- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Foire aux questions avec Luc Walleyn, l’avocat des victimes du Procès Lubanga

L’équipe de Luc Walleyn a représenté 22 des 103 victimes participant au Procès de Thomas Lubanga depuis 2006. Il a parlé à Wairagala Wakabi du site Web couvrant le Procès Lubanga au sujet de l’importance de la participation des victimes aux procès organisés par la Cour pénale internationale, de l’occasion ratée pour pouvoir inculper Lubanga de crimes sexuels ainsi que la raison pour laquelle les avocats des victimes sont mécontents de l’attitude des avocats chargés de la défense de Lubanga.   

Wairagala Wakabi : La Cour d’appel a décidé qu’aucunes nouvelles accusations ne seraient retenues contre M. Lubanga. Voyez-vous là une occasion ratée pour que Lubanga soit inculpé de crimes sexuels et de traitement inhumain ?

Luc Walleyn : Après la décision en appel, une nouvelle discussion eut lieu sur les conséquences de cette décision en appel et le vendredi (8 janvier 2010), une recommandation finale fut prononcée par la Chambre de première instance disant que la décision portant sur la confirmation des chefs d’accusation était insuffisamment motivée, rendant par là impossible toute modification de la qualification des infractions.     

Donc effectivement, il s’agit bien d’une occasion ratée.  Il s’agit donc d’une défaillance du Bureau du Procureur (OTP). L’OTP reconnait également l’importance des crimes sexuels commis contre les enfants-soldats de sexe féminin ainsi que le traitement inhumain d’enfants dans les camps d’entrainement.  Mais au cours de la procédure préliminaire, l’OTP n’a fait que poursuivre le simple fait d’avoir procédé à la conscription et au recrutement des enfants, sans mentionner de circonstances.

WW : Diriez-vous alors que les efforts des représentants des victimes auraient à cet égard produit des effets positifs ?

LW : Je suis convaincu que notre initiative ne fut pas vaine ; nous avons désormais ouvert le débat sur ces circonstances.  Pour nos clients, il existe une grande différence entre le fait d’être enrôlé dans une structure militaire et leur situation, puisque bon nombre d’entre eux ont été enlevés et soumis à des traitements inhumains, même si [certains d’entre eux auraient pu] se présenter en vue de leur enrôlement par peur de représailles, de la pauvreté, de la faim ou en raison d’autres circonstances.

C’est pourquoi il est important de se concentrer sur les conditions de vie de ces enfants dans les camps, et celles des filles en particulier.  La conséquence pratique de notre démarche est que ces éléments constitutifs d’infractions resteront soumis au débat et à l’examen du tribunal, mais d’un point de vue juridique, si Lubanga est condamné, ce ne sera qu’en vertu des chefs d’accusation d’enrôlement et de conscription.  

WW : Puisque les chefs d’accusation n’ont pas été retenus, pensez-vous que le problème des crimes sexuels et de traitement inhumain puisse obtenir l’attention qu’ils méritent en vertu des chefs d’accusation actuels ?

LW : Je le crois.  Le Tribunal n’a jamais dit que ces éléments n’existaient pas. La chambre d’appel n’affirme pas que les circonstances aggravantes et atténuantes du crime ne peuvent être prises en compte par la Chambre de première instance si celles-ci n’ont pas été invoquées par la décision portant sur la confirmation des chefs d’accusation.  Le tribunal peut encore tenir compte de ces éléments une fois qu’il est question de déterminer la sentence et qu’on devra se prononcer sur les réparations.  Seule la qualification des faits ne peut être modifiée.  Il s’agit en fait d’une distinction purement théorique, parce que la sanction de le recrutement de force et de l’incorporation des enfants dans une armée est exactement la même que pour tous les autres crimes, selon le Statut de Rome.

WW : Donc, les représentants des victimes effectueront-ils d’autres démarches dans ce sens ou le dossier est-il clos ?

LW : Le débat est actuellement terminé en ce qui concerne la qualification.  Cela ne signifie pas du tout que nous n’aborderons plus la question d’esclavage sexuel ou de traitement inhumain d’enfants pendant l’entrainement. Même lors de la première partie du procès, tous les interrogatoires effectués par les représentants des victimes, le procureur, le tribunal et parfois même par la défense incluaient ces éléments.

