- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Et la teneur de l’exposé introductif du procureur…

En ce moment historique, le premier jour du premier procès de la Cour pénale internationale, le Procureur en chef, Luis Moreno Ocampo a présenté son discours d’ouverture. Il a décrit la nature novatrice de ce procès, l’importance des charges retenues contre Thomas Lubanga – des crimes de guerres consistant en la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats – et l’importance de la communauté internationale pour que les auteurs présumés rendent compte des graves crimes commis sur les enfants. Il a décrit la terreur éprouvée par les enfants soldats qui auraient été recrutés par Lubanga dans des camps de milice, particulièrement celle des filles soldats, à savoir les viols et l’esclavage sexuel, la stigmatisation, les grossesses non désirées et dans certain cas, le basculement dans la prostitution, après leur retour chez elles, à la suite du rejet de leurs familles et leurs communautés. Il a détaillé la brutalité des conflits auxquels les enfants avaient activement participé – les coups, les meurtres, les pillages, les viols.

M. Ocampo a été secondé par la procureure adjointe, Mme Fatou Bensouda, qui a présenté le contexte et la création du conflit armé qui a embrasé l’Ituri pendant la période concernant les charges ainsi que le mode de responsabilité et la connaissance de Thomas Lubanga des crimes commis. Elle a décrit l’affaire Lubanga dans le contexte du Congo, à savoir le déroulement du vaste conflit international dans lequel neufs pays ont été impliqués et qui a conduit à la mort d’environ 4 millions de personnes entre 1998 et 2004, et elle a dépeint le conflit armé intérieur qui dure depuis 2002, les négociations de paix étant toujours en cours. Elle a avancé que M. Lubanga a créé sa propre milice Hema et a attaqué le groupe ethnique Lendu en Ituri, une région de l’est de la RDC, avec l’objectif d’étendre le contrôle des Hemas sur les terres et les minerais. Mme Bensouda a indiqué qu’au cours des attaques, M. Lubanga a agit en tant que coauteur. Il aurait comploté avec d’autres personnes un plan commun afin de maintenir et d’étendre un contrôle militaire sur l’Ituri, un plan dont la mise en œuvre a entraîné la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats pour participer activement aux hostilités. Elle a allégué que M. Lubanga avait joué un rôle essentiel dans le contrôle du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats au cours de l’implémentation de ce plan.

Remarque: M. Ocampo, prenant la suite de Mme Bensouda pour clôturer l’exposé introductif de l’accusation, a donné un avertissement à la défense : « l’accusation escompte demander une peine sévère, très sévère, proche du maximum. » La raison est : « que les crimes à grande échelle qui sont portés devant la Cour pénale internationale, avec des centaines de milliers de victimes, affectant des communautés entières, justifient de lourdes sanctions », a déclaré M. Ocampo. Dans cette affaire, « Lubanga a eu une incidence sur plus d’un enfant. Lubanga a touché une génération entière, ce qui doit se refléter dans sa peine en tant que circonstances aggravantes, s’il est reconnu coupable ».

La transcription complète du premier jour du procès, y compris les exposés introductifs de M.Ocampo et de Mme Bensouda, peuvent être consultés ici : http://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc623848.pdf [1].

M. MORENO-OCAMPO (interprétation de l’anglais): Monsieur le Président, l’Accusation présente des éléments de preuve prouvant au-delà de tout doute raisonnable que Thomas Lubanga Dyilo a commis des crimes relevant du Statut de Rome. Il a commis certains des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ; des crimes contre des enfants.

Les éléments de preuve prouveront qu’entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003, Thomas Lubanga Dyilo a systématiquement procédé à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans comme soldats dans son mouvement politique militaire appelé l’Union des patriotes congolais — UPC — et sa milice armée, les Forces patriotiques pour la libération du Congo — FPLC. Le groupe armé de Lubanga a recruté, entraîné et utilisé des centaines de jeunes enfants pour tuer, piller et violer.

Ces enfants continuent de subir les conséquences des crimes de Lubanga. Ils ne peuvent oublier ce qu’ils ont souffert, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont fait. Ils étaient âgés de 9 ans, de 11 ans, de13 ans. Ils ne peuvent oublier les passages à tabac qu’ils ont subis; ils ne peuvent oublier la terreur qu’ils ont ressentie et la terreur qu’ils ont infligée. Ils ne peuvent oublier le son de leur mitraillette; ils ne peuvent oublier qu’ils ont tué; ils ne peuvent oublier qu’ils ont violé et qu’ils ont été violés. Certains d’entre eux ont maintenant recours à des drogues pour survivre; certains d’entre eux sont devenus prostitués, certains d’entre eux sont orphelins et chômeurs.

Cependant, certains d’entre eux viendront devant la Cour pour témoigner ; ils viendront se confronter aux crimes passés au aux préjudices présents, en particulier au sein de leur communauté. Il faut du courage; ils diront à la Cour ce qui leur est arrivé. Ils parleront pour eux-mêmes et pour tous les autres, pour ceux qui n’ont pas pu surmonter le passé ou faire face au présent.

Ils vous diront les faits ; d’abord les faits ayant trait à l’enrôlement et à la conscription; ils vous expliqueront comment ils ont été enlevés et transportés dans des camps militaires contrôlés par le Thomas Lubanga. Vous entendrez un jeune garçon qui avait à peine ans lorsque la milice de Lubanga l’a enlevé alors qu’il rentrait à la maison à pied de l’école avec ses amis. Un autre jeune garçon vous racontera comment il a été enlevé alors qu’il jouait au football avec ses amis. Vous entendrez une fillette âgée de 13 ans lorsqu’elle a été enlevée, alors qu’elle essayait de s’enfuir des attaques à Bunia. Et je citerai la déclaration qu’elle a faite à nos enquêteurs: « Je m’enfuyais avec ma famille, il y avait beaucoup de gens et, ensuite, j’ai été séparée de ma famille. Tout le monde s’enfuyait. Ensuite, certains soldats sont sortis de la forêt, ils nous ont arrêtés sur la route. Ils nous ont capturés, moi et certaines autres filles, d’autres garçons, certains très jeunes garçons. Et ensuite, ils nous ont emmenés »

Des centaines d’enfants, certains ont été enlevés, d’autres se sont enrôlés, et je cite: «volontairement » Fin de citation. Ils ont été transportés par les milices de Lubanga dans plus de camps d’entraînement différents, en Ituri et aux alentours de l’Ituri, là les hommes de Lubanga ont utilisé les passages à tabac et les meurtres pour obliger ces enfants à suivre les ordres. Comme la Chambre préliminaire l’a établi, l’acte de recruter et d’enrôler continue à être commis tant que les enfants demeurent dans le groupe armé. L’Accusation donnera des éléments de preuve montrant ce que signifie le fait 1 de rester au sein d’un groupe armé. L’environnement terrifiant que les hommes de Lubanga créent dans les camps. Dans le chapitre suivant, je vais utiliser certaines citations pour donner une illustration de cet environnement. 

