuvrant à la démobilisation des combattants en RDC.

Le travailleur social est la même personne que le « témoin 297 » qui a été retiré de la liste des témoins de l’accusation. Le témoin a indiqué connaître le travailleur social.

Avant que les procureurs n’interrogent le témoin 003, le juge Fulford a déclaré aux avocats de Lubanga qu’il sera extrêmement difficile, si ce n’est impossible, que l’accusation commence à interroger le témoin en se basant sur le témoignage apporté si les procureurs n’étaient pas avertis un peu à l’avance de la teneur de la déposition du témoin.

Il a indiqué que les témoignages de ce type demandaient un temps de réflexion, de préparation et probablement d’enquête avant que les procureurs ne puissent le prendre en charge de manière adéquate par le biais d’un interrogatoire.

« Peut-être serez-vous amenés à considérer que pour les témoins à venir, et particulièrement ceux appartenant à cette catégorie, il soit souhaitable, mais de manière totalement volontaire, qu’il y ait un élément raisonnable supplémentaire qui soit divulgué à l’avance à l’accusation afin que les procureurs ne se retrouvent pas dans la situation que Mme Samson a décrit précédemment, à savoir demander un ajournement à chaque fois qu’un de vos interrogatoires se termine afin qu’ils puissent préparer le leur », a déclaré le juge.

Il a indiqué que si cela se produisait, cela ralentirait terriblement le cours du procès.

L’opposition actuelle sur les questions de divulgation n’est pas la première à avoir une influence sur le procès Lubanga. Les inquiétudes quant au défaut de divulgation de preuves potentiellement à décharge de la part de l’accusation ont menacé le bon déroulement du procès en 2008 car les juges étaient préoccupés de l’impact de cette situation sur les droits à un procès équitable de M. Lubanga. Ces questions de divulgation sont abordées depuis un certain nombre de mois, les juges étant finalement convaincus que les droits à un procès équitable de M. Lubanga pouvaient être respectés et que le procès pouvait reprendre en janvier 2010.

L’argumentation de la défense de M. Lubanga se poursuivra la semaine dernière.