WW : J’aimerais maintenant attirer votre attention sur les critiques émises par la défense : Ils pensent que les victimes devraient jouer un rôle plutôt dans la phase des réparations et que jusqu’à présent, les victimes ont malencontreusement cherché à jouer le rôle du procureur.  Qu’en pensez-vous ?

LW : Le rôle des victimes devant la Cour pénale internationale diffère de celui de tribunaux ad hoc qui ne leur accordent de rôle qu’à titre de témoins; il diffère également du rôle que leur réserve certains systèmes juridiques par rapport à ceux de tradition de droit civil, où les parties au procès civil ont exactement les mêmes droits que le procureur… La chambre s’est montrée prudente lors de la délibération sur le problème de la participation des victimes, afin de respecter l’esprit du Statut de Rome.   Les modalités de la participation des victimes ont également été confirmées et élaborées par décision de la chambre d’appel. Donc, nous possédons désormais un cadre juridique qui se précise au fur et à mesure.

Bien sûr, la défense préférerait éliminer toute participation des victimes dans le débat sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé.  Mais, il serait encore plus difficile pour eux s’ils se trouvaient dans un système de droit civil où les victimes possèdent encore davantage de droits que ne leur accorde la procédure actuelle.

WW : Alors, les victimes prévoient-elles également de questionner les témoins de la défense ?

LW : Nous aurons quelques questions pour les témoins de la défense.  Nous ne pouvons procéder à l’interrogation dans les mêmes conditions que les procureurs, et cela est très favorable à la défense. Nous devons obtenir la permission de questionner un témoin.  Nous avons usé de cette possibilité au cours de la plaidoirie du Procureur dans le cadre juridique déterminé par la chambre de première instance, et il en sera de même pour la plaidoirie de la défense.

WW : Et sur quelle base décidez-vous d’interroger ou non un témoin particulier ? 

LW : Nous devons prouver que nous avons un intérêt à interroger ce témoin.  Par exemple, si un témoin déclare que M. Lubanga est un homme très gentil et de grande moralité, ce n’est pas notre problème, donc nous ne questionnerons pas ce témoin.  Mais s’il dit que dans un camp particulier où mon client a été entrainé, cet entrainement a été exécuté de manière très civilisée, sans coups, sans traitement inhumain, alors je chercherai à l’interroger.  Parce qu’une telle déclaration a un impact sur la position de mon client et même sur la demande d’indemnisation qu’il pourrait soumettre à l’avenir.

WW : D’après vous, pourquoi est-il important que les victimes participent à un procès tel que celui de Lubanga ?

LW : Selon le tribunal, il est plutôt important que les victimes puissent s’exprimer afin de mieux appréhender la situation.  Sans la participation des victimes, le procès n’est qu’une confrontation entre d’une part, la communauté internationale et de l’autre, quelqu’un qui affirme représenter son peuple.  Lorsque des victimes disent : « Non, M. Lubanga, vous ne nous représentiez pas et votre décision de forcer les enfants de Hema à intégrer un groupe armé n’a pas été prise dans l’intérêt de la communauté ni dans l’intérêt des enfants », alors vous obtenez une image différente de ce qui s’est passé. Il ne s’agit pas d’un conflit entre le people africain d’une part et la communauté internationale d’autre part, mais entre une personne accusée de crimes graves et un peuple et des victimes africaines de ces crimes, et la communauté internationale joue le rôle de protecteur et offre un soutien à ces victimes.  Tel est également l’objectif du Statut de Rome.

Tout cela, bien entendu, n’est que de la théorie. Mais en pratique, vous pouvez clairement voir que l’interrogation du Procureur diffère de celui des représentants des victimes.  Le Procureur sera très intéressé de connaitre la hiérarchie ainsi que la responsabilité individuelle de l’accusé, mais cela sera bien moindre que ce que fut la réalité sur le terrain pour les enfants dans les groupes armés.  Pour terminer, il est important que les communautés qui suivent le procès entendent les voix des victimes et comprennent que ces jeunes personnes faisant partie de ce groupe ne sont pas considérés comme des criminels, mais comme des victimes.