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, les enfants vous diront les faits, les faits concernant l’entraînement. Comme l’un d’entre eux le dit : « Pendant notre entraînement la discipline était également très sévère. Si vous receviez 250 coups avec un bâton, eh bien, on vous disait que vous n’aviez été que légèrement battu. » Il a ajouté : « Les soldats souvent vous donnaient l’ordre d’attaquer votre ami, et si vous refusiez, il vous disait que vous refusiez de suivre les ordres et vous étiez battu. » Enfin, il ajoutait :

« J’ai été battu à deux reprises pendant mon séjour à Bule;  la première fois lorsque je les ai informés que j’étais malade et que j’avais besoin d’être soigné. Les soldats sont allés chercher des bâtons et m’ont battu en disant : “voilà comment on te soigne”. L’autre fois, c’était lorsque nous devions présenter notre arme pour l’inspection. Certaines des balles manquaient, car elles m’avaient été volées, les commandants ont alors ordonné que je sois battu. »

Vous entendrez comment un enfant-soldat de moins de 10 ans a été abattu par l’un des hommes de Lubanga parce qu’il avait perdu son arme. Vous entendrez un autre garçon raconter ce qui arrivait à ceux qui essayaient de s’enfuir, et je site : « Ils l’ont rattrapé sur la route et ils l’ont ramené, et devant tout le monde, ils l’ont tué en disant: “Dans l’armée, vous n’êtes pas censés vous enfuir. Voilà qui vous servira d’exemple. “ les enfants étaient terrorisés. » Un enfant a déclaré à nos enquêteurs:

 « Plusieurs fois pendant mon entraînement j’ai pensé à m’enfuir, mais j’avais peur car ceux qui étaient rattrapés étaient souvent battus à mort. Il a vu trois jeunes garçons et une fillette qui ont été battus à mort avec des bâtons en face de tout le monde. Pour garantir l’obéissance à toute instruction, 1 les commandants de Lubanga ordonnaient aux enfants de battre et de tuer d’autres enfants-soldats. Comme un témoin déclare: «Je me souviens, une fois, nous avons trouvé un ancien soldat de mon âge à peu près qui s’était échappé, nous l’avons arrêté et un commandant nous a donné instruction de le ramener au camp et de le battre. Nous l’avons battu sur son corps, sur sa tête et nous l’avons fait sans contrôle ou sans viser une partie particulière du corps. Il était bien connu que si vous vous échappiez et que vous étiez rattrapé, vous étiez battu ; je suivais simplement un ordre. »

Vous entendrez d’anciens enfants-soldats vous dire comment la première chose qu’on leur enseignait, c’était que leur arme serait leur père et leur mère et que cette arme les nourrirait et les vêtirait. Un enfant témoin a déclaré à nos enquêteurs : «Je ne comprenais pas comment une arme pouvait faire autant de choses et un garçon m’a expliqué que les instructeurs utilisaient cette expression pour indiquer que nous devions tuer l’ennemi avec notre arme, et qu’ensuite nous devions piller ce qu’ils avaient, prendre leur nourriture et leurs vêtements. » Dès qu’ils arrivaient dans les camps, les commandants les informaient que s’ils ne procédaient pas au pillage, eh bien, qu’ils ne pourraient pas manger correctement.

Un garçon explique: la faim commence à vous embêter et ensuite vous allez dans une maison, vous menacez ces gens, vous leur demandez de l’argent et vous emmenez leurs biens. La carte suivante montre des lieux, en Ituri, où les groupes de Thomas Lubanga entraînaient les enfants qui témoigneront. Vous verrez sur la carte, tout d’abord, l’ensemble du Congo et puis ensuite nous nous concentrerons sur l’Ituri et sur les camps. Je vous montre maintenant tous ces camps. Ces cartes sont établies sur la base des témoignages des enfants ; vous voyez, Lopa, Iga arrière, Centrale, Bunia, Rwampara. Je suis désolé, vous n’avez pas la carte ?

Le Bureau du Procureur présentera d’autres éléments de preuve suggérant l’existence de camps d’entraînement supplémentaires sous le contrôle de Thomas Lubanga. Ce qui est important, c’est que lorsque les enfants étaient recrutés, ils étaient envoyés dans ces endroits ; ces opérations complexes — déplacer autant d’enfants, des centaines d’enfants dans ces camps — montre le caractère sophistiqué de l’organisation gérée par Thomas Lubanga.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, je vous expliquerai maintenant la signification de participation aux hostilités pour les enfants. Une fois que l’entraînement était terminé, les enfants-soldats se voyaient remettre un uniforme et une arme qui leur étaient propres ; ils étaient prêts à participer à des opérations militaires ou à devenir des gardes du corps d’officiers de haut rang ou à être employés à d’autres tâches militaires lorsqu’on l’estimait nécessaire. Les témoignages des enfants et d’autres éléments de preuve montreront que  Lubanga a utilisé des enfants-soldats pour participer activement à des hostilités. Les enfants étaient lancés dans des zones de bataille où on leur donnait pour instruction de tuer tout le monde, que les opposants aient été des civils ou des militaires, qu’il  s’agisse d’hommes, de femmes ou d’enfants. Ils étaient contraints à tuer tous les Lendu, car les Lendu étaient l’ennemi. Un ancien enfants-soldats nous a expliqué : « La première fois que j’ai tiré avec mon arme, cela m’a fait vraiment très mal aux oreilles. Et plus je tirais, plus j’avais mal aux oreilles » ; il a ajouté : « Ils nous ont également enseigné à tuer la personne de manière à ce que cette personne meure sur-le-champ ; il fallait tirer au milieu du front.

Un autre enfant décrit comment il a reçu l’ordre de tuer : «Eh bien, la première fois, j’avais vraiment très peur. Ensuite, ils nous ont dit qu’il fallait continuer à le faire. Alors j’ai fini par trouver cela normal. Mais j’avais quand même peur, tout le temps. C’étaient les commandants qui continuaient à nous pousser vers l’avant, nous pousser pour qu’on continue à nous battre. » Un enfant-soldat explique : «Vous n’aviez pas vraiment le choix. S’ils vous disent : ” il faut y aller ”, eh bien, il fallait y aller parce que si vous essayiez de refuser, vous seriez tué sur-le-champ.» Un autre enfant nous a raconté comment, pendant un combat à Lipri, les commandants et je cite : «Nous ont vraiment encouragés à violer des femmes et les commandants nous ont envoyés chercher des femmes, alors nous les avons capturées et nous les avons amenées au camp. Et ensuite nous avons fait ces vilaines choses.» Le pillage existait également pendant les opérations de combat puisque les commandants donnaient l’ordre de piller et de tuer pendant l’attaque. Les enfants-soldats, qui étaient présents à Lipri, indiquent qu’avant l’attaque, les recrues avaient reçu des instructions claires de s’emparer de tous les biens qu’ils trouveraient dans le village. Ensuite, les biens pillés étaient rassemblés pour les commandants. Quelquefois, on leur donnait également instruction de brûler tout. Je vais vous montrer maintenant une autre carte qui vous montre certains des endroits où se sont battus ces enfants.

Les enfants ont participé entre le 1er septembre 2002 et août 2003. Libi, Mbau, Kpandroma, Songolo, Zumbe, Kasenyi, Lonio, Mandro, Centrale, Lipri, Solenyama, Katoto, Lopa, Largu, Marabu, Iga Barrière, Bogoro, Chai, Lenga, Fataki, Bunia, deux fois, Djugu et Mongbwalu.

