Commentaire

27 Janvier 2010

Les remarques préliminaires de la défense de Lubanga – les témoins ont menti, Lubanga n’est pas coupable

Par Wairagala Wakabi

NOTE DE L’ÉDITEUR : Vous trouverez ci-dessous une transcription non- officielle des remarques préliminaires que l’équipe chargée de la défense de Thomas Lubanga Dyilo a prononcé aujourd’hui ; sur présentation de son avocat principal, Catherine Mabille. Il semblerait évident que la défense poursuivra deux pistes au cours des mois à venir :  (1) contester la véracité et l’intégrité des témoins de l’accusation, en démontrant que beaucoup d’entre eux n’étaient pas en réalité des enfants-soldats ; et (2) démontrer que M. Lubanga ne faisait pas partie d’un plan commun visant à recruter des enfants pour les incorporer dans la branche armée de son parti politique (en argumentant que la milice était en fait contrôlée par d’autres personnes), mais au contraire que M. Lubanga a fait tout ce qui était en son pouvoir pour essayer de démobiliser les enfants-soldats.  

« En premier lieu, la défense a tenté de prouver à la Chambre que nombreux étaient les témoins de l’accusation qui ont comparu devant le Cour pour témoigner, en sachant pertinemment bien qu’ils soumettraient des informations erronées à la Cour.   La défense a également cherché à montrer que certains témoignages erronés ont été fabriqués de toute pièce avec l’aide d’intermédiaires qui ont collaboré avec le Bureau du Procureur.

Avec votre permission, je vous rappellerai que ce procès a débuté un an auparavant et que le premier témoin a fait les déclarations suivantes : « Je n’ai pas effectué les déclarations précédentes de mon plein gré ; il s’agit de déclarations provenant d’une autre personne.  On m’a enseigné ces déclarations pendant trois ans et demi.  Je n’aime pas cela.  J’aimerais dire ma propre version des faits comme j’ai juré que je le ferais devant tous ici présents.  »

En réponse à la question extrêmement spécifique du Président de la Cour, et je vous rappellerai cette question, je cite : « Ce matin-là, vous avez dit au tribunal que vous étiez rentré chez vous après l’école et que des soldats de l’UPC vous ont enlevé, vous et vos amis.  Cette version des faits que vous nous avez racontée, est-elle vraie ou fausse ? » Le témoin a répondu : « Elle est fausse. »

Bien que ce témoin se soit rétracté, cette déclaration initiale effectuée par le premier témoin a confirmé les résultats de l’enquête menée par la défense portant sur la possibilité que certains témoins de l’accusation aient été manipulés en vue de donner un faux-témoignage. Et j’irais encore plus loin en affirmant qu’en analysant les séances durant lesquelles nous avons entendu les témoins de l’accusation mais également, au vu des résultats de l’enquête conduite par la défense, cette supposition a été d’autant plus confortée.

Aujourd’hui, la défense cherche à présenter à la Cour les résultats de nos enquêtes. Nous avons l’intention, plus précisément, de démontrer que tous les individus qui ont été présentés comme des enfants soldats, ainsi que leurs parents dans certains cas, ont menti délibérément au tribunal. La défense a l’intention de prouver que six d’entre eux n’ont jamais été enfant soldat, que le septième a menti sur son âge et sur les conditions dans lesquelles il a été enrôlé et que le huitième n’a jamais appartenu à l’UPC.

En outre, la défense veut démontrer que les témoins ont été encouragés à mentir sur un certain nombre de points très spécifiques, en particulier ce qui a trait à leur nom, le nom de leurs parents, les écoles qu’ils prétendent avoir fréquenté, et que cela a été fait afin de rendre plus difficile toute vérification des informations les concernant.  Ils ont été portés à mentir au sujet de leur âge ainsi que du soi-disant fait d’appartenir à un groupe armé, afin que leurs témoignages puissent être pris en compte lors de la détermination des chefs d’accusation portés contre M. Lubanga.   Ils ont menti sur le fait que leurs parents étaient décédés alors qu’en réalité il semblerait que ceux-ci soient encore en vie ; sur le fait d’avoir été soumis à des traitements cruels et d’avoir été enlevés, et ceci dans le seul but de rendre leurs récits plus dramatiques. 

On leur a également demandé d’affirmer qu’ils ne savaient pas lire et de dire avoir oublié des détails spécifiques, afin de rendre extrêmement délicate et difficile à mener toute vérification ou comparaison.   Selon nous, la situation est des plus préoccupantes, la défense cherchant à débuter sa plaidoirie en appelant des témoins qui démontreront que ces faux-témoignages ont bien été montés de toute pièce.  Plus précisément, la défense appellera à la barre les parents et amis de ces soit-disant enfants-soldats, des représentants de différentes écoles ainsi que des personnes qui ont personnellement pris part au procédé de fabrication de faux-témoignage.