WW : Estimez-vous recevoir suffisamment de coopération de la part du Bureau du Procureur (OTP) et des avocats de la défense ?

LW : Au début, l’OTP et la défense ont beaucoup tergiversé au sujet de la participation des victimes et nous eûmes de nombreux débats à ce sujet.  À présent, l’OTP admet que le rôle des victimes n’était pas de perturber le procès ou de permettre des abus de procédures, que les victimes ont eu une approche réaliste et utile du procès.  Donc dorénavant le Procureur a une attitude plus positive qu’avant le début du procès. 

Mais la défense ne coopère pas du tout.  La défense ne donne aux victimes que ce que le tribunal lui ordonne de leur donner. Ils pensent que la participation des victimes devrait être interdite jusqu’à ce qu’une décision sur la culpabilité de l’accusé soit prononcée, lorsque les victimes prennent part aux discussions sur le montant des compensations. C’est leur point de départ et le résultat en est l’absence totale de coopération de leur part en ce qui concerne la divulgation d’informations. Jusqu’à présent nous ignorons les noms des témoins que la défense appellera à témoigner, ni même les sujets sur lesquels ils seront interrogés, bien que pour chaque témoin nous sommes supposés décider à l’avance si nous devons obtenir la permission de l’interroger ou non. Au cours de la première partie du procès, nous avons dû chercher une décision de la cour pour pouvoir obtenir quoique ce soit de la défense.

WW : L’attitude des avocats de la défense est probablement compréhensible…

LW : La défense à choisi de procéder ainsi, ce que je respecte.  Mais une coopération plus franche entre les parties ne va pas forcément à l’encontre de leurs intérêts.  Les avocats des victimes doivent également respecter les règles de déontologie et de respect des informations confidentielles. Mais en tous les cas, il s’agit d’un choix et je ne peux que l’accepter.

WW : Les avocats de la défense se sont également exprimés contre la fréquence des sessions à huis clos durant la plaidoirie du Ministère public, déclarant que ce dernier aurait pu avoir dissimulé certains témoins désirant effectuer de fausses déclarations au Tribunal. Les mesures prises en faveur des témoins sont-elles excessives ou tout juste suffisantes pour les protéger ?

LW : Le simple fait que le procès est diffusé en RDC et suivi par tout le monde rend les mesures de protection des témoins encore plus nécessaires que pour un procès normal. Un témoin sous protection peut vivre dans une autre ville en RDC avec une nouvelle identité, si son visage est vu sur Internet, alors son identité n’est plus protégée. 

La défense a également admis la nécessité des sessions à huis clos. Je ne me rappelle même pas d’un seul cas où la chambre aurait décidé de passer en séance à huis clos et que la défense ait protesté. Et en ce qui concerne la plaidoirie de la défense, je suis convaincu que certains de leurs témoins ne témoigneront pas en audience publique. 

WW : En ce qui concerne le problème de la compensation, pourriez-vous nous donner une idée de l’aboutissement du procès ?

LW : Le problème de l’indemnisation est un problème entièrement nouveau. De ce fait, les victimes elles-mêmes devront débattre de la manière dont les indemnisations seront évaluées. Le Statut de Rome permet d’accorder des dommages-intérêts à un individu, mais une indemnisation collective est également possible; une compensation financière, mais également d’autres formes d’indemnisation. Et le Fonds de compensation des victimes jouera un rôle important à cet effet.

Malheureusement, l’indemnisation d’anciens enfants-soldats viendra toujours trop tard.  À 20 ans, on ne peut plus retourner à l’école primaire. L’indemnisation collective est moins aisée que lorsqu’un village ou une communauté dans son ensemble a été victimisée.  Ces enfants appartiennent à la communauté de l’accusé. Donc, je pense que la plupart d’entre eux préféreront une indemnisation financière pour pouvoir survivre et lancer leur propre entreprise ou activité commerciale, bien que les dommages médicaux et psychologiques soient également importants.