Rapports du proces

6 Janvier 2010

Et pour terminer, les représentants légaux des victimes…

Par Tracey Gurd

Les exposés introductifs des représentants légaux des victimes présentés le premier jour du procès ont fait forte impression. Les représentants légaux se sont exprimés au nom des victimes des crimes perpétrés en RDC pour lesquels Thomas Lubanga est poursuivi et sa responsabilité pénale retenue. Chacun d’entre eux a dépeint avec une certaine fougue les expériences et souffrances subies entre 2002 et 2003 par leurs clients, qui comprennent de nombreux enfants et ex-enfants soldats. Ils ont évoqués les viols, les coups, les stigmates qu’ils ont ressentis (et en particulier les filles soldats) ainsi que leurs souhaits de voir la justice rendue par rapport aux crimes qu’ils ont endurés.

Remarque : un des représentants légaux (Mme Bapita) a annoncé dans son exposé introductif qu’elle souhaitait « se réserver le droit de demander à la Chambre une qualification du crime d’esclavage sexuel contre l’accusé Thomas Lubanga ». Les représentants légaux des victimes ont déposé une telle demande en mai 2009 et ont demandé non seulement d’inclure l’esclavage sexuel mais le traitement inhumain et cruel dans la requalification des charges retenues contre Thomas Lubanga. Après que la Chambre de première instance ait statué en juillet 2009 qu’une telle requalification était possible, l’accusation et M. Lubanga ont fait appel de cette décision. En décembre 2009, la Chambre d’appel a rejeté cette possibilité.   

Vous trouverez ci-dessous les exposés introductifs des représentants légaux des victimes présentés le premier jour du procès, l’année dernière, le 26 janvier 2008 (la transcription complète est disponible ici : http://www2.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc623638.pdf).

Mme MASSIDDA (interprétation de l’anglais) : Je crois que mon introduction ne durera pas plus de 15 minutes, donc je suis sure que nous pourrons effectivement respecter cette pause à midi. (Intervention en français), Monsieur le Président, Madame et Monsieur le juge, c’est avec motion que nous prenons la parole aujourd’hui pour donner voix aux victimes devant le premier procès de la Cour pénale internationale. En effet, les crimes punis par le droit international pénal engendrent un nombre très élevé de victimes: plus de 5 millions de juifs ont été exterminés au cours de la seconde guerre mondiale ; au Rwanda, en l’espace de 100 jours en 1914 (sic) le génocide a fait 800 (sic) morts ; à Srebrenica, en juillet 1995, entre 7 000 et 8 000 hommes, musulmans de Bosnie, ont été tués de manière systématique. En République démocratique du Congo, comme le disait tout à l’heure le Bureau du Procureur, le conflit a été à l’origine de millions de morts parmi des personnes civiles, alors que des milliers de personnes ont (sic) également déplacées à l’intérieur de leur pays ou ailleurs.

Pourtant, et pour longtemps les victimes ont été considérées comme de simples témoins. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo n’ont jamais considéré le sort des victimes, sauf au travers la répression des crimes dont elles avaient souffert. Les traités de droit international humanitaire, notamment les quatre conventions de Genève de 1949 et les deux protocoles additionnels de 1977 prévoient qu’il y a lieu de sanctionner pénalement ceux qui en violent les prescriptions, mais ne prévoient pas de droit à l’indemnisation pour les victimes; ils ne connaissent pas non plus le droit des victimes de provoquer des poursuites judiciaires contre les auteurs des crimes de guerre, d’intervenir dans la procédure relative à la question de la culpabilité, ou d’obtenir réparation. Ce sont les conventions relatives aux droits de l’homme et l’évolution de la pensée en matière de droits de l’homme en général qui ont, progressivement, fait pénétrer dans le droit international l’idée que les victimes disposent d’un droit individuel à la justice et a l’indemnisation de leur préjudice. Ainsi, le Pacte international relatif aux droits civils politiques et certaines conventions régionales reconnaissent le droit de pétition et d’indemnisation aux victimes dont les droits fondamentaux ont été violés.

La reconnaissance internationale des droits des victimes a franchi un pas décisif grâce à l’adoption de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes et de la criminalité, aux victimes d’abus de pouvoir adoptée par l’assemblée des Nations Unies le 29 novembre 1985. Cette déclaration, première de son genre, donne un aperçu général des droits des victimes: droit de pétition, droit à la dignité et à la réhabilitation, à la restitution des biens et à l’indemnisation, à l’assistance médicale, psychologique et sociale.

Cependant, lors de la création des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, les victimes ont été quelque peu oubliées. Il aura fallu attendre l’adoption du Statut de Rome pour placer les victimes au coeur même de la justice pénale internationale. Désormais, une place prépondérante est accordée aux droits et aux intérêts des victimes qui peuvent participer à la procédure et demander la réparation du préjudice qu’elles ont subi.

Mais pourquoi, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les juges, pourquoi les victimes souhaitent participer aux procédures? Avant d’expliquer les raisons de leur participation, il est important de vous présenter les victimes que nous représentons. Il s’agit principalement d’enfants-soldats recrutés à un âge si jeune, parfois même au-dessous de 10 ans, que l’on ne peut même pas raisonnablement les imaginer portant un uniforme et des armes. Il s’agit également, pour certaines d’entre elles, de leurs parents. Ces enfants ont été recrutés pour participer activement aux hostilités menées par l’Union Patriotique Congolaise entre septembre 2002 et août 2003. Ils constituent, il est vrai, un groupe hétérogène au regard du droit international pénal. Ils sont victimes du crime — consistant à enrôler des enfants de moins de 15 ans dans des groupes armés et à les faire participer activement aux hostilités — tel que puni par l’article 8 du Statut de Rome.

Certains diront que ce premier procès historique devant la Cour pénale internationale qui s’ouvre aujourd’hui concerne un crime mineur. Ce n’est pas notre avis. Ce n’est pas l’avis des victimes que nous représentons. Ce crime est un crime extrêmement grave dont la gravité est accentuée par le fait qu’il touche des enfants. Mais l’hétérogénéité du groupe formé par les victimes que nous présentons ne doit pas faire oublier la spécificité attachée à chaque cas individuel. En effet, si toutes les victimes ont subi des violences physiques et psychologiques et portent encore aujourd’hui les traces de ces dommages moraux comme en autant de stigmatisations, des particularités se font jour, en particulier les filles ont subi des violences sexuelles pouvant aller jusqu’à l’esclavage sexuel. En République démocratique du Congo, une fille qui a subi un viol est bien souvent personnellement déshonorée, et bien qu’elle ne soit en rien coupable, on considère généralement qu’elle couvre sa famille de honte. En conséquence, de nombreuses victimes ont peur de parler de cet aspect du préjudice qu’ils ont subi, mais des groupes qui travaillent avec des filles qui ont subi des violences sexuelles en République démocratique du Congo, des filles, anciens enfants-soldats en Ituri, décrivent la situation comme désespérée, affirmant que le viol est très répandu, même s’il est rarement évoqué. Ma consoeur, Carine Bapita, reviendra sur ce point dans un moment.

Les intérêts personnels des victimes dans les procédures de la Cour correspondent, notamment, au droit à la justice. Après avoir rencontré les victimes que nous représentons et en avoir écouté les récits des préjudices qu’elles ont subis, il va de soi que le droit à la justice est, en effet, l’une de leur préoccupation principale, pour ne pas dire leur préoccupation 1 centrale. Or, derrière la revendication de ce droit, semble se trouver une multitude de raisons évoquées par les victimes, raisons que je vais essayer de relayer le plus fidèlement possible et de partager avec vous aujourd’hui.

Premièrement, le droit à la vérité semble être l’une de ces composantes. À cet égard l’intérêt central des victimes dans la détermination des faits, l’identification des personnes responsables et la déclaration de responsabilité est à la racine du droit à la vérité largement établi au bénéfice des victimes de violations sérieuses des droits de l’homme. Dans le processus de mise en oeuvre de ce droit à travers les procédures pénales, les victimes ont un intérêt central à ce que l’issue de telles procédures apporte de la clarté au sujet de ce qui s’est effectivement passé.

Les victimes sont des acteurs indépendants dans la procédure qui se déroule devant cette cour et leurs préoccupations diffèrent de celles du Bureau du Procureur. Leur position est celle de pouvoir contribuer à la recherche et à l’établissement de la vérité. Si la question de la culpabilité ou de l’innocence des personnes qui font l’objet de poursuites devant cette cour est malgré tout essentielle pour les victimes, c’est bien sous l’angle de l’établissement de la vérité. En d’autres mots, si l’identification, la poursuite et la punition des personnes qui sont à l’origine de leur victimisation revêt une importance cruciale pour les victimes, c’est que cela fait écho à un processus à travers lequel chacune d’entre elles est obligée de passer pour assurer sa convalescence suite aux préjudices qu’elle a subis. En effet, c’est aussi à travers ces mots formulés publiquement que les victimes peuvent se reconstruire ; des mots formulés non pas uniquement parce qu’elles seraient appelées à témoigner à la barre pour l’une ou l’autre des parties au procès,mais simplement parce qu’elles ont acquis le droit de partager avec les juges chargés de juger la personne qu’elles identifient comme étant le principal responsable des souffrances subies, les faits vécus.

Or, ce processus revêt d’une part une vertu cathartique et salutaire au niveau individuel, mais également une vertu réparatrice au niveau familial, sociétal et communautaire. D’autre part, ce processus s’inscrit dans un autre processus qui est celui de la lutte des victimes contre l’impunité, autre volet essentiel de la recherche de justice. C’est grâce à ce relais de vues et préoccupations dans les procédures de cette cour qu’à leur échelle individuelle, les victimes des crimes poursuivis participent à cette lutte. Ces démarches visent, en effet, à prévenir l’impunité des auteurs des crimes subis. La lutte contre une telle impunité semble, ainsi, bien faire partie du quotidien des victimes que nous représentons et être une composante essentielle de leur lutte quotidienne consistant aujourd’hui plus qu’à vivre, à survivre, à se reconstruire en tant qu’adultes alors même que leur enfance leur a été volée et niée.

En définitive, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les juges, la participation des victimes au procès contre M. Thomas Lubanga Dyilo permet de mettre en oeuvre la lettre du préambule du Statut de Rome qui, non seulement, établit que je cite : « Au cours de ce siècle, des millions d’enfants, de femmes et d’hommes ont été victimes d’atrocités qui défient l’imagination et heurtent profondément la conscience humaine, mais également que les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis ».

Cela conclut, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les juges, l’introduction des déclarations liminaires des Représentants légaux des victimes que nous représentons. Je vous remercie.

M. KETA : Monsieur le juge Président, Honorables juges, Monsieur le Procureur, Chers membres de la composition, Estimés confrères de la Défense, Chers confrères représentants légaux des victimes, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs; le recrutement volontaire, comme le recrutement forcé sont des crimes au regard du droit international pénal. Au nom des victimes que je représente, je vais parler devant cette auguste Chambre du recrutement forcé des enfants par les groupes armés en Ituri, comme stratégie militaire et phénomène social.

En 1998, une guerre civile a éclaté en République démocratique du Congo à partir de sa partie orientale. L’Ituri, un district situé au nord-est de la RDC, avec 11 ethnies et plus de 5 millions d’habitants avait été le théâtre de conflits armés multiformes dans un contexte local et/ou international. C’est ainsi que des groupes armés, dont l’UPC, poursuivant des objectifs aux contours flous, sont nés en Ituri.

Pour atteindre ces objectifs, il leur fallait mettre sur pied des stratégies militaires, notamment recruter, enrôler, utiliser des enfants dans des hostilités, c’est-à-dire les enfants âgés de moins de 15 ans. L’astuce consistait à avoir parmi les commandants recruteurs une personne originaire de la localité cible. Je représente dans la présente affaire 47 victimes, dont 46 personnes hysiques et une personne morale. Les personnes physiques sont des enfants agissant, soit à titre personnel, soit par leur tuteur. La personne physique adulte est une victime d’attaques ; il s’agit du responsable d’une école d’enfants. Il y a une particularité dans la représentation de mes clients, c’est le fait que la majorité soit constituée d’écoliers dont l’école avait été le lieu du recrutement forcé et dont le directeur qui avait tenté d’empêcher ce fait criminel ait été lui-même victime en subissant des coups ayant entraîné des blessures. Toutefois, parmi ces victimes, il y en a qui avaient été recrutées de force sur des lieux publics, comme le marché et aux alentours des églises. Le recrutement forcé des enfants comme stratégie militaire, les groupes armés en Ituri, dont l’UPC, ont été créés vers 2001; il fallait des ressources humaines, plus particulièrement des enfants.

Pourquoi des enfants ? Parce que ce sont des êtres dociles, plus enclins à exécuter des ordres de leurs chefs et guidés par ce que le philosophe Kant qualifie d’éthique de conviction.

Ndrele dans le territoire de Mahagi, en Ituri fut une localité cible de recrutement forcé d’enfants par différents groupes armés dont l’UPC et le FNI. En effet, il est situé à 15 kilomètre de Kpandroma, qui est l’ancien état-major du FNI, et à plus ou moins 60 kilomètres de certains camps d’entraînement de l’UPC, en l’occurence le camp de Bule. Cette localité fut donc un lieu de prédilection pour le recrutement forcé des enfants, avec deux centres de transit où les enfants recrutés étaient regroupés avant d’être acheminés vers le camp d’entraînement, notamment le camp de Bule.

Le recrutement forcé se faisait par enlèvement, et en cas de résistance il y avait des sévices. Le recrutement forcé comme phénomène social — il s’agit en fait des conséquences de ces recrutements forcés —, je disais donc, les enfants recrutés de force étaient des écoliers en bas âge. Ces enfants avaient interrompu leurs études. Cette interruption avait entraîné des retards dans leurs études. En outre, certains enfants, du fait des traumatismes, ont continuellement des cauchemars. Enfin, ces enfants sont à tort, parce qu’irresponsables, rejetés par leur famille respective, voire la société de toute leur localité. La personne physique adulte reconnue victime dans la présente cause, c’est un directeur de l’école d’enfants et, présentement, il n’est jamais parvenu à trouver les ressources nécessaires à la reconstruction de cette école. En plus, les blessures au niveau de sa tête ont provoqué des traumatismes qui perdurent. L’école, qui a été reconnue également dans la présente cause, structure nécessaire pour l’éducation des enfants, n’a jamais été reconstruite.