25 Les enfants étaient également utilisés pour assurer la sécurité. Les enfants étaient utilisés comme gardes du corps.

 L’Accusation vous montrera, Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, avec quelques aides visuelles et des vidéos ceci : cela montre clairement les scènes où les crimes sont intervenus, ce qui permettra à la Cour de voir dans quelle mesure les enfants participaient à ces opérations militaires en protégeant Lubanga lorsqu’il se déplaçait autour de Bunia. L’Accusation vous montrera quelques scènes montrant Thomas Lubanga quittant une réception et vous verrez ses gardes du corps dans un camion.

  (Diffusion d’une vidéo)

Vous voyez, ici, Thomas Lubanga qui quitte la réunion avec ce véhicule et puis après, derrière le véhicule de Thomas Lubanga, vous voyez cet autre véhicule, vous voyez que ce sont des gardes du corps dans une zone de guerre, mais vous voyez également le type d’armes, le nombre de personnes dans le camion. Nous avons ralenti ce film pour que vous puissiez voir de près qu’il y a deux enfants à l’arrière, deux enfants qui ont vraiment très clairement moins de 15 ans.

 Avant que je ne conclue ma présentation des faits, je voudrais aborder la question particulière de la violence sexuelle dans le contexte du recrutement d’enfants et le sort réservé aux fillettes soldats enrôlées, conscrites et utilisées dans le combat par les milices de Lubanga. Dans les camps, les enfant-soldats étaient exposés à la violence sexuelle perpétrée par les hommes de Lubanga, de manière indicible. Comme je l’ai dit précédemment, de jeunes garçons recevaient pour instruction de procéder au viol ; dans les camps d’entraînement des fillettes soldats étaient quotidiennement les victimes de viols par les commandants. Des filles soldats âgées quelquefois de 12 ans étaient utilisées comme cuisinières ou combattantes, comme femmes de ménage, espionnes, comme des esclaves sexuelles ou des éclaireurs. 

Une minute, elles portaient une arme, la minute suivante elles servaient les repas aux commandants, et la minute encore les commandants les violaient. Elles étaient tuées si elles refusaient d’être violées. Un enfant soldat a été tellement gravement traumatisé après avoir tué une jeune fille qui refusait d’avoir des rapports sexuels avec un commandant… 

Vous entendrez que dès que la poitrine des filles commençait à se développer, les commandants de Lubanga les sélectionnaient comme étant leurs épouses forcées. « Épouses » n’est pas vraiment le mot qui convient, il s’agissait d’esclaves sexuelles. Ces filles étaient transformées en esclaves sexuelles. Un de nos témoins va décrire comment, de manière quotidienne, il voyait les commandants violer les filles soldats. Vous pouvez encore en rencontrer beaucoup en République démocratique du Congo. Certaines d’entre elles continuant d’être des épouses, soi-disant « épouses » des commandants dans les villes de Kinshasa et de Bunia, rejetées par leur communauté et essayant de survivre en tant que prostituées. Ces filles combattantes ont été laissées aux marges de tout processus de démobilisation, de désarmement ou de réintégration.  Comme le représentant spécial des Nations Unies, le général Radhika Coomaraswamy dans son mandat « amicus » devant la Cour, les filles combattant son souvent invisibles parce qu’elles sont également les épouses ou les domestiques et donc, qu’elles ne sont pas présentées au programme de démobilisation. Elles y échappent.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale a pour responsabilité de prouver les crimes commis contre les plus vulnérables pendant ce procès, et mon bureau fera en sorte de garantir que Thomas Lubanga Dyilo soit effectivement reconnu pénalement responsable des atrocités commises contre ces jeunes filles soldats lorsqu’il les a enrôlées, «conscrits» et utilisées comme des proies sexuelles, lorsqu’il les a utilisées dans le combat.

Votre décision dans cette affaire ne pourra changer la vie de ces jeunes filles.

Elles ne devraient plus jamais être laissées à l’extérieur de ces programmes d’assistance dans le cadre des programmes de démobilisation. Dans cette cour pénale internationale, elles ne resteront pas invisibles.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, voici les faits. J’en arriverai maintenant au droit à appliquer.

En 2004, dans une décision déterminante la Cour spéciale pour la Sierra Leone a conclu que le recrutement d’enfants de moins de 15 ans était un crime, dans le cadre du droit international coutumier, au moins depuis 1996. « Recruter », c’est le terme utilisé par la Convention de Genève et la Convention sur le droit des enfants. Après une analyse soigneuse, les auteurs du Statut de Rome ont défini de manière plus précise la manière dont les soldats sont obtenus comme soldats, en remplaçant « recruté » par « conscrire » ou « enrôlé ».

Au titre du Statut de Rome, les crimes ayant trait à des enfants impliqués dans des groupes armés peuvent être commis de trois manières, sans jamais faire aucune distinction quant à la gravité : en se livrant à la conscription d’enfants, en les enrôlant ou en les utilisant pour participer activement à des hostilités.

La conscription, le recrutement forcé, tel que cela a été décrit par la Chambre préliminaire, implique la contrainte, bien que cela soit quelquefois sous la forme de règles générales, cela pourrait s’appliquer aux enlèvements, mais également au décret de Lubanga selon lequel toutes les familles hema devaient apporter un enfant comme contribution aux groupes armés. Ceci constitue un crime. L’enrôlement : « recrutement volontaire », comme l’a décrit la Chambre préliminaire, cela signifie accepter et enrôler des enfants lorsqu’ils se portent volontaires ou lorsqu’ils sont présentés comme volontaires 1 par leur famille. L’enrôlement constitue également un crime. Le Statut de Rome ne considère pas comme pertinent le fait de savoir que les enfants se soient enrôlés, et je cite: « volontairement » ou que les parents les aient confiés — et je cite de nouveau — « volontairement », fin de citation, aux milices de Lubanga. Accepter pour un service militaire des soi-disant volontaires, moins… de moins de 15 ans constitue un comportement criminel.

En réalité, il n’y avait pas de liberté pour ces enfants et ces parents dans le contexte violent de l’Ituri. Le pouvoir n’appartenait pas au droit, mais à ceux qui portaient une arme. L’environnement de pression retirait tout sens à la notion de liberté de choix, de la même manière que cela privait une femme de consentement lorsqu’elle était contrainte à avoir des rapports sexuels avec un membre de milice. Il y avait des répercussions, y compris les menaces de mort, lorsqu’on refusait de donner un enfant pour qu’il devienne soldat. Dans certains cas, des membres de la famille étaient tués ou leurs biens pillés.

Mais l’Accusation n’aura pas besoin de développer des arguments à cet égard. Comme l’a décidé la Chambre préliminaire, le consentement n’est pas une défense valable en ce qui concerne le recrutement d’enfants âgés de moins de 15 ans. Il n’existe pas d’enrôlement volontaire légal d’enfants de moins de 15 ans, au titre du Statut de Rome. Il n’y a pas de conscription légale d’enfants de moins de 15 ans, au titre du Statut de Rome. L’interdiction est absolue et ne souffre aucune exception. Cette question, Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, a été discutée et ensuite, réglée de manière légale par les auteurs du Statut de Rome, il y a environ 11 ans. Avec cette disposition, le Statut de Rome a défini de manière exhaustive ce crime. La Cour — pardon — peut maintenant affirmer une fois pour toutes que le caractère volontaire ou ce que l’on peut appeler le consentement n’est pas un argument de défense valable, et qu’une telle décision doit représenter une pierre de touche en ce qui concerne la protection des enfants dans les zones de guerre.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, j’en arrive maintenant à la signification donnée à une participation active dans les hostilités.