Et, en ce qui concerne la défense, je voudrais dire que la démonstration de ce procédé frauduleux de préparation de faux-témoignage affecte non seulement les preuves se rapportant aux enfants-soldats, mais cette démonstration nous amènera également à poser des questions pertinentes au sujet de la crédibilité de tous les témoignages qui ont été entendus jusque là par la Cour. 

Bien sûr, les avocats de la défense sont conscients qu’eux-mêmes ont pu être manipulés.  Il semblerait que certains témoins aient pu s’être présentés et nous avoir soumis des informations erronées, pour quelque raison que ce soit. Les avocats de la défense ont entrepris avec tous les moyens à leur disposition de partager les sources d’informations sur lesquelles ils se basaient.   Nous avons entrepris de vérifier tous les aspects intrinsèques et objectifs des témoignages.  Nous avons procédé à des vérifications systématiques en nous rendant aux écoles que les soi-disant enfants-soldats avaient déclaré avoir fréquenté.    Nos preuves seront soumises au débat contradictoire et la défense espère que le débat contradictoire sera effectué en séance publique.

Après avoir entendu les 16 premiers témoins, la défense a l’intention de demander à la Chambre de tirer les conclusions juridiques pertinentes de la situation, et que celles-ci peuvent être résumées comme suit :

Justice ne peut se faire, si la substance même du processus judiciaire […] est viciée dans ses aspects les plus fondamentaux.  Comment s’assurer un procès équitable lorsqu’une portion si importante du procès repose sur des preuves montées de toute pièce ? Comment les juges peuvent-ils remplir leur rôle, qui est de rechercher et d’établir la vérité, si les témoignages qu’ils ont entendus sont le fruit d’efforts concertés pour les tromper ?  Ne s’agit-il pas là d’une attaque fondamentale contre l’intégrité du système judiciaire ?

L’accusation a-t-il omis à son obligation d’assurer un contrôle et d’une surveillance adéquats de ses intermédiaires ? Et plus précisément, le procureur a-t-il satisfait à son obligation de par la loi d’enquêter sur les preuves disculpatoires provenant de ses propres témoins en particulier ?  Le procureur n’a-t-il pas fait preuve de négligence en créant une situation selon laquelle le fait de témoigner devant la Cour signifierait recevoir des bénéfices matériels importants ? Que devons-nous penser d’un processus judiciaire selon lequel un témoin soumettant un faux-témoignage obtiendrait des assurances que son identité ne sera pas révélée au public, une fois qu’il commencerait à coopérer avec l’accusation ?

Au moment opportun après audition des 16 premiers témoins, la défense examinera la possibilité de soumettre ces points devant la Chambre et s’efforcera de déterminer si le procès devrait se poursuivre.  Ce procès respecte-t-il les objectifs fondamentaux de la justice pénale ou les viole-t-il ?

Si l’action en justice se poursuit, la défense cherchera à montrer que nous ne tenterons pas de démontrer l’absence de mineurs parmi les rangs du FPLC. Mais la réalité de cette période ne doit pas être complètement défigurée comme elle l’a été dès le début dans les remarques préliminaires de l’accusation. Un des objectifs de notre défense sera d’examiner avec précision les causes et les circonstances de la situation. Nous entendrons les témoins de la défense et ainsi, il sera possible d’examiner les différents aspects de ces questions et faire le point sur ce phénomène. Devant la Cour, les témoins de la défense vont également faire la lumière sur ces questions, en particulier sur le rôle et la place de Thomas Lubanga, en ce qui concerne la présence de mineurs parmi les soldats de son organisation.

À ce stage de la procédure, la défense tentera de répondre à deux questions fondamentales : Premièrement, Lubanga a-t-il initié le recrutement de mineurs au sein des forces de l’UPC ? A-t-il participé au recrutement de mineurs d’une manière ou d’une autre ? Les témoins de la défense soumettront des preuves visant à démontrer que Thomas Lubanga, le responsable politique, n’a joué aucun rôle actif dans la création des forces miliaires de l’UPC et n’a jamais pris part de manière délibérée à uns stratégie générale visant à recruter des mineurs.

Et notre seconde question est la suivante : quelle fut l’attitude de Thomas Lubanga face à la présence d’enfants mineurs parmi les soldats de l’UPC ? Les témoins de l’accusation fourniront des preuves visant à démontrer que Thomas Lubanga, au cours des quelques mois durant lesquels il était responsable, a fait tout ce qu’il a pu afin de démobiliser les mineurs qui se trouvaient parmi les soldats du FPLC. Les témoins raconteront également des difficultés empêchant la mise en œuvre de cette politique de démobilisation.

Voici, Messieurs les Juges, les points essentiels autour desquels s’articulera la défense de Thomas Lubanga. »

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