En guise de conclusion, à la question de savoir si devant la Cour pénale internationale mes clients peuvent être considérés comme auteurs ou victimes des crimes, on répondra par : en tant qu’auteurs, non, parce qu’au moment des fait, ils étaient mineurs. Ils jouissaient également de la clause d’exonération des responsabilités pénales, selon les textes internationaux, et ceux régissant la CPI, en particulier. À la question de savoir si mes clients sont des victimes, on répondra par, oui, parce que le seul fait de procéder à leur recrutement forcé, alors qu’ils étaient âgés de moins de 15 ans, et de les faire participer aux hostilités constitue un crime international. Ce que mes clients attendent de la Cour, c’est d’abord la 1 reconnaissance de préjudices qu’ils ont subis. Ensuite, l’indemnisation et la réhabilitation. Et enfin, la protection afin d’éviter un nouveau recrutement.

J’aurais ultérieurement l’opportunité de faire des observations concernant la nature et l’étendue des préjudices subis par mes clients. Je vous remercie.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Merci beaucoup, Monsieur Keta. Monsieur Diakiese.

Me DIAKIESE : Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, qu’il nous soit permis, a nom des victimes que nous représentons, de relever en liminaire l’un des aspects les plus historique de ce procès. Ce procès est doublement historique : parce qu’il a lieu et parce qu’il a failli ne pas avoir lieu. Ce procès est d’abord historique parce que c’est le premier procès de la première affaire soumise à la compétence de la Cour, et au cours duquel les victimes prennent, pour la première fois, la parole pour exprimer leurs vues et préoccupations pour qu’à la fin, au-delà de tout doute raisonnable, la responsabilité pénale de l’accusé soit établie.

Ce procès est encore plus historique parce qu’il a failli ne pas avoir lieu. Ce moment de vide procédural a été un moment de grand désarroi pour les victimes dans l’affaire Lubanga. Ce moment a coïncidé fâcheusement avec la recrudescence des violences à l’est de la République démocratique du Congo, particulièrement à Goma, Kiwandja et de nouveau en Ituri. Des noms, rendus tristement célèbres par les mandats d’arrêt du Procureur de la Cour, ont recommencé à défrayer la chronique de l’impunité et de la récidive sur les théâtres d’opérations.

Joseph Kony et son LRA, Bosco Ntaganda, alias  le Terminator, a ressurgi, narguant allègrement la mise en garde faite à Laurent Nkunda sur les crimes qui sont en train d’être perpétrés à l’est du Congo, en contribuant ainsi à l’émergence de nouvelles victimes. L’on peut raisonnablement se permettre de croire que Bosco Ntaganda, qui a eu à collaborer avec l’accusé Lubanga, milite grandement pour que l’unique chef d’accusation qui avait été retenu contre lui soit accompagné de nouvelles charges pour rendre son mandat d’arrêt plus impressionnant. Pendant ce temps, les enfants, en plein abandon, se sont demandé si la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 avait été élaborée aussi pour eux. Ils se sont demandé si la Convention 182 de l’Organisation internationale du travail concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants, du 19 juin 1999, qui prohibe le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés les concernait aussi. Ils se sont demandé si la Cour pénale internationale était aussi leur Cour.

Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, les victimes que je représente se retrouvaient, au moment des faits, dans la tranche d’âge de 9 à 13 ans. Une seule, parmi elles, est la mère de certaines autres victimes. Ces enfants ont été enlevés alors qu’ils revenaient des champs, enlevés alors qu’ils rentraient de l’école. Arrachés à leur mère, ils ont été initiés au maniement des armes et envoyés au combat. La raison majeure était la défense de leur communauté. Ce procès est l’occasion, pour les victimes, de connaître la vérité et d’avoir droit à la justice. La vérité sur les motifs réels qui ont prévalu pour qu’ils soient arrachés à leur famille et envoyés au combat et à la mort au nom d’une cause de défense de leur communauté, alors qu’à ce jour, l’arrêt de la Cour internationale 1 de justice du 19 décembre 2005 sur les activités armées en République démocratique du Congo, des rapports indépendants émanant notamment des Nations Unies et des organisations non-gouvernementales attestent que le conflit en Ituri a été instrumentalisé pour le pillage des ressource de la République démocratique du Congo avec la complicité du Rwanda, de l’Ouganda et de certains acteurs locaux. La vérité pour savoir pourquoi, à ce jour, ils sont abandonnés à Bunia, Kasenyi et partout en Ituri, sans perspective d’avenir, sans possibilité de scolarité. Comment était-ce possible de leur acheter des armes, des munitions et des tenues militaires pour aller au front, alors qu’il n’y a pas d’argent pour leur acheter des stylos, uniformes et autres fournitures scolaires pour aller à l’école.

Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, ces victimes ont droit à la justice afin que soit pris en compte ce qu’elles ont réellement vécu. Le mandat d’arrêt du Procureur ou la décision de confirmation des charges présentent, dans leur contenu, de manière impeccable, les charges qui pèsent sur l’accusé, mais aucun de ces documents ne pourrait vous faire entendre les pleurs de ces enfants pendant qu’ils étaient arrachés à leur famille, leurs angoisses pendant que les balles crépitaient au front, les cris de leurs frères, de leurs amis fauchés par les balles, leurs indécisions pendant que l’ordre d’avancer ou de décrocher était lancé ou simplement quand aucun ordre n’était donné parce qu’il n’y avait plus personne pour le faire et que les balles continuaient à pleuvoir. Cette mère, dont les entrailles frémissaient à chaque tir, à chaque nouvelle venant du front, ayant l’audace d’espérer que ses enfants victimes, et à la fois acteurs forcés de cette guerre, seraient épargnés.

Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, ce procès qui débute aujourd’hui prendra fin un jour, mais la guerre 1 par laquelle sont passés ces enfants ne prendra plus jamais fin et ils la revivront chaque jour, chaque fois qu’ils se réveilleront la nuit des suites d’un cauchemar ; ils la revivront au son de chaque arme à feu qui crépite, à la vue de toute tenue militaire et ils sont encore en train de la revivre au cours de ce procès, s’ils ont évidemment la chance d’accéder à un poste téléviseur. S’ils ne sont pas chassés parce qu’ils sont devenus infréquentables, parce que plongés dans l’alcoolisme, dépendant des drogues que l’on mettait dans leur repas pour les rendre féroces et insensibles au danger.

Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, lorsqu’un navire coule, la loi de sauvetage est simple : les femmes et les enfants d’abord. Lorsque des preneurs d’otages veulent manifester leur bonne foi, ils commencent par libérer les femmes et les enfants. Les femmes et les enfants ont été les otages des seigneurs de guerre de l’Ituri pendant que le navire de leur destinée coulait dans le sang ; les femmes d’abord pour être violées, les enfants d’abord pour être envoyés au combat quand il s’agissait de garçons et pour servir aussi d’esclaves sexuelles quand il s’agissait de filles. Ces victimes espèrent, respectueusement, que ces vues et préoccupations seront prises en compte au cours de ce procès.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Merci beaucoup, Maître Diakiese. Maître Bapita, maintenant.

Me BAPITA : Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de la composition, les victimes que je représente dans cette procédure vous remercient de l’opportunité que vous leur donnez de faire une déclaration liminaire après plus de deux ans d’attente d’ouverture du procès et surtout que c’est la première fois que les victimes participent pleinement dans un procès du droit pénal international.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de la composition, le passé historique de la République démocratique du Congo démontre que l’infraction de recrutement d’enfants-soldats, l’enrôlement et la conscription sont une habitude prise au vu et au su de tous et cela, en toute impunité jusqu’à ce jour. Plusieurs groupes armés au sein de la République démocratique du Congo ont eu à pratiquer cela ; en passant par l’AFDL, le RCD, l’UPC, les FNI, le FRPI, le FPJC, le CNDP, le PARECO, le MLC et j’en passe et même les troupes alliées aux belligérants dont celles issues du Rwanda et de l’Ouganda s’y livrent ouvertement.

En effet, la chronologie des événements politiques, les incidents et violations de droits humains à l’est de la République démocratique du Congo et particulièrement en Ituri le démontrent. Depuis janvier 1998, lors de la publication et la présentation du rapport sur la situation des droits humains en République démocratique du Congo, rapport se trouvant sous le document (E/CN.4/1998/65) soumis par le rapporteur spécial Garreton, à ce jour démontre que c’est une pratique régulière et pour laquelle les seigneurs de guerre estime qu’il n’y pas d’infraction ou sinon, c’est une infraction bénigne. Notre devoir, en tant que représentants légaux des victimes, victimes qui sont des enfants recrutés, enrôlés et engagés dans des hostilités au sein de l’UPC, n’est pas seulement de désigner le ou les coupables, mais aussi d’aider à trouver une solution pour mettre fin à cette pratique d’enrôlement d’enfants-soldats en République démocratique du Congo.

Pour ce faire, nous ne voulons pas revenir sur les actes criminels commis contre nos mandants par leurs bourreaux en reprenant le contexte de leur victimisation, mais il s’agit plutôt, pour nous, de regarder l’avenir et l’avenir dépendra aussi du jugement qui sera rendu à l’issue de l’examen des éléments de preuve du Procureur et de la Défense par votre Chambre.

Parce qu’il y a victimes, il doit y avoir des responsables. C’est pourquoi nous devons soutenir nos victimes en leur donnant une voix aux fins d’exprimer ce qu’elles ont vécu, en expliquant le désarroi dans lequel elles se sont retrouvées, les mauvais traitements qu’elles ont subis et aussi le rejet dont elles font l’objet de la part de leur communauté. Les victimes que nous représentons ont dû subir un recrutement qui était, pour les unes, un engagement volontairement dû, entre autres, à des paramètres généralisés dont l’absence de services sociaux qui eut des conséquences pour les enfants non accompagnés ou orphelins très souvent à la recherche de la protection et de la nourriture. Par contre, pour les autres, ce recrutement fut involontaire, forcé, sans que les enfants concernés aient eu la moindre alternative. Forcé ou involontaire — forcé ou volontaire plutôt — le recrutement d’enfants-soldats est illégal et condamné par le droit international.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de la composition, la plupart des victimes que je représente sont au nombre de 26 ; ils ont été enlevés dans la rue, sur le chemin de l’école, en classe, au marché ou encore chez elles, à la maison. Les victimes que je représente ont été utilisées comme espions, messagers, porteurs, enfants à tout faire ou slaves sexuels. Pourquoi le choix des enfants par l’UPC ? Quatre raisons ont été 1 avancées par mes victimes ; certains ont délibérément accepté de s’enrôler pour fuir la pauvreté. En effet, ils ont considéré que l’UPC était le seul endroit où ils pouvaient être bien entretenus et pris en charge après la mort de leurs parents.

Deuxièmement, l’UPC a choisi les enfants parce qu’elle a considéré qu’ils sont dociles : les mineurs sont plus faciles à enrôler de force, à effrayer et sont accoutumés à la soumission à l’autorité. D’autres encore ont été enrôlés à cause de leur témérité, car ils pouvaient, à tout moment, se montrer impitoyables et cruels. Et enfin, pour d’autres encore, ils ont été enrôlés en raison de leur innocence et de leur naïveté. En effet, il est plus facile de droguer un enfant pour le pousser à commettre des actes graves.

Monsieur le Président, Honorables juges, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de la composition, parmi les enfants que je représente, vous avez aussi des filles qui ont été recrutées à des fins sexuelles et de mariage forcé. Qu’en est-il, alors, du genre dans l’enrôlement et de la conscription des filles par l’UPC? Parmi les 26 victimes que je représente, il y a cinq filles qui furent recrutées comme enfants-soldats au sein des forces armées de l’UPC, à savoir le FPLC. Ces cinq filles ont décrit, d’après ce qu’elles ont vécu, les formes diverses et variées de la participation des enfants aux hostilités et, plus particulièrement, celle des filles soldats.

En effet, les filles remplissaient plusieurs fonctions d’appui au combat, de même que des fonctions sans rapport avec le combat, mais essentielles pour le fonctionnement de la force ou du groupe armé. C’est ainsi que ses filles pouvaient être tour à tour combattantes, épouses ou esclaves sexuelles, aides, domestiques et cuisinières. Les violences sexuelles font partie de l’utilisation des enfants-soldats et en particulier des filles. La majorité des filles recrutées par l’UPC l’ont été très jeunes, dont certaines à des âges variant entre 10 ans et 14 ans. Elles étaient régulièrement violées, le viol et autres formes de violence sexuelle étant partie intégrante du processus d’enrôlement et de conscription des filles au sein de l’UPC. Toutes les filles soldats étaient violées et exploitées par leurs chefs et les soldats de leurs unités, leurs collègues.

Pour certaines anciennes filles soldats, que je représente, les viols ont commencé dès leur enlèvement et ont continué tout au long du temps qu’elles ont passé avec l’UPC. Ils ont même été plus intenses au cours de la période initiale de l’enlèvement, et dans les camps l’entraînement où elles ont été formées pour devenir soldats de la milice. La majorité de ces filles, victimes des viols, souffrent de traumatismes psychologiques. De nombreuses filles ont été torturées, maltraitées ou emprisonnées pour avoir refusé les avances sexuelles de leurs supérieurs qu’elles subissaient contre leur gré. Peu de filles ont été envoyées au combat. Très souvent, elles étaient utilisées pour les travaux ménagers ainsi qu’à des fins sexuelles. Certaines filles se sont laissé exploiter sexuellement par leurs commandants pour avoir de la nourriture.

Durant cette période d’entraînement, les filles étaient privées de sommeil et forcées à consommer des drogues, apprenaient à se battre et à utiliser des armes. Quelques-unes des filles étaient désignées comme garde du corps et forcées à combattre et à tuer. Le viol était donc partie intégrante du quotidien des filles recrutées et enrôlées par l’UPC.