Initialement, les conventions de Genève et les commentaires à ce sujet abordaient cette question en établissant un lien de cause entre la participation active ou directe dans les hostilités et les conséquences sur les opposants ; le dommage porté à l’ennemi. Ces conventions se préoccupaient de définir les obligations des parties adverses dans un conflit. Participation indirecte, comme l’effort de guerre indirect de toute une nation par le biais de son industrie de guerre, n’était pas inclus. Plus récemment, et en particulier depuis le rapport de 1996 de Graca Machel aux Nations Unies, en ce qui concerne l’impact des guerres sur les enfants, les préoccupations de la communauté internationale se sont de nouveau portées sur les droits des principaux affectés, c’est-à-dire les enfants.

L’essentiel de la question est à la fois de s’assurer que ces enfants, quelle que soit la fonction qu’ils occupent, soient bien reconnus comme des enfants-soldats et qu’ils bénéficient de toute la protection accordée aux enfants-soldats dans le cadre du droit humanitaire, tout en assurant de la même manière, qu’ils continuent à bénéficier de la protection la plus large possible accordée aux civils dans le cadre du droit international humanitaire. C’est une mission pleine de défis pour cette Cour. La Chambre préliminaire reconnaît que la participation dans les hostilités peut inclure l’utilisation d’enfants pour garder des objectifs militaires ou garantir la sécurité de commandants militaires. L’Accusation suivra la jurisprudence établie par la Chambre préliminaire en ce qui concerne la signification à donner à une participation active. 

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, je voudrais maintenant passer à l’exigence en matière d’âge. Différents témoins vous diront que la présence de… d’enfants soldats dans les milices de Lubanga était une présence massive. Les milices de Lubanga étaient des armées d’enfants. Les estimations fluctuent, mais environ 30 % des soldats dans les milices de Lubanga étaient des enfants-soldats. Les commandants eux-mêmes appelaient les enfants soldats « kadogo ». Selon le dictionnaire swahili-français, « kadogo » signifie : « très petit », « minime ». Le dictionnaire swahili-anglais définit « kadogo » comme signifiant « un petit enfant microscopique », « miniature ».

Établir les dates spécifiques et définitives de naissance de la plupart de ces kadogo n’est pas nécessaire au titre de la loi. Ce qui est nécessaire, c’est de prouver qu’ils avaient moins de 15 ans. En conséquence du conflit la plupart d’entre eux n’ont jamais eu de certificats de naissance ou ont perdu tout document d’identité. Ils étaient déplacés, leur maison avait été incendiée, leur famille perdue. Les archives de l’état ou des écoles dans les régions de l’Ituri ont été très largement « détruits ». Pour apporter la preuve qu’ils avaient moins de 15 ans, l’Accusation s’est appuyée sur différentes sources, y compris les témoignages, les vidéos des documents et une analyse scientifique.

Des vidéos filmées entre septembre 2002 et août 2003 « montrera » la présence d’enfants-soldats étant manifestement âgés de moins de 15 ans dans les camps militaires de Lubanga ou lorsqu’ils sont utilisés en tant que garde du corps. La Chambre de première instance entendra également les éléments de preuve présentés par neuf enfants-soldats témoins qui avaient moins de 15 ans lorsqu’ils ont été capturés par les hommes de Lubanga. L’accusation présentera des documents, des témoignages et une analyse de médecine légale fondée sur des radios de leurs os, et cela montrera grâce, à cet éventail de sources authentiques, que les enfants avaient tous entre 11 et 15 ans au moment de leur recrutement. Par exemple, l’un des enfants a déclaré qu’il avait 12 ans à ce moment-là, et la radio indique qu’il avait entre 11 et 12 ans. Dans un autre cas, un enfant déclare qu’il avait 11 ans. Son certificat de naissances indique qu’il en avait 12, son cousin et l’analyse de médecine légale indiquent qu’il avait 14 ans. L’éventail démontre qu’effectivement, le seuil établi par le droit est bien respecté.

Pour conclure ce chapitre, l’Accusation va vous montrer, Madame Messieurs les juges, un bref extrait vidéo montrant Thomas Lubanga se rendant au camp d’entraînement militaire de Rwampara le 12 février 2003. La vidéo montre un camp d’entraînement qui est isolé de la population du village. Tous les enfants que l’on voit dans cette vidéo sont des soldats. Certains ont des armes, certains ont des bâtons, certains ne portent rien du tout. Tous, en tout cas, sont des soldats, ceux qui ont des uniformes et ceux qui n’en n’ont pas. Tous sont bien des soldats. Ils sont assemblés pour recevoir le commandant en chef, M. Thomas Lubanga. Vous verrez également — et vous verrez Thomas Lubanga dans ce film — et vous verrez également Bosco Ntaganda, l’un des coauteurs toujours en liberté, vêtu de mauve. Je vais maintenant vous montrez la vidéo.

(Diffusion d’une vidéo)

Vous voyez Thomas Lubanga qui s’adresse à eux avec son uniforme et tous ceux qui sont autour de lui sont des soldats. Voilà Bosco Ntaganda, vous voyez, il n’y a pas de maisons du tout, le camp est isolé du village. Voilà ces deux soldats sont des filles de moins de 15 ans, le Procureur le prouvera. Vous voyez tous ces enfants qui ont moins de 15 ans. Ceux-là, par exemple, celui-là certainement, bien moins de 15 ans. Celui-ci également, celui-ci. Nous avons fait cela pour montrer ce plus petit qui est derrière, celui-ci et celui-ci. Regardez celui-ci et celui-là. Et vous voyez celui-ci également qui est si petit qu’on ne le voit même pas. Je vais vous montrer maintenant quelques scènes de Thomas Lubanga quittant ce camp de Rwampara, suivi par ses gardes du corps. Regardez l’enfant au moment où il essaie de placer son arme à l’arrière du camion. Il est tellement petit que son menton n’arrive même pas au bord du camion. Regardez. Thomas Lubanga s’en va, il monte dans sa voiture, les gardes du corps sont dans l’autre voiture. Regardez les enfants. Cet enfant ne voit même pas l’autre côté du camion, il a moins de 15 ans.

En résumé, l’Accusation prouvera, au-delà de tout doute raisonnable, qu’entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003, des enfants de moins de 15 ans étaient enrôlés, conscrits et utilisés pour participer activement aux hostilités dans le groupe armé dirigé par Thomas Lubanga.

Monsieur le Président, Madame Monsieur le juge, avec votre permission, le procureur adjoint, Fatou Bensouda va maintenant, vous présenter le contexte et l’existence du conflit armé en Ituri pendant la période pertinente pour les charges, le mode de responsabilité et la connaissance de Thomas Lubanga des crimes commis.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais): Merci beaucoup Monsieur Moreno Ocampo. Je vous en prie, Madame Bensouda.

Mme BENSOUDA (interprétation de l’anglais) : Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, l’Accusation va maintenant aborder l’existence d’un conflit armé en Ituri entre septembre 2002 1 et août 2003.

Le conflit armé en Ituri est lié au génocide de 1994 au Rwanda et aux deux guerres du Congo. Tous ces conflits sont enracinés dans l’histoire et la colonisation. Je vais résumer certains aspects clés.