Il se trouve que, de par la réalité de la RDC et de l’Afrique en général, la femme et la jeune fille sont dans une seconde classe dans la société. Elles sont subordonnées aux hommes et on leur donne beaucoup moins de chance dans les études. Il y a également le fait que de nombreuses familles en zone rurale favorisent la scolarisation des garçons au détriment de celle des filles. Les statistiques de l’UNICEF en disent long. Avant la guerre, il y avait déjà cette grande discrimination sur le plan scolaire. Pendant la guerre et la rébellion, la situation s’est encore accrue. Le recrutement de filles soldats a eu plusieurs conséquences négatives dans leur vie, leurs droits à l’enfance notamment… sur leurs droits à l’enfance, sur leur scolarité, sur leurs droits à la sécurité, sur leurs droits à la protection, sur leurs droits à l’intégrité physique, sur leurs droits à une santé reproductive et génésique et à une autonomie sexuelle leur ont été déniés et ont été détruits. Quelques filles violées par les soldats de l’UPC ont eu des grossesses non désirées, elles ont souffert de multiples blessures internes et externes et ont été rejetées par leur famille et leur communauté à leur retour.

Le viol comme arme de guerre divise les familles et les communautés, fracture les réseaux d’individus et familiaux, brise les liens sociaux et culturels, et fait valoir à la dominance à travers des actes de violence sexiste; violence sexuelle et fréquemment le viol.

Les victimes que je représente ont évolué dans un environnement de terreur, loin de leur famille et dans la brutalité au sein de l’UPC. Dans le cas de la conscription et de l’enrôlement de filles soldats au sein de l’UPC, leur vulnérabilité en tant que filles a été exploitée et violée de façon intentionnelle et systématique. Les souffrances et supplices physiques et psychologiques que les victimes filles enfants-soldats ont subis en tant que tels peuvent diminuer, mais ne disparaîtront jamais complètement. C’est dire qu’elles pourraient pardonner, mais pas oublier ces atrocités.

Plusieurs victimes ont pris des risques énormes en participant à cette procédure judiciaire devant la Cour pénale internationale. Leur sécurité a été menacée de même que celle de leur famille. Elles ont été délocalisées et ont perdu aussi leur accès à un environnement familial et amical. Ces victimes estiment qu’il y a nécessité de sanctionner les coupables de réparer leurs préjudices et de leur permettre de réintégrer leur communauté. Pour ce faire, la responsabilité des adultes doit être retenue, celle de Thomas Lubanga Dyilo en particulier, car quel que soit le mobile de la guerre, cela n’explique ni ne justifie le recrutement forcé des enfants, dont nul ne peut exiger du consentement, parce qu’il s’est agi de mineurs. La détermination de ces victimes à participer est dictée par un désir de voir les auteurs de crimes tenus pour responsables, de documenter correctement la violence à laquelle elles ont survécu et surtout d’empêcher que ces crimes se reproduisent.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, Honorables membres de la composition, cette infraction d’enrôlement, recrutement, conscription d’enfants-soldats est grave. En effet, c’est avec beaucoup de négligence que les leaders des groupes armés rebelles forment des personnes qui, si elles ne sont pas encadrées, verseront dans la criminalité. Ces leaders font de l’est de la République démocratique du Congo une bombe à retardement. Au lieu de promouvoir la scolarité pour leur jeunesse, qui est l’avenir de demain, jeunesse qui est l’avenir du pays, jeunesse qui est l’avenir de la communauté, ils ont donné priorité à la formation de personnes qui sont de potentiels futurs criminels, s’ils ne sont pas bien encadrés. Ces leaders rebelles font de l’est de la République démocratique du Congo, une région où sera établi, où est établi un grenier d’où tout 25 le monde viendra puiser les éventuels enfants-soldats donnant naissance ainsi au « ré-recrutement ». Concrètement, ils ont fait de la jeunesse de leur province une bombe à retardement et cela n’est pas correct.

La question qui se pose est la suivante : les chefs rebelles ont-ils eu raison par cet acte d’enrôlement, ont-ils rendu un bon service à leur communauté ? Je pense que non. Une communauté fière, grande, forte est celle qui est composée d’un taux élevé de personnes intellectuelles, d’un taux élevé de travailleurs, et la profession est l’avenir des enfants ; c’est par la scolarité. Malheureusement, dans sa communauté Thomas Lubanga a donné naissance à un nombre d’enfants pour qui la scolarité ne comptait pas et qu’il fallait faire d’eux des enfants-soldats. Alors que tout le monde entier se bat pour promouvoir les droits de la petite fille à une scolarité, l’UPC, par contre, a découragé cette vision, en faisant de petites filles des soldats et, dans le cadre de leur enrôlement et conscription, des esclaves sexuelles. On se pose la question de savoir si tous ces chefs rebelles trouvaient normal d’enrôler les enfants d’autrui tout en mettant à l’écart leurs propres enfants. En d’autres termes, en protégeant leurs propres enfants, n’ont-ils pas démontré et reconnu eux-mêmes que l’enrôlement forcé n’est pas une bonne chose? C’est là toute la question à trancher par ce procès qui s’ouvre aujourd’hui. Le monde et l’histoire attendent votre réponse à cette question.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, Honorables membres de la composition, au vu des éléments de preuve que présentera le Procureur tout au long de cette procédure, nous nous réservons le droit de solliciter de votre Chambre une qualification de certains faits de la cause en infraction d’esclavage sexuel, à mettre à la charge de l’accusé Thomas Lubanga. J’ai dit et je vous remercie.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais): Merci beaucoup, Maître Bapita. Maître Kabongo.

M. KABONGO : Monsieur le Président… Monsieur le juge Président, Madame, Monsieur le juge, Monsieur le Procureur, estimés confrères de la Défense, chers confrères représentants légaux des victimes. Mesdames et Messieurs, la déclaration liminaire que j’ai le privilège et l’honneur de présenter à ce jour au nom de la seule victime que je représente porte sur les enfants-soldats. Sont-ils criminels ou victimes? 

Monsieur le juge Président, Madame, Monsieur le juge, l’expression « enfant-soldat » désigne toute personne âgée de moins de 18 ans qui fait partie de toute force ou groupe armé régulier ou irrégulier. Les enfants-soldats sont plus susceptibles de devenir des enfants-soldats s’ils sont pauvres, séparés de leur famille, déplacés de leur foyer, s’ils vivent dans une zone de combat ou s’ils ont un accès restreint ou inexistant à l’éducation. En cette qualité, ils sont souvent amenés sans comprendre et sans le vouloir à commettre des crimes. Dans ce cas, peut-on les considérer comme criminels ou plutôt comme victimes de guerre?

Honorable… le juge Président, Madame, Monsieur le juge, répondre à cette question m’amène de parler d’abord de la responsabilité pénale des enfants-soldats et ensuite de l’irresponsabilité pénale des enfants-soldats. La responsabilité pénale peut être définie comme l’obligation pour une personne de répondre de ses actes délictueux et de subir une peine. Elle suppose donc que la personne est coupable et imputable. La culpabilité, Monsieur le Président, c’est la faute, c’est la faute intentionnelle ou d’imprudence ou de négligence. Cette faute n’est possible que dans le chef de la personne dont la volonté est consciente et libre.

Or, Honorable Président, la volonté des enfants de moins de 15 ans, âge qu’avaient la plupart des enfants-soldats lors du recrutement entre 2002 et 2003 — en Ituri — n’est pas consciente, et encore moins libre. Elle est toujours extorquée par les seigneurs de guerre, arrachée par ceux-là qui se croient forts dans le but de les faire participer activement aux hostilités. L’imputabilité, Monsieur le Président, c’est la capacité de comprendre et de vouloir. Or, les enfants soldats, tous âgés de moins de 18 ans au moment des faits, n’avaient pas la capacité de comprendre ni de vouloir commettre ou contribuer à la commission d’un crime relevant de la compétence dans le Cour.

Monsieur le Président, je vais vous parler maintenant, de l’irresponsabilité pénale des enfants-soldats. Le Statut de la Cour pénale internationale, à son article 26, exclut de la compétence de votre Cour les actes commis par les enfants de moins de 18 ans. C’est le principe de l’irresponsabilité pénale absolue consacrée par la Cour. En effet, aux yeux de la Cour, la personne qui n’a pas atteint l’âge de la responsabilité pénale ne peut, en aucun cas, être considérée comme pénalement responsable, donc criminelle. Il est, en tout état de cause, difficile d’imaginer que ces enfants-soldats de moins de 15 ans aient eu une capacité de discernement suffisante pour leur reprocher un quelconque élément intentionnel caractéristique de l’acte criminel.

En outre, Honorable…Monsieur le Président, il est important de considérer la contrainte physique ou morale qu’ont pu subir ces enfants-soldats en position de vulnérabilité absolue avant de retenir à leur charge une faute quelconque. C’est le principe de l’exonération de la responsabilité pénale posé par l’article 31 du Statut de la Cour pénale internationale. En effet, ces enfants, Monsieur le Président, agissaient le plus souvent dans un état d’intoxication qui les privait de la faculté de comprendre que le caractère délictueux ou la nature de leur comportement constituaient un crime relevant 1 de la compétence de la Cour. Ils étaient fréquemment drogués pour devenir insensibles à la peur et à la violence.

Dans le cas de la victime que je représente, de surcroît une fille, imaginez-vous, Monsieur le Président, droguer une fille c’est droguer toute une société parce que, Monsieur le Président, êtres humains que nous sommes, nous sommes tous, ici, des femmes que nous considérons nos mamans.

Honorable Monsieur le Président, Madame le juge, Monsieur le juge, transformé en chair à canon dans des conflits armés, un enfant n’est pas un objet de guerre. Un enfant est une personne à part entière ayant des droits. Ces enfants sont bel et bien des victimes, Monsieur le Président, Honorable Président. Des victimes d’un crime de guerre ayant subi d’énormes préjudices, blessures physiques, souffrances psychologiques, interruption de scolarité. Au moment opportun, Monsieur le Président, avec la présentation des éléments de preuve, nous allons démontrer, Monsieur le Président, toutes formes de ces préjudices subis par les victimes. Et ces enfants attendent alors, Monsieur le Président, de votre auguste Cour, une réparation. J’ai dit et je vous remercie.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Merci beaucoup, Maître Kabongo. Maître Walleyn, je crois que vous êtes le dernier.

Me MULAMBA : Monsieur le juge Président, Madame Messieurs les juges, Monsieur le Procureur, chers confrères de la Défense, chers confrères représentants légaux des victimes, Mesdames, Messieurs de la composition de la Chambre, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants comme crime international est-il l’apanage de Statut de Rome? Ce n’est pas le Statut de Rome qui a interdit l’enrôlement d’enfants.

La tradition africaine reconnaît des droits à la femme et à l’enfant. La femme est génitrice, le support de la parenté. Elle est la mère des enfants, qui eux, représentent la force vitale par excellence du groupe. En effet, Monsieur le Président, dans la tradition africaine, la condition des enfants est ordonnée à la vie communautaire. C’est ainsi que M. Léger* affirme, dans son article « traditions africaines et droits de l’homme » que dès l’âge de 5 ans, les garçons vivent avec les pères qui les conduisent ensuite à la maison des hommes pendant que les filles vivent avec leur mère et les femmes du groupe familial. Dès l’âge de 10 ans, garçons et filles mènent une vie commune dans leurs maisons respectives, vie commune développée par l’initiation des fraternités d’âge.

Or, donner à la communauté la vie de l’enfant africain est caractérisé par une grande liberté.

Monsieur le Président, Honorables membres de la composition, l’enfant africain est un enfant roi parce que héritier des forces vitales du groupe. Il peut être corrigé, mais modérément. En zone rurale, il travaille quelques jours par semaine pour ses parents puis occupe librement son temps à des jeux, à la culture d’une parcelle ou à la surveillance d’un bétail qui lui est confié. 18 L’enfant représente un potentiel vital qui exclut son abandon.

Oui, Monsieur le Président, Honorables membres de la composition, dans cette communauté de vie, il n’y aura jamais ce genre de propos, dogme ou précepte dans l’éducation de l’enfant, votre arme c’est votre mère ; elle monte la garde pour vous, jour et nuit, ce fusil est la source du pouvoir… de votre pouvoir ; il vous protègera et vous fournira tout ce dont vous avez besoin si vous avez… si vous savez vous-même vous en servir. Ces propos ont été cités ce matin par le Procureur. Ainsi donc, l’enrôlement des jeunes enfants, garçons et filles, comme combattants est contraire aux traditions africaines.

Monsieur le Président, Honorables membres de la composition, la République démocratique du Congo a ratifié plusieurs traités internationaux sur les droits de l’homme et le droit humanitaire qui interdisent le recrutement d’enfants, plus particulièrement la Convention des droits de l’enfant de 1989, ratifiée en 1991 – mais qui a été publiée au Journal Officiel en 2002 soit onze ans après — qui réaffirme ce principe de non recrutement en son article 38, en stipulant que les parties États, les États plutôt parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de 15 ans ne participent pas directement aux hostilités. Le protocole de Genève, qui a été aussi ratifié par la République démocratique du Congo, contient des dispositions relatives à l’utilisation des enfants dans le conflit armé, spécialement l’article 77 du premier protocole. Il faudra ajouter, aussi, le protocole facultatif à la Convention internationale sur les droits de l’enfant de 2000 ratifié et publié par la République démocratique du Congo en 2002. Dans son article 2, il demande aux États membres de veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de 18 ans ne fassent pas l’objet d’enrôlement obligatoire au sein de leurs forces armées. Pour les groupes armés, par contre, l’interdiction est absolue puisqu’ils ne devraient, en aucune circonstance, enrôler ni utiliser dans les hostilités, des personnes âgées de moins de 18 ans.

Et la Charte africaine sur le droit et le bien-être des enfants, ratifiée par la République démocratique du Congo en 2002, dans son article 22.2, invite les États parties à la présente à prendre toute mesure nécessaire pour veiller à ce qu’aucun enfant ne soit enrôlé sous les drapeaux. Il y a aussi le droit international coutumier, et la jurisprudence sous laquelle se fonde aussi pour démontrer que le recrutement a été interdit.

Outre ces traités internationaux particuliers relatifs aux droits de l’enfant, il y a lieu de rappeler d’autres traités, des résolutions du Conseil de sécurité et certaines dispositions pertinentes de la République démocratique du Congo qui interdisent l’enrôlement et l’utilisation d’enfants dans les hostilités.

Je citerai les conventions de Genève, plus particulièrement la quatrième qui est relative à la protection des personnes civiles, la convention n°182 de l’Organisation internationale du travail, contre les pires formes du travail des enfants, en y ajoutant, Monsieur le Président, les résolutions du Conseil de sécurité, dont les plus importantes que j’ai pu relever je les cite: nous avons la résolution 1291 du 2 25-2-1999, dans le point 2 « condamne énergiquement le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés, en violation du droit international. » La résolution 1314, du 11-8-2000, qui dans son point 4, demande notamment, aux États membres en mesure de le faire, de signer et ratifier le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la participation d’enfants aux conflits armés et dans son point 16 les encourage vivement, envisage de prendre des initiatives régionales en vue de l’application intégrale de l’interdiction d’utiliser des enfants-soldats en violation au droit international.

Et la résolution 1379 du 30-11-2001, qui dans son point 8-a demande à toutes les parties à un conflit armé de respecter pleinement les dispositions pertinentes des normes internationales relatives aux droits et à la protection des enfants dans les conflits armés, en particulier, n’est-ce pas, les conventions de Genève, le protocole facultatif, et constate que la conscription ou l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou leur engagement actif dans les hostilités figurent parmi les crimes de guerre visés par le Statut. De prendre des mesures particulières pour faire respecter des droits et des besoins spéciaux des filles et des femmes touchées par les conflits armés et mettre un terme à toutes les formes de violence et d’exploitation, y compris les sévices sexuels, en particulier le viol.

Monsieur le Président, au point 9, la même résolution demande aux États membres de mettre fin à l’impunité et de poursuivre les responsables de génocides, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et autres crimes abominables commis contre les enfants, et d’exclure autant que possible ces crimes des mesures d’amnistie et des actes législatifs du même ordre, et de veiller à ce que le mécanisme de recherche de la vérité et de la réconciliation mis en place après le conflit, s’occupe des abus graves dont les enfants ont été victimes. Et il en est de même de la résolution 1539 du 11-04-2004 et de la résolution 1612 du 26-07-2005. Mais quant à la législation congolaise sur l’enrôlement.

Monsieur le Président, en voici quelques dispositions : la nouvelle constitution congolaise publiée le 18 février 2006 n’interdit pas explicitement le recrutement d’enfants, mais donne des garanties de protection aux enfants mineurs, et définit dans son article 41, l’enfant mineur comme étant toute personne qui n’a pas encore atteint l’âge de 18 ans révolus. Il y a aussi la loi portant organisation générale de la défense des forces armées, dans son article 7, interdit l’emploi des civils âgés de moins de 18 ans. Il y a d’autres dispositions nationales qui reflètent l’engagement pris par la République démocratique du Congo d’exclure les enfants des forces armées et autres groupes armés. Nous citerons à titre d’exemple la loi n° 15, 2002 du 16-2-2002 portant code du travail, en application de la convention n° 182.

Monsieur le Président, Honorables membres de la composition, pouvons-nous rester ensemble, indifférents, aveugles, lorsqu’une fille de 9 ans, à la recherche de papaye — de quoi manger — est capturée, violée par des enfants-soldats ? Pouvons-nous demeurer indifférents lorsqu’un enfant de 13 ans quittant son père pour aller visiter sa mère, se trouve enrôlé de force, et lorsque la mère sollicite que l’enfant puisse réintégrer la famille, cet enfant braque l’arme à sa mère pour lui montrer qu’il n’est plus dans sa famille ?

Au vu de toutes leurs difficultés, les victimes que je représente sont alors en attente de ce que pourra leur apporter la justice. En s’exprimant devant la Cour, elles tentent d’obtenir le châtiment du coupable et la réparation des préjudices qu’elles ont subis. Je vous remercie.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Merci beaucoup, Maître Walleyn.

Me WALLEYN : Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, je vous donnerai d’abord lecture de l’intervention qu’avait préparée Me Franck Mulenda avant de terminer avec ma propre intervention. L’intervention de Me Mulenda devait rappeler notamment les difficultés qu’ont dû surmonter les victimes et leurs représentants légaux pour être ici aujourd’hui ; c’est d’autant plus malheureux que lui, qui travaille sur ce dossier depuis plus de trois ans, ne peut alheureusement pas être parmi nous à cause d’une prise en observation ce matin. Je peux cependant vous rassurer et également peut-être sa famille qui nous regarde, que nous avons bon espoir qu’il pourra nous rejoindre d’ici quelques jours.

Me Mulenda voulait d’abord parler des efforts de ces anciens enfants-soldats et leur famille pour faire entendre leur voix. Après avoir été aidé par le Greffe, les organisations non gouvernementales, nationales et internationales, à remplir difficilement un formulaire de participation qui dépasse leur niveau de compréhension, les victimes dont la scolarité a été brutalement interrompue, parce que versées de force dans la pénible vie militaire ont longtemps attendu ce moment, ce procès historique qu’elles souhaitent exemplaire et dissuasif.

Les victimes — du moins celles qui vivent encore et qui s’expriment ce jour, parce que certaines sont décédées, alors que d’autres n’auront peut-être jamais accès à la justice — ont emprunté un chemin très long et surmonté plusieurs obstacles sur leur passage près de trois ans durant. Ces obstacles sont si nombreux que nous allons nous contenter d’un petit échantillon.

Les difficultés de communication avec les représentants légaux, la gestion des bruits et annonces dans la presse parfois fantaisiste du genre: « Le Procureur n’a aucune charge contre Thomas Lubanga Dyilo. TLD acquitté par la Cour. TLD regagne l’Ituri bientôt. » La longueur de la procédure, les risques d’une participation à une procédure dans un contexte post-conflit non rassurant sont à signaler.

Les représentants légaux non plus n’ont pas eu la tâche facile ; le déploiement sur terrain dans des conditions difficiles et d’incertitude sécuritaire tant pour eux-mêmes que pour leurs clients sont à signaler. Non seulement les représentants légaux ont eu à contrer les élans de la Défense tendant à mettre à mal les intérêts des victimes par des nombreuses soumissions ou observations, elles ont aussi dû gérer des nombreuses divergences de vue avec le Procureur, qui dans nos systèmes juridiques nationaux est pourtant par principe, l’allier traditionnel des victimes. Il faut dire que si formellement on peut affirmer que le cadre légal sur la participation des victimes dans la procédure devant la Cour pénale internationale existe, la pratique pose encore beaucoup de problèmes. Heureusement, votre jurisprudence a déjà réglé un certain nombre de questions. Au-delà de tout ceci, les victimes comparaissent par devant vous en toute confiance et remercient votre Chambre, Monsieur le Président, et les différents services du Greffe pour avoir facilité le début de ce procès.

Pour ce qui concerne l’âge des enfants qui a été un problème important lors des débats devant la Chambre préliminaire, les victimes ex-enfants-soldats, dont certains sont majeurs ce jour, ont voulu aborder sans épuiser leurs arguments y relatif un des sujets qui tiennent… qui les tiennent à coeur, à savoir leur âge au moment des faits. Le débat devant la Chambre préliminaire s’est soldé par une décision qui se rapproche de la réalité en République démocratique du Congo, dont l’état civil connaît d’énormes problèmes et dont les efforts de réhabilitation sont fournis à la fois par le gouvernement, les partenaires en développement… que la communauté internationale, particulièrement la coopération belge. Par souci de réalisme, nos clients renvoient à toutes fins au point de vue du législateur congolais exprimé dans une loi récente non abrogée. En effet, ce dernier s’exprime en ces termes dans le préambule de la loi n° 4/28 du 24 décembre 2004 portant l’identification et enrôlement des électeurs en République démocratique du Congo, dixième paragraphe.  Par ailleurs, la carte d’électeur pourra servir dans un premier temps de carte d’identité; son émission et sa remise donneront un double avantage aux citoyens de s’inscrire à l’identification et à l’enrôlement, de bénéficier d’un document officiel servant à voter lors des élections et à prouver son identité. Puis l’article 6, alinéa 2 de la même loi dispose : « Le Bureau du centre d’inscription peut recourir au témoignage des personnes pouvant garantir l’identité et la nationalité des individus se présentant devant lui. » L’article 10 dispose à son tour : « Pour justifier l’identité et l’âge de l’électeur, prise en considération — et je ne vais pas énumérer toutes les pièces, mais l’alinéa précise que — à défaut de l’une ou de l’autre de ces pièces, sera pris en considération le témoignage fait devant le bureau. » Cette approche législative démontre à suffisance les difficultés liées à l’état civil en République démocratique du Congo, particulièrement à l’est où se situe l’Ituri, qui a connu des guerres à répétition. Votre Chambre en tiendra certainement compte. Puisque la situation sécuritaire… les différents conflits en Ituri sont assez documentés; une constance cependant, c’est qu’ils opposent depuis l’époque coloniale principalement deux tribus importantes du coin, condamnées à partager le même territoire, les mêmes espaces. Les victimes vivent dans cet environnement et ainsi prennent des risques en participant à cette procédure, surtout qu’elles sont pour la plupart de la même tribu que l’accusé. Ajoutez à cela tous les foyers de tensions encore d’actualité dans la région. Plusieurs victimes, intermédiaires et même des représentants légaux ont subi des menaces et certains ont dû recevoir une protection. Tout le long de ce procès, la Chambre sera certainement attentive à cette question de sécurité des témoins et victimes. Enfin, quant aux attentes des victimes dans le cadre de cette affaire, les victimes attendent que justice leur soit faite, même si aucune réparation ne peut redresser un avenir compromis, et c’est le cas. Une victime enrôlée a réussi à fuir et à rependre les études avant d’être récupérée et envoyée aux différents fronts. Il n’a été démobilisé que plus tard à la faveur des troupes françaises. Une autre enrôlée subit une formation militaire avant d’être utilisée comme esclave sexuelle de son commandant qui, par la suite, l’a cédée à d’autres commandants ; mourante, elle a été remise à la famille après plusieurs démarches à risque. Deux autres encore ont été enrôlées de force après que leur frère 1 aîné, accusé de trahison, ait été assassiné, la chair vendue et mangée en leur présence.

Un père dont l’enfant a été tué après son refus de combattre ne reverra jamais son fils. D’autres victimes ont été dans la même situation, si pas pire ; leurs dossiers individuels vous édifieront davantage.

Toutes ces victimes ont les yeux tournés vers votre Chambre de qui elle sollicite la célérité. Jusque-là, l’intervention de Me Mulenda.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de cette Cour pénale, pour terminer cette série de déclarations d’ouvertures, j’aimerais, à travers votre Cour, m’adresser à ceux qui nous écoutent à Bunia et ailleurs en Ituri. Une radio transistor à l’oreille ou grâce à la transmission par Internet devant un écran, qu’ils soient Hema, Lendu, Alur ou autre, A

Aujourd’hui est une journée d’espoir non seulement pour la Cour pénale internationale, qui ouvre ainsi son premier procès, mais aussi pour eux, pour les milliers de victimes de ce conflit congolais sans fin ; pour tous ces anciens enfants-soldats qui essaient péniblement de reconstruire leur vie, pour les familles qui ont perdu leur fils et leur fille ou qui les ont retrouvés abîmés. Et enfin pour ceux qui, encore maintenant, sont toujours quelque part dans la brousse, sales, fatigués, anxieux, le ventre creux, le corps douloureux, pleurant la nuit leurs parents, leur école et leur enfance, avec un AK 47 comme compagnon et un peu de chanvre pour se consoler.

La justice internationale doit mettre fin à l’impunité des crimes les plus graves. Elle devrait aussi préparer la voie à la réconciliation, en distinguant responsables principaux et suiveurs, innocents et victimes. La justice offre une alternative à la stigmatisation de communautés entières comme coupables. 

La sanction, mais aussi la réparation aux victimes offre une alternative au cycle infernal de la vengeance.

Ensuite, Monsieur le Président, vous ne m’en voudrez pas qu’après deux ans d’audience où nous étions face à face, je me permette de m’adresser aussi à l’accusé lui-même.

Monsieur Thomas Lubanga, les victimes que nous représentons ne sont pas vos ennemis, ce ne sont pas des agents de l’un ou l’autre gouvernement, ONG ou institutions internationales. Ce sont vos Kadogo et leurs parents qui appartiennent à votre peuple. Certains, souvent encore des mineurs ont accepté de témoigner devant cette Cour à la demande du Bureau du Procureur. Ce n’était pas une décision facile; parce qu’ils sont fragiles, parce qu’ils ont pris des risques et ont parfois dû accepter les rigueurs d’un programme de protection, mais aussi parce que vous étiez leur Président, leur Papa Lubanga, celui pour qui ils ont souffert et affronté la mort. Ils l’ont fait parce qu’ils veulent que la vérité se sache ; ils méritent le respect. Ils ont été déçus mais ils ne réclament pas vengeance, ils demandent à être reconnus comme victimes, ils demandent vérité, justice et réparation. Ils espèrent que la Cour confirmera que leur enrôlement dans le FPLC était un crime. La meilleure réparation pour eux serait sans doute que vous, Monsieur Lubanga, ous-même le reconnaissiez.

Les exposés introductifs des représentants légaux des victimes présentés le premier jour du procès ont fait forte impression. Les représentants légaux se sont exprimés au nom des victimes des crimes perpétrés en RDC pour lesquels Thomas Lubanga est poursuivi et sa responsabilité pénale retenue. Chacun d’entre eux a dépeint avec une certaine fougue les expériences et souffrances subies entre 2002 et 2003 par leurs clients, qui comprennent de nombreux enfants et ex-enfants soldats. Ils ont évoqués les viols, les coups, les stigmates qu’ils ont ressentis (et en particulier les filles soldats) ainsi que leurs souhaits de voir la justice rendue par rapport aux crimes qu’ils ont endurés.

Remarque : un des représentants légaux (Mme Bapita) a annoncé dans son exposé introductif qu’elle souhaitait « se réserver le droit de demander à la Chambre une qualification du crime d’esclavage sexuel contre l’accusé Thomas Lubanga ». Les représentants légaux des victimes ont déposé une telle demande en mai 2009 et ont demandé non seulement d’inclure l’esclavage sexuel mais le traitement inhumain et cruel dans la requalification des charges retenues contre Thomas Lubanga. Après que la Chambre de première instance ait statué en juillet 2009 qu’une telle requalification était possible, l’accusation et M. Lubanga ont fait appel de cette décision. En décembre 2009, la Chambre d’appel a rejeté cette possibilité.   