Après le génocide des centaines de milliers de personnes, y compris certains dirigeants et auteurs de massacres de masse ont quitté le Rwanda et les deux provinces du Kivu dans la partie orientale du pays, alors appelée Zaïre. Certains ont commencé à planifier de nouvelles attaques contre le Rwanda, déclenchant ainsi la première guerre du Congo en 1996. L’Ouganda et le Rwanda ont soutenu un groupe rebelle congolais dirigé par Laurent-Désiré Kabila contre le dirigeant du Zaïre, Mobutu Sessé Seko. Ils sont arrivés à Kinshasa et ont renversé Mobutu en mai 1997.

La deuxième guerre du Congo a commencé en 1998, après que les relations entre Laurent-Désiré Kabila — le nouveau Président — et ses anciens alliés se soit détériorées. Le Rwanda et l’Ouganda se sont retirés vers l’est de la République démocratique du Congo, dans une zone riche en ressources naturelles : l’or, les diamants, le coltan, le bois et le pétrole. Le Rwanda a consolidé sa présence partout dans les deux Kivu et l’Ouganda a fait la même chose dans de larges zones de la Province orientale, y compris en Ituri. Au moins neuf pays africains et beaucoup de milices locales ont participé à ces guerres de 1999… À partir de 1999, les Kivu et l’Ituri se trouvaient sous le contrôle d’un mouvement politico-militaire : le Rassemblement congolais pour la Démocratie/Mouvement pour la Libération, soutenu par l’Ouganda et le Rwanda.

Environ quatre millions de personnes auraient perdu la vie en RDC entre 1998 et 2004, en particulier à cause de la famine et des maladies résultant 1 de la guerre. Madame, Messieurs les juges, ceci est considéré comme étant le nombre plus élevé de civils tués en conséquence d’une guerre et ceci depuis la deuxième guerre mondiale. 

En avril 2002, les États impliqués dans le conflit et certains des principaux groupes armés congolais ont commencé à entamer des discussions a Sun City, en Afrique du Sud. L’Ituri était représentée par un dirigeant du Rassemblement congolais, Mbusa Nyamwisi. Il devint membre du nouveau gouvernement d’unité nationale sous la houlette de Joseph Kabila. Lubanga et son groupe ont été exclus.

Dans le cadre de l’accord de Sun City, l’armée ougandaise s’est retirée de la RDC en juin 2003, et la deuxième guerre du Congo s’est ainsi terminée. Cependant, à partir de 2002, et malgré les négociations de paix en cours, un conflit armé durable et étendu a continué à exister en Province orientale, y compris dans le district de l’Ituri. Lubanga avait organisé son propre groupe — l’UPC — en septembre 2000 et — excusez-moi se corrige Mme Fatou Bensouda — en septembre 2000 et reçu un soutien de l’Ouganda. En janvier 2001, il rejoint le Rassemblement congolais au gouvernement en tant que Commissaire pour la jeunesse et les sports et ensuite en tant que Commissaire chargé de la défense. Il a délibérément utilisé sa position pour incorporer des centaines de Hema dans l’armée du Rassemblement congolais.

En avril 2002, lorsqu’il fut exclu de1 l’arrangement conclu à Sun City, Lubanga était prêt à partir. Il a quitté le rassemblement congolais en emmenant avec lui ses soldats hema loyaux. En intégrant d’autres petites milices, Lubanga a constitué son armée. Lubanga, soutenu par l’armée ougandaise, s’est ensuite retourné contre le Rassemblement congolais et, en août 2002, les a chassés de Bunia.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, les éléments de preuve montreront qu’à partir du 1er septembre, Lubanga et ses coauteurs, dans le but de maintenir et d’élargir leur contrôle sur la région, ont lancé des attaques contre les Lendu, l’autre communauté importante vivant en Ituri et qui a également constitué des milices.

Des actes de violence de grande ampleur ont ainsi été commis dans un contexte caractérisé par l’absence de contrôle du gouvernement national sur le territoire, l’implication de troupes étrangères et la lutte pour le contrôle de ressources naturelles. Le Procureur présentera des éléments de preuve montrant que plus de 8 000 civils ont été, de manière délibérée, tués ou ont subi des exactions sans discrimination en Ituri de janvier 2002 à décembre 2003.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, afin de montrer l’existence d’un conflit armé, le Procureur versera en preuve des documents dont la résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies confirmant l’existence d’un conflit armé en Ituri durant la période considérée. Conformément à la décision de la Chambre de première instance en date du 13 décembre 2007 et du document modifié contenant les charges, le Procureur présentera tous ses éléments de preuve se rapportant à la nature internationale et non internationale du conflit. Les éléments de preuve permettront à la Chambre de définir si l’occupation ougandaise de l’Ituri entre le 1er septembre 2002 et le début de juin 2003 a transformé la nature du conflit pour en faire un conflit international armé.

Le Procureur va donner des éléments de preuve établissant que l’armée ougandaise a été une force d’occupation se substituant à l’autorité du gouvernement de la République démocratique du Congo.

Le Procureur montrera également, Monsieur le Président, que 1 des responsables ougandais et rwandais ont soutenu différents groupes armés impliqués dans le conflit armé en Ituri. Ils ont fourni une formation militaire et une expertise, des armes, des munitions, des uniformes et des soutiens financiers.

Vous entendrez parler de la formation reçue par les officiers de Lubanga dans les camps en Ituri, en Ouganda et au Rwanda.

Vous entendrez des témoins à charge décrire le parachutage d’armes, de munitions à partir d’avions rwandais autour du camp de formation militaire à Mandro et ils expliqueront la connexion qui existe entre Bosco Ntaganda et les autorités rwandaises.

Le Procureur va également montrer les éléments de preuve qui permettent d’établir que les officiels ougandais soutenaient Lubanga ; ils l’ont fait de 2000 jusqu’au moins la fin de 2000… d’octobre 2002 et que les officiels rwandais ont soutenu ou ont apporté leur soutien entre la mi-2002, et la mi-2003.

Les éléments de preuve montreront le soutien opérationnel fourni par l’armée ougandaise. Les éléments de preuve montreront également les soutiens apportés par l’armée ainsi que la rupture de cette relation, une relation qui était pleine de manoeuvre, Monsieur le Président. Le gouvernement ougandais a arrêté Lubanga en juin 2002 et l’a envoyé à Kinshasa en compagnie de neuf de ses sympathisants au moment des discussions de Sun City et au même moment, Monsieur le Président, sur le terrain, les officiels ougandais ont continué à soutenir le groupe de Lubanga.

Au mois de janvier 2003, Lubanga, à présent soutenu par le Rwanda, a commencé à demander, de manière publique, le retrait des forces ougandaises. L’armée ougandaise a, par conséquent, changé de camp et a commencé à soutenir les milices lendu et, en mars 2003, le groupe de Lubanga a été chassé de Bunia. Deux mois plus tard, en mai 2003, l’armée ougandaise a quitté Bunia dans le cadre de son retrait de la RDC. Immédiatement, le groupe de Lubanga a chassé les milices lendu et a repris possession de la ville.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, comme je l’ai mentionné, les éléments de preuve montreront que jusqu’au 2 juin 2003, l’Ituri était sous l’occupation de l’armée ougandaise. Cependant, les éléments de preuve qui sont en possession du Procureur ne prouvent pas que les officiels ougandais avaient un contrôle total sur le groupe de Lubanga. La question de la classification du conflit en tant que conflit international porte: Premièrement sur le critère qu’appliquera la présente Chambre : occupation ou contrôle total.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, permettez-moi à présent d’aborder la question de la responsabilité pénale individuelle de l’accusé. Le Procureur prouvera que Thomas Lubanga Dyilo est pénalement responsable en tant que coauteur et cela nous allons le démontrer conformément à l’article 25(3) (a) du Statut de Rome.

Au mois de septembre 2002 jusqu’au 13 août 2003, un plan commun existait entre Thomas Lubanga Dyilo, Bosco Ntaganda et d’autres coauteurs. Le but était de maintenir et d’étendre le contrôle politique et militaire sur la région de l’Ituri. L’exécution du plan comprenait l’enrôlement, la conscription et l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour participer activement aux hostilités.

Les éléments de preuve montreront, Monsieur le Président, le rôle critique joué par Lubanga lui-même dans la réalisation de l’objectif commun et dans le contrôle de son exécution, en particulier dans le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats.

Thomas Lubanga Dyilo est né le 29 décembre 1960 d’une famille hema appartenant au sous-groupe Gegere. En 2002, la communauté Gegere l’a reconnu comme son chef politique ; il l’appelait Raisi, un mot swahili qui signifie Président, ou l’autorité suprême.

Lubanga est quelqu’un d’éduqué. En 1985, il a obtenu un diplôme en psychologie de l’université de Kisangani, quand bien même il n’a jamais exercé une telle profession ; il a tenu un emploi dans un entrepôt, au marché de Bunia, où il vendait des haricots et d’autres biens aux forces armées présentes à Bunia à l’époque et il a travaillé dans de petites entreprises commerciales, notamment dans des activités, y compris la vente de l’or. Parallèlement, il s’est impliqué dans des activités politiques. En 1990, il a joint un parti politique : l’Union pour la Démocratie et le Progrès social. En 1999, il a été élu membre de l’assemblée provinciale en Ituri.

Thomas Lubanga Dyilo était animé d’une mission ; il voulait un pouvoir politique et il voulait une armée sur laquelle construire son pouvoir. Les éléments de preuve vont permettre de montrer comment il a pu associer son talent en tant qu’homme éduqué en tant que commerçant et comment il a utilisé ses connexions, la loyauté de l’élite gegere, tout en portant atteinte aux familles gegere en même temps et comment il a, de manière délibérée et prudente, déterminé les méthodes les plus avisées pour construire son pouvoir en recrutant des enfants comme soldats, en changeant d’alliances quand c’était nécessaire, en essayant de jouer avec la communauté internationale. Il a prétendu qu’il était loyal au Rassemblement Congolais lorsqu’ils étaient au pouvoir et en fait, il était en train de comploter contre eux en même temps. Il a annoncé des programmes de pacification et il envoyait ses troupes tuer tous les Lendu en même temps. Il a promis de démobiliser les enfants-soldats et il les recrutait en même temps. Les éléments de preuve montreront que, pendant toute la période considérée, visée dans les charges, il était… il assurait le contrôle total de son groupe ; ceux qui étaient contre lui devaient partir. 

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges permettez-moi tout brièvement de vous dire comment tout cela a pu exister et pourquoi Thomas Lubanga Dyilo… et comment sa carrière politique et militaire a pu se construire sur l’utilisation d’enfants-soldats. Lors de l’été 2000, le Rassemblement Congolais, qui à l’époque contrôlait l’Ituri et les Kivu, a commencé à exclure des commandants hema de son armée; les commandants hema, y compris tous les coauteurs de Lubanga, ont donc organisé une mutinerie. La plupart des soldats sous la direction des mutins hema, étaient des enfants; le Rassemblement Congolais a demandé le soutien de l’armée ougandaise; les parents des enfants ont envoyé une lettre en date du 27 juillet 2000 dans laquelle elles se plaignaient auprès… dans laquelle elles se plaignaient auprès des autorités ougandaises. 

Lubanga, un chef hema, éduqué, qui était à l’époque un membre mineur de l’assemblée de l’Ituri, a saisi l’occasion. Il s’est porté volontaire pour se rendre à Kampala pour régler le problème. Il a impressionné les officiels ougandais et il a commencé à développer l’idée de créer un parti politique. Les officiels ougandais lui ont fourni… lui ont offert de lui fournir une formation ainsi qu’à ses sympathisants ; il a donc saisi cette occasion. Il a donc déterminé d’envoyer… Il est parti pour constituer la formation à Kyankwanzi en Ouganda, seulement les enfants mutins, mais tout soldat sur lesquels il a pu mettre la main. 

La maison de Lubanga est devenue un centre de dépistage à travers lequel le recrutement et le transport d’enfants se faisait, et notamment des enfants hema, et en particulier gegere, à différents camps en Ouganda et en RDC. En résumé, Lubanga a saisi l’occasion de cette mutinerie hema pour établir une alliance politique avec des officiels ougandais et à construire au sein même du Rassemblement Congolais, une armée qui devait lui être loyale et à lui seul.

 Lubanga allait donc, maintenant, se servir comme base de sa propre armée. Comme je l’ai mentionné précédemment, Monsieur le Président, en avril 2002, Lubanga a coupé tout lien avec le Rassemblement Congolais et il a retenu les soldats hema et d’autres pour créer l’armée de l’UPC. Immédiatement, ils se sont retrouvés dans des confrontations violentes contre le 13 Rassemblement Congolais. Même après son arrestation à Kampala et même après sa détention à Kinshasa, de juin à la fin août 2002, il a maintenu la capacité de gérer son mouvement, y compris le recrutement.

Le 9 août 2002, les milices de Lubanga ont lancé une offensive contre le Rassemblement Congolais et, à partir de ce moment-là, l’UPC a contrôlé Bunia. Le 13 août 2002 Lubanga, à partir de sa cellule à Kinshasa, a rendu une déclaration dans laquelle il expliquait que son groupe et je cite : « contrôlait parfaitement la situation à cet endroit. » Il ajoutait qu’ils allaient poursuivre un programme de pacification en Ituri et demander l’établissement d’un tribunal pénal international pour mener des enquêtes sur les massacres commis en Ituri. Avec l’autorisation du gouvernement de la RDC, Lubanga a pu, de manière provisoire, retourner à Bunia le 28 août et à reprendre le leadership de l’UPC. Il était accompagné par le ministre congolais des droits de l’homme, mais ses sympathisants détenus devaient rester en détention à Kinshasa. Comme à son habitude, Lubanga a traité la situation de manière violente et très rapide avec beaucoup de ruse. Ses commandants ont pris le ministre comme otage, ils ont exigé que Lubanga soit autorisé à demeurer en Ituri et que ses neuf associés soient libérés en échange de la libération du ministre.

Le 1er septembre 2002 cet accord a donc été conclu. Le 3 septembre 2002, Lubanga a été nommé Président de l’UPC. Ses premiers décrets écrits en tant que Président mentionnaient particulièrement que la défense… les questions de défense et de sécurité émaneraient de lui, notamment la présidence de l’UPC. À partir de là, Lubanga exerçait un contrôle total et ne tolérait pas la moindre, je cite : « la moindre contestation de son autorité. » Fin de citation. C’est ce qui est arrivé, Monsieur le Président, au chef Kahwa, ministre de la Défense qui a été limogé, dégradé, parce qu’il avait osé s’en prendre à Lubanga. Il a donc quitté l’UPC. Il a été créé son propre mouvement, le PUSIC. Le 13 août 2003, le dernier jour dans le cadre de la période considérée et citée dans les charges, Lubanga était toujours le Président de l’UPC.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, Thomas Lubanga était au courant des crimes commis. Thomas Lubanga avait le contrôle de son groupe. Il ordonnait et supervisait le recrutement d’enfants-soldats dans sa milice. Bosco Ntaganda et d’autres coauteurs partageaient ses intentions.