Vous trouverez ci-dessous les exposés introductifs des représentants légaux des victimes présentés le premier jour du procès, l’année dernière, le 26 janvier 2008 (la transcription complète est disponible ici : http://www2.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc623638.pdf).

Mme MASSIDDA (interprétation de l’anglais) : Je crois que mon introduction ne durera pas plus de 15 minutes, donc je suis sure que nous pourrons effectivement respecter cette pause à midi. (Intervention en français), Monsieur le Président, Madame et Monsieur le juge, c’est avec motion que nous prenons la parole aujourd’hui pour donner voix aux victimes devant le premier procès de la Cour pénale internationale. En effet, les crimes punis par le droit international pénal engendrent un nombre très élevé de victimes: plus de 5 millions de juifs ont été exterminés au cours de la seconde guerre mondiale ; au Rwanda, en l’espace de 100 jours en 1914 (sic) le génocide a fait 800 (sic) morts ; à Srebrenica, en juillet 1995, entre 7 000 et 8 000 hommes, musulmans de Bosnie, ont été tués de manière systématique. En République démocratique du Congo, comme le disait tout à l’heure le Bureau du Procureur, le conflit a été à l’origine de millions de morts parmi des personnes civiles, alors que des milliers de personnes ont (sic) également déplacées à l’intérieur de leur pays ou ailleurs.

Pourtant, et pour longtemps les victimes ont été considérées comme de simples témoins. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo n’ont jamais considéré le sort des victimes, sauf au travers la répression des crimes dont elles avaient souffert. Les traités de droit international humanitaire, notamment les quatre conventions de Genève de 1949 et les deux protocoles additionnels de 1977 prévoient qu’il y a lieu de sanctionner pénalement ceux qui en violent les prescriptions, mais ne prévoient pas de droit à l’indemnisation pour les victimes; ils ne connaissent pas non plus le droit des victimes de provoquer des poursuites judiciaires contre les auteurs des crimes de guerre, d’intervenir dans la procédure relative à la question de la culpabilité, ou d’obtenir réparation. Ce sont les conventions relatives aux droits de l’homme et l’évolution de la pensée en matière de droits de l’homme en général qui ont, progressivement, fait pénétrer dans le droit international l’idée que les victimes disposent d’un droit individuel à la justice et a l’indemnisation de leur préjudice. Ainsi, le Pacte international relatif aux droits civils politiques et certaines conventions régionales reconnaissent le droit de pétition et d’indemnisation aux victimes dont les droits fondamentaux ont été violés.

La reconnaissance internationale des droits des victimes a franchi un pas décisif grâce à l’adoption de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes et de la criminalité, aux victimes d’abus de pouvoir adoptée par l’assemblée des Nations Unies le 29 novembre 1985. Cette déclaration, première de son genre, donne un aperçu général des droits des victimes: droit de pétition, droit à la dignité et à la réhabilitation, à la restitution des biens et à l’indemnisation, à l’assistance médicale, psychologique et sociale.

Cependant, lors de la création des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, les victimes ont été quelque peu oubliées. Il aura fallu attendre l’adoption du Statut de Rome pour placer les victimes au coeur même de la justice pénale internationale. Désormais, une place prépondérante est accordée aux droits et aux intérêts des victimes qui peuvent participer à la procédure et demander la réparation du préjudice qu’elles ont subi.

Mais pourquoi, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les juges, pourquoi les victimes souhaitent participer aux procédures? Avant d’expliquer les raisons de leur participation, il est important de vous présenter les victimes que nous représentons. Il s’agit principalement d’enfants-soldats recrutés à un âge si jeune, parfois même au-dessous de 10 ans, que l’on ne peut même pas raisonnablement les imaginer portant un uniforme et des armes. Il s’agit également, pour certaines d’entre elles, de leurs parents. Ces enfants ont été recrutés pour participer activement aux hostilités menées par l’Union Patriotique Congolaise entre septembre 2002 et août 2003. Ils constituent, il est vrai, un groupe hétérogène au regard du droit international pénal. Ils sont victimes du crime — consistant à enrôler des enfants de moins de 15 ans dans des groupes armés et à les faire participer activement aux hostilités — tel que puni par l’article 8 du Statut de Rome.

Certains diront que ce premier procès historique devant la Cour pénale internationale qui s’ouvre aujourd’hui concerne un crime mineur. Ce n’est pas notre avis. Ce n’est pas l’avis des victimes que nous représentons. Ce crime est un crime extrêmement grave dont la gravité est accentuée par le fait qu’il touche des enfants. Mais l’hétérogénéité du groupe formé par les victimes que nous présentons ne doit pas faire oublier la spécificité attachée à chaque cas individuel. En effet, si toutes les victimes ont subi des violences physiques et psychologiques et portent encore aujourd’hui les traces de ces dommages moraux comme en autant de stigmatisations, des particularités se font jour, en particulier les filles ont subi des violences sexuelles pouvant aller jusqu’à l’esclavage sexuel. En République démocratique du Congo, une fille qui a subi un viol est bien souvent personnellement déshonorée, et bien qu’elle ne soit en rien coupable, on considère généralement qu’elle couvre sa famille de honte. En conséquence, de nombreuses victimes ont peur de parler de cet aspect du préjudice qu’ils ont subi, mais des groupes qui travaillent avec des filles qui ont subi des violences sexuelles en République démocratique du Congo, des filles, anciens enfants-soldats en Ituri, décrivent la situation comme désespérée, affirmant que le viol est très répandu, même s’il est rarement évoqué. Ma consoeur, Carine Bapita, reviendra sur ce point dans un moment.

Les intérêts personnels des victimes dans les procédures de la Cour correspondent, notamment, au droit à la justice. Après avoir rencontré les victimes que nous représentons et en avoir écouté les récits des préjudices qu’elles ont subis, il va de soi que le droit à la justice est, en effet, l’une de leur préoccupation principale, pour ne pas dire leur préoccupation 1 centrale. Or, derrière la revendication de ce droit, semble se trouver une multitude de raisons évoquées par les victimes, raisons que je vais essayer de relayer le plus fidèlement possible et de partager avec vous aujourd’hui.

Premièrement, le droit à la vérité semble être l’une de ces composantes. À cet égard l’intérêt central des victimes dans la détermination des faits, l’identification des personnes responsables et la déclaration de responsabilité est à la racine du droit à la vérité largement établi au bénéfice des victimes de violations sérieuses des droits de l’homme. Dans le processus de mise en oeuvre de ce droit à travers les procédures pénales, les victimes ont un intérêt central à ce que l’issue de telles procédures apporte de la clarté au sujet de ce qui s’est effectivement passé.

Les victimes sont des acteurs indépendants dans la procédure qui se déroule devant cette cour et leurs préoccupations diffèrent de celles du Bureau du Procureur. Leur position est celle de pouvoir contribuer à la recherche et à l’établissement de la vérité. Si la question de la culpabilité ou de l’innocence des personnes qui font l’objet de poursuites devant cette cour est malgré tout essentielle pour les victimes, c’est bien sous l’angle de l’établissement de la vérité. En d’autres mots, si l’identification, la poursuite et la punition des personnes qui sont à l’origine de leur victimisation revêt une importance cruciale pour les victimes, c’est que cela fait écho à un processus à travers lequel chacune d’entre elles est obligée de passer pour assurer sa convalescence suite aux préjudices qu’elle a subis. En effet, c’est aussi à travers ces mots formulés publiquement que les victimes peuvent se reconstruire ; des mots formulés non pas uniquement parce qu’elles seraient appelées à témoigner à la barre pour l’une ou l’autre des parties au procès,mais simplement parce qu’elles ont acquis le droit de partager avec les juges chargés de juger la personne qu’elles identifient comme étant le principal responsable des souffrances subies, les faits vécus.

Or, ce processus revêt d’une part une vertu cathartique et salutaire au niveau individuel, mais également une vertu réparatrice au niveau familial, sociétal et communautaire. D’autre part, ce processus s’inscrit dans un autre processus qui est celui de la lutte des victimes contre l’impunité, autre volet essentiel de la recherche de justice. C’est grâce à ce relais de vues et préoccupations dans les procédures de cette cour qu’à leur échelle individuelle, les victimes des crimes poursuivis participent à cette lutte. Ces démarches visent, en effet, à prévenir l’impunité des auteurs des crimes subis. La lutte contre une telle impunité semble, ainsi, bien faire partie du quotidien des victimes que nous représentons et être une composante essentielle de leur lutte quotidienne consistant aujourd’hui plus qu’à vivre, à survivre, à se reconstruire en tant qu’adultes alors même que leur enfance leur a été volée et niée.

En définitive, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les juges, la participation des victimes au procès contre M. Thomas Lubanga Dyilo permet de mettre en oeuvre la lettre du préambule du Statut de Rome qui, non seulement, établit que je cite : « Au cours de ce siècle, des millions d’enfants, de femmes et d’hommes ont été victimes d’atrocités qui défient l’imagination et heurtent profondément la conscience humaine, mais également que les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis ».

Cela conclut, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les juges, l’introduction des déclarations liminaires des Représentants légaux des victimes que nous représentons. Je vous remercie.

M. KETA : Monsieur le juge Président, Honorables juges, Monsieur le Procureur, Chers membres de la composition, Estimés confrères de la Défense, Chers confrères représentants légaux des victimes, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs; le recrutement volontaire, comme le recrutement forcé sont des crimes au regard du droit international pénal. Au nom des victimes que je représente, je vais parler devant cette auguste Chambre du recrutement forcé des enfants par les groupes armés en Ituri, comme stratégie militaire et phénomène social.

En 1998, une guerre civile a éclaté en République démocratique du Congo à partir de sa partie orientale. L’Ituri, un district situé au nord-est de la RDC, avec 11 ethnies et plus de 5 millions d’habitants avait été le théâtre de conflits armés multiformes dans un contexte local et/ou international. C’est ainsi que des groupes armés, dont l’UPC, poursuivant des objectifs aux contours flous, sont nés en Ituri.

Pour atteindre ces objectifs, il leur fallait mettre sur pied des stratégies militaires, notamment recruter, enrôler, utiliser des enfants dans des hostilités, c’est-à-dire les enfants âgés de moins de 15 ans. L’astuce consistait à avoir parmi les commandants recruteurs une personne originaire de la localité cible. Je représente dans la présente affaire 47 victimes, dont 46 personnes hysiques et une personne morale. Les personnes physiques sont des enfants agissant, soit à titre personnel, soit par leur tuteur. La personne physique adulte est une victime d’attaques ; il s’agit du responsable d’une école d’enfants. Il y a une particularité dans la représentation de mes clients, c’est le fait que la majorité soit constituée d’écoliers dont l’école avait été le lieu du recrutement forcé et dont le directeur qui avait tenté d’empêcher ce fait criminel ait été lui-même victime en subissant des coups ayant entraîné des blessures. Toutefois, parmi ces victimes, il y en a qui avaient été recrutées de force sur des lieux publics, comme le marché et aux alentours des églises. Le recrutement forcé des enfants comme stratégie militaire, les groupes armés en Ituri, dont l’UPC, ont été créés vers 2001; il fallait des ressources humaines, plus particulièrement des enfants.

Pourquoi des enfants ? Parce que ce sont des êtres dociles, plus enclins à exécuter des ordres de leurs chefs et guidés par ce que le philosophe Kant qualifie d’éthique de conviction.

Ndrele dans le territoire de Mahagi, en Ituri fut une localité cible de recrutement forcé d’enfants par différents groupes armés dont l’UPC et le FNI. En effet, il est situé à 15 kilomètre de Kpandroma, qui est l’ancien état-major du FNI, et à plus ou moins 60 kilomètres de certains camps d’entraînement de l’UPC, en l’occurence le camp de Bule. Cette localité fut donc un lieu de prédilection pour le recrutement forcé des enfants, avec deux centres de transit où les enfants recrutés étaient regroupés avant d’être acheminés vers le camp d’entraînement, notamment le camp de Bule.

Le recrutement forcé se faisait par enlèvement, et en cas de résistance il y avait des sévices. Le recrutement forcé comme phénomène social — il s’agit en fait des conséquences de ces recrutements forcés —, je disais donc, les enfants recrutés de force étaient des écoliers en bas âge. Ces enfants avaient interrompu leurs études. Cette interruption avait entraîné des retards dans leurs études. En outre, certains enfants, du fait des traumatismes, ont continuellement des cauchemars. Enfin, ces enfants sont à tort, parce qu’irresponsables, rejetés par leur famille respective, voire la société de toute leur localité. La personne physique adulte reconnue victime dans la présente cause, c’est un directeur de l’école d’enfants et, présentement, il n’est jamais parvenu à trouver les ressources nécessaires à la reconstruction de cette école. En plus, les blessures au niveau de sa tête ont provoqué des traumatismes qui perdurent. L’école, qui a été reconnue également dans la présente cause, structure nécessaire pour l’éducation des enfants, n’a jamais été reconstruite.

En guise de conclusion, à la question de savoir si devant la Cour pénale internationale mes clients peuvent être considérés comme auteurs ou victimes des crimes, on répondra par : en tant qu’auteurs, non, parce qu’au moment des fait, ils étaient mineurs. Ils jouissaient également de la clause d’exonération des responsabilités pénales, selon les textes internationaux, et ceux régissant la CPI, en particulier. À la question de savoir si mes clients sont des victimes, on répondra par, oui, parce que le seul fait de procéder à leur recrutement forcé, alors qu’ils étaient âgés de moins de 15 ans, et de les faire participer aux hostilités constitue un crime international. Ce que mes clients attendent de la Cour, c’est d’abord la 1 reconnaissance de préjudices qu’ils ont subis. Ensuite, l’indemnisation et la réhabilitation. Et enfin, la protection afin d’éviter un nouveau recrutement.

J’aurais ultérieurement l’opportunité de faire des observations concernant la nature et l’étendue des préjudices subis par mes clients. Je vous remercie.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Merci beaucoup, Monsieur Keta. Monsieur Diakiese.