Un élément de preuve, Monsieur le Président, va sortir du lot. La Cour va entendre Lubanga lui-même s’adresser aux enfants-soldats, leur expliquant le rôle de Bosco Ntaganda, confirmant la structure hiérarchique. Dans la vidéo qui montre cela, la visite qu’il a rendue au camp de formation de Rwampara, je voudrais le citer, si vous le permettez : 

«Je suis Thomas Lubanga, le Président de notre parti, l’UPC. avez l’habitude de vous adresser à nos commandants qui nous aident dans ce travail de la formation et qui constituent tous les jours l’armée. Je suis avec eux tout le temps, mais il y a beaucoup de travail. Continuez votre formation. Nous vous surveillons tout le temps, nous avons un oeil sur vous tout le temps. Vous avez dit, il y a quelques instants, que le commandant des opérations, Bosco, vous rendait visite régulièrement ; si vous avez des problèmes, dites-le lui et les informations seront retransmises au plus haut niveau. Étant donné qu’il est un responsable important de notre armée, les FPLC, ce que nous faisons, nous le faisons avec vous ; ce que nous faisons, c’est de construire une armée. Je vous souhaite beaucoup de courage dans votre formation. Persévérez et demain vous serez là, debout, en possession d’une arme et d’un uniforme.»

Et là, je cite Thomas Lubanga Dyilo. 

Les éléments de preuve montreront que la campagne de grande envergure de recrutement entreprise par le groupe de Lubanga n’aurait pas pu voir le jour sans les instructions ni l’approbation de Lubanga. Tous les éléments de preuve que le Procureur vous soumettra permettront de montrer que Lubanga exerçait un contrôle complet sur son groupe et que le recrutement était pour lui une activité principale. Les éléments de preuve montreront qu’il a organisé des campagnes de recrutement et qu’il avait envoyé des émissaires à Bunia et dans les environs, pour persuader ou pour obliger les familles hema à envoyer leurs enfants pour rejoindre ce groupe. Des preuves littérales que nous allons verser vont vous permettre de montrer qu’en décembre 2002, des comités de paix de la région de l’Ituri ont coopéré avec le groupe de Lubanga pour mener des campagnes au sein des jeunes visant à une intégration massive au sein de sa milice. Le Procureur montrera des éléments de preuve qui montrent que Lubanga lui-même a, de manière publique, décrété que chaque famille hema doit soutenir ses efforts militaires en mettant un enfant 1 à sa disposition. Un témoin montrera que Lubanga a donné l’ordre de recruter, et je cite : « Tous ceux qu’ils peuvent trouver. »

Les éléments de preuve montreront que les ordres de Lubanga visant à recruter des enfants n’ont pas établi un âge minimum ; le critère était la possibilité de porter une arme. Les commandants ont instruit les enfants à recruter d’autres enfants, même s’ils étaient petits, tant qu’ils peuvent porter une arme. Les éléments de preuve montreront également qu’un grand nombre de ces personnes recrutées avaient moins de 15 ans et que Lubanga le savait. Lubanga a établi des camps militaires de formation et a rendu visite à ces camps pour préparer ces enfants recrutés au combat. Lubanga envoyait des enfants-soldats tous les jours dans son organisation; il était de manière régulière en présence de soldats qui étaient sous son commandement et qui, de toute évidence, avaient moins de 15 ans. Lubanga et ses commandants supérieurs utilisaient des enfants-soldats de moins de 15 ans pour assurer la sécurité des bâtiments et du personnel ; leur sécurité. Vous verrez, Monsieur le Président, lorsque le Procureur établira sa thèse, des vidéos qui montrent comment ces jeunes enfants qui étaient utilisés comme garde du corps étaient jeunes. Vous entendrez des éléments de preuve selon lesquels Lubanga se servait d’enfants pour garder sa résidence, ainsi que les points de contrôle qui menaient à sa maison; des preuves éclatantes du fait qu’il était au courant du recrutement et de l’utilisation d’enfants-soldats au sein de son groupe sont des ordres pour démobiliser les enfants-soldats. Le Procureur va montrer au moins trois documents, trois documents qui ont été signés par Lubanga dans le but de démobiliser des enfants-soldats dans son groupe. Ces ordres seuls, Monsieur le Président, montrent que Lubanga savait que ces enfants étaient des soldats au sein de son armée et qu’il savait que le recrutement et que l’utilisation d’enfants-soldats étaient interdits.

Le Procureur va montrer… va produire un décret en date du 21 octobre 2002 et adressé au chef d’état-major des FPLC ; décret dans lequel Lubanga déclare que, contrairement à l’idéologie officielle du mouvement, la pratique de l’enrôlement de mineurs des deux sexes s’est développé au sein des rangs du mouvement. Il ajoute qu’il a de manière formelle interdit une telle pratique et que des accords… conformément à un accord qu’il avait déjà pris avec l’ONG SOS Grands Lacs.

Le 1er juin 2003, Lubanga a rendu un décret ordonnant la démobilisation de toute personne de moins de 18 ans appartenant à son groupe ; le décret indique que cela est fait en tenant compte de la volonté de la communauté internationale visant à poursuivre son programme de démobilisation et de réinsertion d’enfants-soldats; un programme soutenu par des ONG telles que Save the Children et SOS Grands Lacs. Cependant, le Procureur présentera des éléments de preuve qui montrent que ses ordres n’ont jamais, en fait, été mis en oeuvre. Le Procureur va présenter des éléments de preuve qui démontrent que ces ordres visant à démobiliser des enfants-soldats avaient été rendus essentiellement pour apaiser la communauté internationale pendant que Lubanga continuait à recruter des enfants. Ses ordres traduisent sa tentative qui vise à induire la communauté internationale en erreur. Deux semaines après son deuxième ordre de démobilisation allégué, il a rendu visite à l’un de ses camps de formation où il encourageait les enfants à apprendre à se battre; deux semaines seulement après cela. 

Lubanga savait que les organisations internationales étaient au courant et supervisaient ses efforts de recrutement. En 2001, l’UNICEF et l’ONG locale, SOS Grands Lacs a trouvé les enfants-1 soldats que Lubanga avait envoyés pour suivre une formation en Ouganda. Les communautés locales et internationales ont soutenu l’initiative visant à les rapatrier. 163 enfants ont été démobilisés et réintégrés au sein de leur famille. Suite, à cette initiative les plans de Lubanga auraient pu être sérieusement contrariés.

Cependant, Monsieur le Président, le Procureur va montrer des éléments de preuve qui établissent qu’en 2003 Lubanga a recruté à nouveau 130 de ces 163 enfants qui avaient été démobilisés par l’UNICEF et par SOS Grands Lacs, et les a envoyés dans des unités de combat. Le Procureur va montrer également que Lubanga était personnellement informé par différents responsables d’ONG qu’il y avait des enfants-soldats au sein de sa milice et a reconnu devant ses officiels sa pratique d’utilisation d’enfants-soldats.