Me DIAKIESE : Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, qu’il nous soit permis, au nom des victimes que nous représentons, de relever en liminaire l’un des aspects les plus historique de ce procès. Ce procès est doublement historique : parce qu’il a lieu et parce qu’il a failli ne pas avoir lieu. Ce procès est d’abord historique parce que c’est le premier procès de la première affaire soumise à la compétence de la Cour, et au cours duquel les victimes prennent, pour la première fois, la parole pour exprimer leurs vues et préoccupations pour qu’à la fin, au-delà de tout doute raisonnable, la responsabilité pénale de l’accusé soit établie.

Ce procès est encore plus historique parce qu’il a failli ne pas avoir lieu. Ce moment de vide procédural a été un moment de grand désarroi pour les victimes dans l’affaire Lubanga. Ce moment a coïncidé fâcheusement avec la recrudescence des violences à l’est de la République démocratique du Congo, particulièrement à Goma, Kiwandja et de nouveau en Ituri. Des noms, rendus tristement célèbres par les mandats d’arrêt du Procureur de la Cour, ont recommencé à défrayer la chronique de l’impunité et de la récidive sur les théâtres d’opérations.

Joseph Kony et son LRA, Bosco Ntaganda, alias  le Terminator, a ressurgi, narguant allègrement la mise en garde faite à Laurent Nkunda sur les crimes qui sont en train d’être perpétrés à l’est du Congo, en contribuant ainsi à l’émergence de nouvelles victimes. L’on peut raisonnablement se permettre de croire que Bosco Ntaganda, qui a eu à collaborer avec l’accusé Lubanga, milite grandement pour que l’unique chef d’accusation qui avait été retenu contre lui soit accompagné de nouvelles charges pour rendre son mandat d’arrêt plus impressionnant. Pendant ce temps, les enfants, en plein abandon, se sont demandé si la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 avait été élaborée aussi pour eux. Ils se sont demandé si la Convention 182 de l’Organisation internationale du travail concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants, du 19 juin 1999, qui prohibe le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés les concernait aussi. Ils se sont demandé si la Cour pénale internationale était aussi leur Cour.

Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, les victimes que je représente se retrouvaient, au moment des faits, dans la tranche d’âge de 9 à 13 ans. Une seule, parmi elles, est la mère de certaines autres victimes. Ces enfants ont été enlevés alors qu’ils revenaient des champs, enlevés alors qu’ils rentraient de l’école. Arrachés à leur mère, ils ont été initiés au maniement des armes et envoyés au combat. La raison majeure était la défense de leur communauté. Ce procès est l’occasion, pour les victimes, de connaître la vérité et d’avoir droit à la justice. La vérité sur les motifs réels qui ont prévalu pour qu’ils soient arrachés à leur famille et envoyés au combat et à la mort au nom d’une cause de défense de leur communauté, alors qu’à ce jour, l’arrêt de la Cour internationale 1 de justice du 19 décembre 2005 sur les activités armées en République démocratique du Congo, des rapports indépendants émanant notamment des Nations Unies et des organisations non-gouvernementales attestent que le conflit en Ituri a été instrumentalisé pour le pillage des ressource de la République démocratique du Congo avec la complicité du Rwanda, de l’Ouganda et de certains acteurs locaux. La vérité pour savoir pourquoi, à ce jour, ils sont abandonnés à Bunia, Kasenyi et partout en Ituri, sans perspective d’avenir, sans possibilité de scolarité. Comment était-ce possible de leur acheter des armes, des munitions et des tenues militaires pour aller au front, alors qu’il n’y a pas d’argent pour leur acheter des stylos, uniformes et autres fournitures scolaires pour aller à l’école.

Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, ces victimes ont droit à la justice afin que soit pris en compte ce qu’elles ont réellement vécu. Le mandat d’arrêt du Procureur ou la décision de confirmation des charges présentent, dans leur contenu, de manière impeccable, les charges qui pèsent sur l’accusé, mais aucun de ces documents ne pourrait vous faire entendre les pleurs de ces enfants pendant qu’ils étaient arrachés à leur famille, leurs angoisses pendant que les balles crépitaient au front, les cris de leurs frères, de leurs amis fauchés par les balles, leurs indécisions pendant que l’ordre d’avancer ou de décrocher était lancé ou simplement quand aucun ordre n’était donné parce qu’il n’y avait plus personne pour le faire et que les balles continuaient à pleuvoir. Cette mère, dont les entrailles frémissaient à chaque tir, à chaque nouvelle venant du front, ayant l’audace d’espérer que ses enfants victimes, et à la fois acteurs forcés de cette guerre, seraient épargnés.

Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, ce procès qui débute aujourd’hui prendra fin un jour, mais la guerre 1 par laquelle sont passés ces enfants ne prendra plus jamais fin et ils la revivront chaque jour, chaque fois qu’ils se réveilleront la nuit des suites d’un cauchemar ; ils la revivront au son de chaque arme à feu qui crépite, à la vue de toute tenue militaire et ils sont encore en train de la revivre au cours de ce procès, s’ils ont évidemment la chance d’accéder à un poste téléviseur. S’ils ne sont pas chassés parce qu’ils sont devenus infréquentables, parce que plongés dans l’alcoolisme, dépendant des drogues que l’on mettait dans leur repas pour les rendre féroces et insensibles au danger.

Monsieur le Président, votre Honneur, Honorables membres de la Chambre, lorsqu’un navire coule, la loi de sauvetage est simple : les femmes et les enfants d’abord. Lorsque des preneurs d’otages veulent manifester leur bonne foi, ils commencent par libérer les femmes et les enfants. Les femmes et les enfants ont été les otages des seigneurs de guerre de l’Ituri pendant que le navire de leur destinée coulait dans le sang ; les femmes d’abord pour être violées, les enfants d’abord pour être envoyés au combat quand il s’agissait de garçons et pour servir aussi d’esclaves sexuelles quand il s’agissait de filles. Ces victimes espèrent, respectueusement, que ces vues et préoccupations seront prises en compte au cours de ce procès.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Merci beaucoup, Maître Diakiese. Maître Bapita, maintenant.

Me BAPITA : Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de la composition, les victimes que je représente dans cette procédure vous remercient de l’opportunité que vous leur donnez de faire une déclaration liminaire après plus de deux ans d’attente d’ouverture du procès et surtout que c’est la première fois que les victimes participent pleinement dans un procès du droit pénal international.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de la composition, le passé historique de la République démocratique du Congo démontre que l’infraction de recrutement d’enfants-soldats, l’enrôlement et la conscription sont une habitude prise au vu et au su de tous et cela, en toute impunité jusqu’à ce jour. Plusieurs groupes armés au sein de la République démocratique du Congo ont eu à pratiquer cela ; en passant par l’AFDL, le RCD, l’UPC, les FNI, le FRPI, le FPJC, le CNDP, le PARECO, le MLC et j’en passe et même les troupes alliées aux belligérants dont celles issues du Rwanda et de l’Ouganda s’y livrent ouvertement.

En effet, la chronologie des événements politiques, les incidents et violations de droits humains à l’est de la République démocratique du Congo et particulièrement en Ituri le démontrent. Depuis janvier 1998, lors de la publication et la présentation du rapport sur la situation des droits humains en République démocratique du Congo, rapport se trouvant sous le document (E/CN.4/1998/65) soumis par le rapporteur spécial Garreton, à ce jour démontre que c’est une pratique régulière et pour laquelle les seigneurs de guerre estime qu’il n’y pas d’infraction ou sinon, c’est une infraction bénigne. Notre devoir, en tant que représentants légaux des victimes, victimes qui sont des enfants recrutés, enrôlés et engagés dans des hostilités au sein de l’UPC, n’est pas seulement de désigner le ou les coupables, mais aussi d’aider à trouver une solution pour mettre fin à cette pratique d’enrôlement d’enfants-soldats en République démocratique du Congo.

Pour ce faire, nous ne voulons pas revenir sur les actes criminels commis contre nos mandants par leurs bourreaux en reprenant le contexte de leur victimisation, mais il s’agit plutôt, pour nous, de regarder l’avenir et l’avenir dépendra aussi du jugement qui sera rendu à l’issue de l’examen des éléments de preuve du Procureur et de la Défense par votre Chambre.

Parce qu’il y a victimes, il doit y avoir des responsables. C’est pourquoi nous devons soutenir nos victimes en leur donnant une voix aux fins d’exprimer ce qu’elles ont vécu, en expliquant le désarroi dans lequel elles se sont retrouvées, les mauvais traitements qu’elles ont subis et aussi le rejet dont elles font l’objet de la part de leur communauté. Les victimes que nous représentons ont dû subir un recrutement qui était, pour les unes, un engagement volontairement dû, entre autres, à des paramètres généralisés dont l’absence de services sociaux qui eut des conséquences pour les enfants non accompagnés ou orphelins très souvent à la recherche de la protection et de la nourriture. Par contre, pour les autres, ce recrutement fut involontaire, forcé, sans que les enfants concernés aient eu la moindre alternative. Forcé ou involontaire — forcé ou volontaire plutôt — le recrutement d’enfants-soldats est illégal et condamné par le droit international.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de la composition, la plupart des victimes que je représente sont au nombre de 26 ; ils ont été enlevés dans la rue, sur le chemin de l’école, en classe, au marché ou encore chez elles, à la maison. Les victimes que je représente ont été utilisées comme espions, messagers, porteurs, enfants à tout faire ou slaves sexuels. Pourquoi le choix des enfants par l’UPC ? Quatre raisons ont été 1 avancées par mes victimes ; certains ont délibérément accepté de s’enrôler pour fuir la pauvreté. En effet, ils ont considéré que l’UPC était le seul endroit où ils pouvaient être bien entretenus et pris en charge après la mort de leurs parents.

Deuxièmement, l’UPC a choisi les enfants parce qu’elle a considéré qu’ils sont dociles : les mineurs sont plus faciles à enrôler de force, à effrayer et sont accoutumés à la soumission à l’autorité. D’autres encore ont été enrôlés à cause de leur témérité, car ils pouvaient, à tout moment, se montrer impitoyables et cruels. Et enfin, pour d’autres encore, ils ont été enrôlés en raison de leur innocence et de leur naïveté. En effet, il est plus facile de droguer un enfant pour le pousser à commettre des actes graves.

Monsieur le Président, Honorables juges, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de la composition, parmi les enfants que je représente, vous avez aussi des filles qui ont été recrutées à des fins sexuelles et de mariage forcé. Qu’en est-il, alors, du genre dans l’enrôlement et de la conscription des filles par l’UPC? Parmi les 26 victimes que je représente, il y a cinq filles qui furent recrutées comme enfants-soldats au sein des forces armées de l’UPC, à savoir le FPLC. Ces cinq filles ont décrit, d’après ce qu’elles ont vécu, les formes diverses et variées de la participation des enfants aux hostilités et, plus particulièrement, celle des filles soldats.

En effet, les filles remplissaient plusieurs fonctions d’appui au combat, de même que des fonctions sans rapport avec le combat, mais essentielles pour le fonctionnement de la force ou du groupe armé. C’est ainsi que ses filles pouvaient être tour à tour combattantes, épouses ou esclaves sexuelles, aides, domestiques et cuisinières. Les violences sexuelles font partie de l’utilisation des enfants-soldats et en particulier des filles. La majorité des filles recrutées par l’UPC l’ont été très jeunes, dont certaines à des âges variant entre 10 ans et 14 ans. Elles étaient régulièrement violées, le viol et autres formes de violence sexuelle étant partie intégrante du processus d’enrôlement et de conscription des filles au sein de l’UPC. Toutes les filles soldats étaient violées et exploitées par leurs chefs et les soldats de leurs unités, leurs collègues.

Pour certaines anciennes filles soldats, que je représente, les viols on  commencé dès leur elevement et ont continué tout au long du temps qu’elles ont passé avec l’UPC. Ils ont même été plus intenses au cours de la période initiale de l’enlèvement, et dans les camps l’entraînement où elles ont été formées pour devenir soldats de la milice. La majorité de ces filles, victimes des viols, souffrent de traumatismes psychologiques. De nombreuses filles ont été torturées, maltraitées ou emprisonnées pour avoir refusé les avances sexuelles de leurs supérieurs qu’elles subissaient contre leur gré. Peu de filles ont été envoyées au combat. Très souvent, elles étaient utilisées pour les travaux ménagers ainsi qu’à des fins sexuelles. Certaines filles se sont laissé exploiter sexuellement par leurs commandants pour avoir de la nourriture.

Durant cette période d’entraînement, les filles étaient privées de sommeil et forcées à consommer des drogues, apprenaient à se battre et à utiliser des armes. Quelques-unes des filles étaient désignées comme garde du corps et forcées à combattre et à tuer. Le viol était donc partie intégrante du quotidien des filles recrutées et enrôlées par l’UPC.

Il se trouve que, de par la réalité de la RDC et de l’Afrique en général, la femme et la jeune fille sont dans une seconde classe dans la société. Elles sont subordonnées aux hommes et on leur donne beaucoup moins de chance dans les études. Il y a également le fait que de nombreuses familles en zone rurale favorisent la scolarisation des garçons au détriment de celle des filles. Les statistiques de l’UNICEF en disent long. Avant la guerre, il y avait déjà cette grande discrimination sur le plan scolaire. Pendant la guerre et la rébellion, la situation s’est encore accrue. Le recrutement de filles soldats a eu plusieurs conséquences négatives dans leur vie, leurs droits à l’enfance notamment… sur leurs droits à l’enfance, sur leur scolarité, sur leurs droits à la sécurité, sur leurs droits à la protection, sur leurs droits à l’intégrité physique, sur leurs droits à une santé reproductive et génésique et à une autonomie sexuelle leur ont été déniés et ont été détruits. Quelques filles violées par les soldats de l’UPC ont eu des grossesses non désirées, elles ont souffert de multiples blessures internes et externes et ont été rejetées par leur famille et leur communauté à leur retour.

Le viol comme arme de guerre divise les familles et les communautés, fracture les réseaux d’individus et familiaux, brise les liens sociaux et culturels, et fait valoir à la dominance à travers des actes de violence sexiste; violence sexuelle et fréquemment le viol.

Les victimes que je représente ont évolué dans un environnement de terreur, loin de leur famille et dans la brutalité au sein de l’UPC. Dans le cas de la conscription et de l’enrôlement de filles soldats au sein de l’UPC, leur vulnérabilité en tant que filles a été exploitée et violée de façon intentionnelle et systématique. Les souffrances et supplices physiques et psychologiques que les victimes filles enfants-soldats ont subis en tant que tels peuvent diminuer, mais ne disparaîtront jamais complètement. C’est dire qu’elles pourraient pardonner, mais pas oublier ces atrocités.

Plusieurs victimes ont pris des risques énormes en participant à cette procédure judiciaire devant la Cour pénale internationale. Leur sécurité a été menacée de même que celle de leur famille. Elles ont été délocalisées et ont perdu aussi leur accès à un environnement familial et amical. Ces victimes estiment qu’il y a nécessité de sanctionner les coupables de réparer leurs préjudices et de leur permettre de réintégrer leur communauté. Pour ce faire, la responsabilité des adultes doit être retenue, celle de Thomas Lubanga Dyilo en particulier, car quel que soit le mobile de la guerre, cela n’explique ni ne justifie le recrutement forcé des enfants, dont nul ne peut exiger du consentement, parce qu’il s’est agi de mineurs. La détermination de ces victimes à participer est dictée par un désir de voir les auteurs de crimes tenus pour responsables, de documenter correctement la violence à laquelle elles ont survécu et surtout d’empêcher que ces crimes se reproduisent.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, Honorables membres de la composition, cette infraction d’enrôlement, recrutement, conscription d’enfants-soldats est grave. En effet, c’est avec beaucoup de négligence que les leaders des groupes armés rebelles forment des personnes qui, si elles ne sont pas encadrées, verseront dans la criminalité. Ces leaders font de l’est de la République démocratique du Congo une bombe à retardement. Au lieu de promouvoir la scolarité pour leur jeunesse, qui est l’avenir de demain, jeunesse qui est l’avenir du pays, jeunesse qui est l’avenir de la communauté, ils ont donné priorité à la formation de personnes qui sont de potentiels futurs criminels, s’ils ne sont pas bien encadrés. Ces leaders rebelles font de l’est de la République démocratique du Congo, une région où sera établi, où est établi un grenier d’où tout

25 le monde viendra puiser les éventuels enfants-soldats donnant naissance ainsi au « ré-recrutement ». Concrètement, ils ont fait de la jeunesse de leur province une bombe à retardement et cela n’est pas correct.

La question qui se pose est la suivante : les chefs rebelles ont-ils eu raison par cet acte d’enrôlement, ont-ils rendu un bon service à leur communauté ? Je pense que non. Une communauté fière, grande, forte est celle qui est composée d’un taux élevé de personnes intellectuelles, d’un taux élevé de travailleurs, et la profession est l’avenir des enfants ; c’est par la scolarité. Malheureusement, dans sa communauté Thomas Lubanga a donné naissance à un nombre d’enfants pour qui la scolarité ne comptait pas et qu’il fallait faire d’eux des enfants-soldats. Alors que tout le monde entier se bat pour promouvoir les droits de la petite fille à une scolarité, l’UPC, par contre, a découragé cette vision, en faisant de petites filles des soldats et, dans le cadre de leur enrôlement et conscription, des esclaves sexuelles. On se pose la question de savoir si tous ces chefs rebelles trouvaient normal d’enrôler les enfants d’autrui tout en mettant à l’écart leurs propres enfants. En d’autres termes, en protégeant leurs propres enfants, n’ont-ils pas démontré et reconnu eux-mêmes que l’enrôlement forcé n’est pas une bonne chose? C’est là toute la question à trancher par ce procès qui s’ouvre aujourd’hui. Le monde et l’histoire attendent votre réponse à cette question.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, Honorables membres de la composition, au vu des éléments de preuve que présentera le Procureur tout au long de cette procédure, nous nous réservons le droit de solliciter de votre Chambre une qualification de certains faits de la cause en infraction d’esclavage sexuel, à mettre à la charge de l’accusé Thomas Lubanga. J’ai dit et je vous remercie.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais): Merci beaucoup, Maître Bapita. Maître Kabongo. 

M. KABONGO : Monsieur le Président… Monsieur le juge Président, Madame, Monsieur le juge, Monsieur le Procureur, estimés confrères de la Défense, chers confrères représentants légaux des victimes. Mesdames et Messieurs, la déclaration liminaire que j’ai le privilège et l’honneur de présenter à ce jour au nom de la seule victime que je représente porte sur les enfants-soldats. Sont-ils criminels ou victimes?

Monsieur le juge Président, Madame, Monsieur le juge, l’expression « enfant-soldat » désigne toute personne âgée de moins de 18 ans qui fait partie de toute force ou groupe armé régulier ou irrégulier. Les enfants-soldats sont plus susceptibles de devenir des enfants-soldats s’ils sont pauvres, séparés de leur famille, déplacés de leur foyer, s’ils vivent dans une zone de combat ou s’ils ont un accès restreint ou inexistant à l’éducation. En cette qualité, ils sont souvent amenés sans comprendre et sans le vouloir à commettre des crimes. Dans ce cas, peut-on les considérer comme criminels ou plutôt comme victimes de guerre?

Honorable… le juge Président, Madame, Monsieur le juge, répondre à cette question m’amène de parler d’abord de la responsabilité pénale des enfants-soldats et ensuite de l’irresponsabilité pénale des enfants-soldats. La responsabilité pénale peut être définie comme l’obligation pour une personne de répondre de ses actes délictueux et de subir une peine. Elle suppose donc que la personne est coupable et imputable. La culpabilité, Monsieur le Président, c’est la faute, c’est la faute intentionnelle ou d’imprudence ou de négligence. Cette faute n’est possible que dans le chef de la personne dont la volonté est consciente et libre.

Or, Honorable Président, la volonté des enfants de moins de 15 ans, âge qu’avaient la plupart des enfants-soldats lors du recrutement entre 2002 et 2003 — en Ituri — n’est pas consciente, et encore moins libre. Elle est toujours extorquée par les seigneurs de guerre, arrachée par ceux-là qui se croient forts dans le but de les faire participer activement aux hostilités. L’imputabilité, Monsieur le Président, c’est la capacité de comprendre et de vouloir. Or, les enfants soldats, tous âgés de moins de 18 ans au moment des faits, n’avaient pas la capacité de comprendre ni de vouloir commettre ou contribuer à la commission d’un crime relevant de la compétence dans le Cour.

Monsieur le Président, je vais vous parler maintenant, de l’irresponsabilité pénale des enfants-soldats. Le Statut de la Cour pénale internationale, à son article 26, exclut de la compétence de votre Cour les actes commis par les enfants de moins de 18 ans. C’est le principe de l’irresponsabilité pénale absolue consacrée par la Cour. En effet, aux yeux de la Cour, la personne qui n’a pas atteint l’âge de la responsabilité pénale ne peut, en aucun cas, être considérée comme pénalement responsable, donc criminelle. Il est, en tout état de cause, difficile d’imaginer que ces enfants-soldats de moins de 15 ans aient eu une capacité de discernement suffisante pour leur reprocher un quelconque élément intentionnel caractéristique de l’acte criminel.

En outre, Honorable…Monsieur le Président, il est important de considérer la contrainte physique ou morale qu’ont pu subir ces enfants-soldats en position de vulnérabilité absolue avant de retenir à leur charge une faute quelconque. C’est le principe de l’exonération de la responsabilité pénale posé par l’article 31 du Statut de la Cour pénale internationale. En effet, ces enfants, Monsieur le Président, agissaient le plus souvent dans un état d’intoxication qui les privait de la faculté de comprendre que le caractère délictueux ou la nature de leur comportement constituaient un crime relevant 1 de la compétence de la Cour. Ils étaient fréquemment drogués pour devenir insensibles à la peur et à la violence.

Dans le cas de la victime que je représente, de surcroît une fille, imaginez-vous, Monsieur le Président, droguer une fille c’est droguer toute une société parce que, Monsieur le Président, êtres humains que nous sommes, nous sommes tous, ici, des femmes que nous considérons nos mamans.

Honorable Monsieur le Président, Madame le juge, Monsieur le juge, transformé en chair à canon dans des conflits armés, un enfant n’est pas un objet de guerre. Un enfant est une personne à part entière ayant des droits. Ces enfants sont bel et bien des victimes, Monsieur le Président, Honorable Président. Des victimes d’un crime de guerre ayant subi d’énormes préjudices, blessures physiques, souffrances psychologiques, interruption de scolarité. Au moment opportun, Monsieur le Président, avec la présentation des éléments de preuve, nous allons démontrer, Monsieur le Président, toutes formes de ces préjudices subis par les victimes. Et ces enfants attendent alors, Monsieur le Président, de votre auguste Cour, une réparation. J’ai dit et je vous remercie. 

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Merci beaucoup, Maître Kabongo. Maître Walleyn, je crois que vous êtes le dernier.

Me MULAMBA : Monsieur le juge Président, Madame Messieurs les juges, Monsieur le Procureur, chers confrères de la Défense, chers confrères représentants légaux des victimes, Mesdames, Messieurs de la composition de la Chambre, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants comme crime international est-il l’apanage de Statut de Rome? Ce n’est pas le Statut de Rome qui a interdit l’enrôlement d’enfants.

La tradition africaine reconnaît des droits à la femme et à l’enfant. La femme est génitrice, le support de la parenté. Elle est la mère des enfants, qui eux, représentent la force vitale par excellence du groupe. En effet, Monsieur le Président, dans la tradition africaine, la condition des enfants est ordonnée à la vie communautaire. C’est ainsi que M. Léger* affirme, dans son article « traditions africaines et droits de l’homme » que dès l’âge de 5 ans, les garçons vivent avec les pères qui les conduisent ensuite à la maison des hommes pendant que les filles vivent avec leur mère et les femmes du groupe familial. Dès l’âge de 10 ans, garçons et filles mènent une vie commune dans leurs maisons respectives, vie commune développée par l’initiation des fraternités d’âge.

Or, donner à la communauté la vie de l’enfant africain est caractérisé par une grande liberté.

Monsieur le Président, Honorables membres de la composition, l’enfant africain est un enfant roi parce que héritier des forces vitales du groupe. Il peut être corrigé, mais modérément. En zone rurale, il travaille quelques jours par semaine pour ses parents puis occupe librement son temps à des jeux, à la culture d’une parcelle ou à la surveillance d’un bétail qui lui est confié.

18 L’enfant représente un potentiel vital qui exclut son abandon.

Oui, Monsieur le Président, Honorables membres de la composition, dans cette communauté de vie, il n’y aura jamais ce genre de propos, dogme ou précepte dans l’éducation de l’enfant, votre arme c’est votre mère ; elle monte la garde pour vous, jour et nuit, ce fusil est la source du pouvoir… de votre pouvoir ; il vous protègera et vous fournira tout ce dont vous avez besoin si vous avez… si vous savez vous-même vous en servir. Ces propos ont été cités ce matin par le Procureur. Ainsi donc, l’enrôlement des jeunes enfants, garçons et filles, comme combattants est contraire aux traditions africaines.

Monsieur le Président, Honorables membres de la composition, la République démocratique du Congo a ratifié plusieurs traités internationaux sur les droits de l’homme et le droit humanitaire qui interdisent le recrutement d’enfants, plus particulièrement la Convention des droits de l’enfant de 1989, ratifiée en 1991 – mais qui a été publiée au Journal Officiel en 2002 soit onze ans après — qui réaffirme ce principe de non recrutement en son article 38, en stipulant que les parties États, les États plutôt parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de 15 ans ne participent pas directement aux hostilités. Le protocole de Genève, qui a été aussi ratifié par la République démocratique du Congo, contient des dispositions relatives à l’utilisation des enfants dans le conflit armé, spécialement l’article 77 du premier protocole. Il faudra ajouter, aussi, le protocole facultatif à la Convention internationale sur les droits de l’enfant de 2000 ratifié et publié par la République démocratique du Congo en 2002. Dans son article 2, il demande aux États membres de veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de 18 ans ne fassent pas l’objet d’enrôlement obligatoire au sein de leurs forces armées. Pour les groupes armés, par contre, l’interdiction est absolue puisqu’ils ne devraient, en aucune circonstance, enrôler ni utiliser dans les hostilités, des personnes âgées de moins de 18 ans.

Et la Charte africaine sur le droit et le bien-être des enfants, ratifiée par la République démocratique du Congo en 2002, dans son article 22.2, invite les États parties à la présente à prendre toute mesure nécessaire pour veiller à ce qu’aucun enfant ne soit enrôlé sous les drapeaux. Il y a aussi le droit international coutumier, et la jurisprudence sous laquelle se fonde aussi pour démontrer que le recrutement a été interdit. 

Outre ces traités internationaux particuliers relatifs aux droits de l’enfant, il y a lieu de rappeler d’autres traités, des résolutions du Conseil de sécurité et certaines dispositions pertinentes de la République démocratique du Congo qui interdisent l’enrôlement et l’utilisation d’enfants dans les hostilités.

Je citerai les conventions de Genève, plus particulièrement la quatrième qui est relative à la protection des personnes civiles, la convention n°182 de l’Organisation internationale du travail, contre les pires formes du travail des enfants, en y ajoutant, Monsieur le Président, les résolutions du Conseil de sécurité, dont les plus importantes que j’ai pu relever je les cite: nous avons la résolution 1291 du 2 25-2-1999, dans le point 2 « condamne énergiquement le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés, en violation du droit international. » La résolution 1314, du 11-8-2000, qui dans son point 4, demande notamment, aux États membres en mesure de le faire, de signer et ratifier le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la participation d’enfants aux conflits armés et dans son point 16 les encourage vivement, envisage de prendre des initiatives régionales en vue de l’application intégrale de l’interdiction d’utiliser des enfants-soldats en violation au droit international

Et la résolution 1379 du 30-11-2001, qui dans son point 8-a demande à toutes les parties à un conflit armé de respecter pleinement les dispositions pertinentes des normes internationales relatives aux droits et à la protection des enfants dans les conflits armés, en particulier, n’est-ce pas, les conventions de Genève, le protocole facultatif, et constate que la conscription ou l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou leur engagement actif dans les hostilités figurent parmi les crimes de guerre visés par le Statut. De prendre des mesures particulières pour faire respecter des droits et des besoins spéciaux des filles et des femmes touchées par les conflits armés et mettre un terme à toutes les formes de violence et d’exploitation, y compris les sévices sexuels, en particulier le viol.

Monsieur le Président, au point 9, la même résolution demande aux États membres de mettre fin à l’impunité et de poursuivre les responsables de génocides, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et autres crimes abominables commis contre les enfants, et d’exclure autant que possible ces crimes des mesures d’amnistie et des actes législatifs du même ordre, et de veiller à ce que le mécanisme de recherche de la vérité et de la réconciliation mis en place après le conflit, s’occupe des abus graves dont les enfants ont été victimes. Et il en est de même de la résolution 1539 du 11-04-2004 et de la résolution 1612 du 26-07-2005. Mais quant à la législation congolaise sur l’enrôlement.

Monsieur le Président, en voici quelques dispositions : la nouvelle constitution congolaise publiée le 18 février 2006 n’interdit pas explicitement le recrutement d’enfants, mais donne des garanties de protection aux enfants mineurs, et définit dans son article 41, l’enfant mineur comme étant toute personne qui n’a pas encore atteint l’âge de 18 ans révolus. Il y a aussi la loi portant organisation générale de la défense des forces armées, dans son article 7, interdit l’emploi des civils âgés de moins de 18 ans. Il y a d’autres dispositions nationales qui reflètent l’engagement pris par la République démocratique du Congo d’exclure les enfants des forces armées et autres groupes armés. Nous citerons à titre d’exemple la loi n° 15, 2002 du 16-2-2002 portant code du travail, en application de la convention n° 182.

Monsieur le Président, Honorables membres de la composition, pouvons-nous rester ensemble, indifférents, aveugles, lorsqu’une fille de 9 ans, à la recherche de papaye — de quoi manger — est capturée, violée par des enfants-soldats ? Pouvons-nous demeurer indifférents lorsqu’un enfant de 13 ans quittant son père pour aller visiter sa mère, se trouve enrôlé de force, et lorsque la mère sollicite que l’enfant puisse réintégrer la famille, cet enfant braque l’arme à sa mère pour lui montrer qu’il n’est plus dans sa famille ?

Au vu de toutes leurs difficultés, les victimes que je représente sont alors en attente de ce que pourra leur apporter la justice. En s’exprimant devant la Cour, elles tentent d’obtenir le châtiment du coupable et la réparation des préjudices qu’elles ont subis. Je vous remercie.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Merci beaucoup, Maître Walleyn.

Me WALLEYN : Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, je vous donnerai d’abord lecture de l’intervention qu’avait préparée Me Franck Mulenda avant de terminer avec ma propre intervention. L’intervention de Me Mulenda devait rappeler notamment les difficultés qu’ont dû surmonter les victimes et leurs représentants légaux pour être ici aujourd’hui ; c’est d’autant plus malheureux que lui, qui travaille sur ce dossier depuis plus de trois ans, ne peut alheureusement pas être parmi nous à cause d’une prise en observation ce matin. Je peux cependant vous rassurer et également peut-être sa famille qui nous regarde, que nous avons bon espoir qu’il pourra nous rejoindre d’ici quelques jours.

Me Mulenda voulait d’abord parler des efforts de ces anciens enfants-soldats et leur famille pour faire entendre leur voix. Après avoir été aidé par le Greffe, les organisations non gouvernementales, nationales et internationales, à remplir difficilement un formulaire de participation qui dépasse leur niveau de compréhension, les victimes dont la scolarité a été brutalement interrompue, parce que versées de force dans la pénible vie militaire ont longtemps attendu ce moment, ce procès historique qu’elles souhaitent exemplaire et dissuasif.

Les victimes — du moins celles qui vivent encore et qui s’expriment ce jour, parce que certaines sont décédées, alors que d’autres n’auront peut-être jamais accès à la justice — ont emprunté un chemin très long et surmonté plusieurs obstacles sur leur passage près de trois ans durant. Ces obstacles sont si nombreux que nous allons nous contenter d’un petit échantillon.

Les difficultés de communication avec les représentants légaux, la gestion des bruits et annonces dans la presse parfois fantaisiste du genre: « Le Procureur n’a aucune charge contre Thomas Lubanga Dyilo. TLD acquitté par la Cour. TLD regagne l’Ituri bientôt. » La longueur de la procédure, les risques d’une participation à une procédure dans un contexte post-conflit non rassurant sont à signaler.

Les représentants légaux non plus n’ont pas eu la tâche facile ; le déploiement sur terrain dans des conditions difficiles et d’incertitude sécuritaire tant pour eux-mêmes que pour leurs clients sont à signaler. Non seulement les représentants légaux ont eu à contrer les élans de la Défense tendant à mettre à mal les intérêts des victimes par des nombreuses soumissions ou observations, elles ont aussi dû gérer des nombreuses divergences de vue avec le Procureur, qui dans nos systèmes juridiques nationaux est pourtant par principe, l’allier traditionnel des victimes. Il faut dire que si formellement on peut affirmer que le cadre légal sur la participation des victimes dans la procédure devant la Cour pénale internationale existe, la pratique pose encore beaucoup de problèmes. Heureusement, votre jurisprudence a déjà réglé un certain nombre de questions. Au-delà de tout ceci, les victimes comparaissent par devant vous en toute confiance et remercient votre Chambre, Monsieur le Président, et les différents services du Greffe pour avoir facilité le début de ce procès.

Pour ce qui concerne l’âge des enfants qui a été un problème important lors des débats devant la Chambre préliminaire, les victimes ex-enfants-soldats, dont certains sont majeurs ce jour, ont voulu aborder sans épuiser leurs arguments y relatif un des sujets qui tiennent… qui les tiennent à coeur, à savoir leur âge au moment des faits. Le débat devant la Chambre préliminaire s’est soldé par une décision qui se rapproche de la réalité en République démocratique du Congo, dont l’état civil connaît d’énormes problèmes et dont les efforts de réhabilitation sont fournis à la fois par le gouvernement, les partenaires en développement… que la communauté internationale, particulièrement la coopération belge. Par souci de réalisme, nos clients renvoient à toutes fins au point de vue du législateur congolais exprimé dans une loi récente non abrogée. En effet, ce dernier s’exprime en ces termes dans le préambule de la loi n° 4/28 du 24 décembre 2004 portant l’identification et enrôlement des électeurs en République démocratique du Congo, dixième paragraphe.  Par ailleurs, la carte d’électeur pourra servir dans un premier temps de carte d’identité; son émission et sa remise donneront un double avantage aux citoyens de s’inscrire à l’identification et à l’enrôlement, de bénéficier d’un document officiel servant à voter lors des élections et à prouver son identité. Puis l’article 6, alinéa 2 de la même loi dispose : « Le Bureau du centre d’inscription peut recourir au témoignage des personnes pouvant garantir l’identité et la nationalité des individus se présentant devant lui. » L’article 10 dispose à son tour : « Pour justifier l’identité et l’âge de l’électeur, prise en considération — et je ne vais pas énumérer toutes les pièces, mais l’alinéa précise que — à défaut de l’une ou de l’autre de ces pièces, sera pris en considération le témoignage fait devant le bureau. » Cette approche législative démontre à suffisance les difficultés liées à l’état civil en République démocratique du Congo, particulièrement à l’est où se situe l’Ituri, qui a connu des guerres à répétition. Votre Chambre en tiendra certainement compte. Puisque la situation sécuritaire… les différents conflits en Ituri sont assez documentés; une constance cependant, c’est qu’ils opposent depuis l’époque coloniale principalement deux tribus importantes du coin, condamnées à partager le même territoire, les mêmes espaces. Les victimes vivent dans cet environnement et ainsi prennent des risques en participant à cette procédure, surtout qu’elles sont pour la plupart de la même tribu que l’accusé. Ajoutez à cela tous les foyers de tensions encore d’actualité dans la région. Plusieurs victimes, intermédiaires et même des représentants légaux ont subi des menaces et certains ont dû recevoir une protection. Tout le long de ce procès, la Chambre sera certainement attentive à cette question de sécurité des témoins et victimes. Enfin, quant aux attentes des victimes dans le cadre de cette affaire, les victimes attendent que justice leur soit faite, même si aucune réparation ne peut redresser un avenir compromis, et c’est le cas. Une victime enrôlée a réussi à fuir et à rependre les études avant d’être récupérée et envoyée aux différents fronts. Il n’a été démobilisé que plus tard à la faveur des troupes françaises. Une autre enrôlée subit une formation militaire avant d’être utilisée comme esclave sexuelle de son commandant qui, par la suite, l’a cédée à d’autres commandants ; mourante, elle a été remise à la famille après plusieurs démarches à risque. Deux autres encore ont été enrôlées de force après que leur frère 1 aîné, accusé de trahison, ait été assassiné, la chair vendue et mangée en leur présence.

Un père dont l’enfant a été tué après son refus de combattre ne reverra jamais son fils. D’autres victimes ont été dans la même situation, si pas pire ; leurs dossiers individuels vous édifieront davantage.

Toutes ces victimes ont les yeux tournés vers votre Chambre de qui elle sollicite la célérité. Jusque-là, l’intervention de Me Mulenda.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Honorables membres de cette Cour pénale, pour terminer cette série de déclarations d’ouvertures, j’aimerais, à travers votre Cour, m’adresser à ceux qui nous écoutent à Bunia et ailleurs en Ituri. Une radio transistor à l’oreille ou grâce à la transmission par Internet devant un écran, qu’ils soient Hema, Lendu, Alur ou autre,

Aujourd’hui est une journée d’espoir non seulement pour la Cour pénale internationale, qui ouvre ainsi son premier procès, mais aussi pour eux, pour les milliers de victimes de ce conflit congolais sans fin ; pour tous ces anciens enfants-soldats qui essaient péniblement de reconstruire leur vie, pour les familles qui ont perdu leur fils et leur fille ou qui les ont retrouvés abîmés. Et enfin pour ceux qui, encore maintenant, sont toujours quelque part dans la brousse, sales, fatigués, anxieux, le ventre creux, le corps douloureux, pleurant la nuit leurs parents, leur école et leur enfance, avec un AK 47 comme compagnon et un peu de chanvre pour se consoler.

La justice internationale doit mettre fin à l’impunité des crimes les plus graves. Elle devrait aussi préparer la voie à la réconciliation, en distinguant responsables principaux et suiveurs, innocents et victimes. La justice offre une alternative à la stigmatisation de communautés entières comme coupables.

La sanction, mais aussi la réparation aux victimes offre une alternative au cycle infernal de la vengeance.

Ensuite, Monsieur le Président, vous ne m’en voudrez pas qu’après deux ans d’audience où nous étions face à face, je me permette de m’adresser aussi à l’accusé lui-même.

Monsieur Thomas Lubanga, les victimes que nous représentons ne sont pas vos ennemis, ce ne sont pas des agents de l’un ou l’autre gouvernement, ONG ou institutions internationales. Ce sont vos Kadogo et leurs parents qui appartiennent à votre peuple. Certains, souvent encore des mineurs ont accepté de témoigner devant cette Cour à la demande du Bureau du Procureur. Ce n’était pas une décision facile; parce qu’ils sont fragiles, parce qu’ils ont pris des risques et ont parfois dû accepter les rigueurs d’un programme de protection, mais aussi parce que vous étiez leur Président, leur Papa Lubanga, celui pour qui ils ont souffert et affronté la mort. Ils l’ont fait parce qu’ils veulent que la vérité se sache ; ils méritent le respect. Ils ont été déçus mais ils ne réclament pas vengeance, ils demandent à être reconnus comme victimes, ils demandent vérité, justice et réparation. Ils espèrent que la Cour confirmera que leur enrôlement dans le FPLC était un crime. La meilleure réparation pour eux serait sans doute que vous, Monsieur Lubanga, vous-même le reconnaissiez.

Monsieur le Président, Madame et Monsieur les juges, vous avez accepté qu’une centaine de victimes et leur famille participent à cette procédure. Derrière les chiffres, les cotes et les pseudonymes se cachent des corps et des vies brisés, mais aussi du courage et de l’espoir. Dans les mois qui viennent, ce sera un honneur pour les avocats que nous sommes de les assister devant cette Cour, d’être leur porte-parole, leurs yeux et leurs oreilles vigilantes.

Monsieur le Président, je vous remercie pour le temps de parole que vous nous avez accordé.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais): Maître Walleyn, merci beaucoup.

Il y a deux questions brèves qui se posent à la suite de ces présentations dont vous… dont nous vous remercions. Donc, deux choses que j’aimerais évoquer et qui correspondaient à nos attentes. Madame Bensouda, je voudrais poser une question en ce qui concerne les éléments de preuve que vous allez nous présenter. D’après ce que j’ai pu lire dans les documents, je crois que le nom Joseph Kony n’apparaît pas vraiment ou pas du tout.

M. MORENO-OCAMPO (interprétation de l’anglais) : Non, il n’apparaît pas.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais): Merci beaucoup. Maître Diakiese, je suppose que c’était un petit peu de l’art oratoire, mais malgré tout, un exemple du genre de choses que nous devons ou auquel nous devons être très attentifs dans cette affaire. Dans le cadre de la participation des victimes en cette affaire, il faut vraiment que cette participation se concentre sur les éléments de preuve que nous allons traiter dans ce procès et en particulier vis-à-vis des charges qui pèsent contre l’accusé dans cette affaire. Ce n’est pas une transgression grave ou significative ; j’utilise cet exemple simplement pour vous montrer le genre de territoire qu’il faudrait éviter de pénétrer. J’utilise cela simplement comme un exemple. Ce n’est pas un rappel à l’ordre. Maître Walleyn, de la même chose… de la même façon, c’était peut-être simplement de l’art oratoire, mais à l’avenir, pourrions-nous éviter qu’un 1 conseil adresse directement ses remarques à l’accusé ? D’ailleurs, les remarques ne devaient s’adresser à personne d’autre qu’aux juges. J’ai peur que cela ne risque de faire augmenter la tension de manière artificielle et négative, ici, au sein du prétoire. Je le dis très gentiment et je comprends dans quel esprit ce genre de choses a été évoqué, mais je voudrais éviter que cela ne se répète.

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