Tout particulièrement, Monsieur le Président, vous allez entendre des éléments de preuve portant sur ce qui est advenu à un pasteur qui est un militant des droits de l’homme en Ituri. Ce pasteur a contacté Lubanga à plusieurs reprises pour exprimer sa préoccupation concernant l’utilisation d’enfants de moins de 18 ans. Il l’a fait en janvier 2002, en octobre 2002 et en novembre 2002. La première fois, Lubanga a répondu en disant qu’il devait discuter de cette question, et je cite : «avec sa hiérarchie», ajoutant que c’était une façon d’occuper des enfants qui traînaient dans les rues. La deuxième fois, Lubanga a dit qu’il discuterait de cette question avec, et je cite : « ses collaborateurs », mais que ce serait quelque chose de difficile, dit-il, parce que les enfants, en fait, ont fini par aimer leur travail. Ce sont ses mots.

La troisième fois, Lubanga l’a accusé — notamment ce pasteur — d’essayer de démobiliser les enfants, et je cite : « nécessaires » pour défendre la communauté hema contre les attaques lendu. Et en plus, il a menacé en disant que cette fois il le laissait partir, mais qu’il devrait se considérer comme étant averti. Quelques jours plus tard, le pasteur, un assistant de Lubanga, a reçu comme information… a donné l’information au pasteur selon laquelle il devrait arrêter de démobiliser des enfants-soldats, sinon, il risquait de se faire tuer.

En résumé, Monsieur le Président, les ordres de recrutement et ces faux ordres émis par Lubanga visant à démobiliser des enfants-soldats sont des éléments de preuve concluants permettant d’établir la connaissance de Lubanga de la pratique de recrutement et de l’utilisation d’enfants en tant que soldats.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, permettez-moi à présent avec votre permission de donner la parole au Procureur qui va parler de la nature des éléments de preuve et qui va conclure cette déclaration.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation de l’anglais) : Je vous remercie, Madame Bensouda. M. Moreno-Ocampo vous avez la parole

L’INTERPRÈTE : Le micro du Procureur n’est pas allumé.

M. MORENO-OCAMPO (interprétation de l’anglais) : (Intervention non interprétée).

L’INTERPRÈTE : Le micro du Procureur n’est pas allumé, s’il vous plaît.

M. MORENO-OCAMPO (interprétation de l’anglais) : Le Procureur va vous présenter des éléments de preuve concernant 30 témoignages oraux et cela va inclure ceux qui ont, de manière régulière, rencontré Thomas Lubanga et qui, en tant que coauteurs ont participé à toute cette activité et qui exerçaient des positions suffisamment importantes pour être informés des activités quotidiennes exercées par le groupe de Lubanga.

Le Procureur va également présenter quelques-uns des 1 671 documents à charge qui ont été divulgués en la présente affaire. Un grand nombre de ces documents ont été écrits à l’époque des faits et émanent du groupe de Lubanga. Un grand nombre de ces documents sont, soit signés par Lubanga ou adressés en copie à Lubanga lui-même.

Nous allons présenter des vidéos 1 à cet effet. En outre, nous citerons neuf anciens enfants-soldats à comparaître. En ce qui concerne ces enfants-témoins, je voudrais faire quelques observations.

Les neuf anciens enfants-soldats que vous allez voir présents dans ce prétoire sont des personnes remarquables. Nous sommes impressionnés par la manière dont ils ont… qu’ils ont et qu’ils continuent à surmonter l’adversité qu’ils ont vécue. Un grand nombre d’entre eux ont très récemment fini de passer leurs examens au lycée. Et cependant, même ces neuf enfants éprouvent toujours des difficultés à relater ce qui leur est advenu. Même ces neuf enfants souhaiteraient ne pas même parler des événements dans les détails de ce qu’ils ont pu voir et de ce qu’ils ont pu faire. Le fait de déposer va les obliger à revivre des expériences traumatisantes. Ils éprouvent une profonde honte et ils souhaiteraient pouvoir ignorer… oublier complètement ces événements.

Ces témoins, Monsieur le Président, sont des témoins vulnérables ; je ne vais pas m’étendre plus longtemps sur cela. La Cour site à comparaître deux experts témoins qui vont expliquer les difficultés que ces enfants éprouvent et comment ces enfants témoins courent toujours un risque de subir à nouveau un harcèlement. Pour chacun d’entre eux, c’est la première fois qu’ils seront présents dans un prétoire ; et c’est la première fois qu’ils seront dans un pays différent, loin de leur communauté. Ces environs peu familiers, le temps, etc., la formalité de la procédure, tout cela, associé au traumatisme qu’ils ont déjà connu dans leur courte vie, rend la perspective de déposer en salle d’audience plutôt angoissante. Tous ces facteurs jouent… constituent un véritable défi pour les parties. Les représentants légaux et la Chambre qui doivent s’assurer que le processus de témoignage ne constitue pas un nouveau traumatisme pour eux. Le Procureur est prêt à demander l’application de mesures spéciales, conformément à la règle 88 du Règlement 1 de procédure et de preuve, lorsque le cas échéant; et nous sommes certains que la Cour permettra la mise en oeuvre de telles mesures le cas échéant.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur le juge, au moment du prononcé des peines, si la Chambre venait à conclure que les charges ont été prouvées, le Procureur analysera les circonstances individuelles qui entourent l’accusé. Cependant, je voudrais informer la Défense que le Procureur prévoit de demander l’application de peines sévères, très sévères, peines proches de la peine maximum.

Le Procureur estime que les crimes les plus graves poursuivis par la Cour, pour lesquels il y a deux… des centaines et des milliers de victimes, méritent l’application de peines très lourdes. En la présente affaire, l’accusé a volé l’enfance de ces enfants en les obligeant à commettre des crimes et des… des crimes de viols et de vols. Ces enfants n’ont pas eu la possibilité de se développer en êtres humains capables de prendre ses propres décisions.

En tant que Procureur, j’ai le mandat de tenir compte des souffrances endurées par ces victimes. Je vais écouter les enfants pour évaluer la peine appropriée qui devra s’appliquer concernant Lubanga. Je me souviens de la déclaration faite par l’un des témoins… l’un des enfants à l’un de nos enquêteurs. « Je rêvais tout le temps et je pensais à toutes ces choses… à toutes les choses que j’ai pu faire. Je pensais tout le temps à tuer des gens. Toutes ces pensées me reviennent à l’esprit. » Maintenant, le sentiment de complicité, de honte vont hanter ces enfants pour le reste de leur vie. Les souffrances passées, les souffrances actuelles et le reste des souffrances infligées par Lubanga, constitueront… tout cela constituera un facteur aggravant. Lubanga n’a pas affecté seulement un enfant, il a affecté toute une génération. Et tout cela doit être conclu comme étant un facteur aggravant dans la fixation de sa peine s’il est condamné.

Le Statut de Rome soutenu par 108 États et soutenu par un nombre important de citoyens de par le monde, ce Statut m’a donné le mandat, je dois poursuivre les auteurs des crimes les plus graves aux yeux de la communauté internationale, afin de mettre un terme à l’impunité et à contribuer à la prévention de crimes futurs, des crimes tels que ceux commis par Thomas Lubanga.

Thomas Lubanga savait parfaitement ce qu’il faisait, il le savait si bien que de manière consciente, il a essayé d’induire en erreur et d’apaiser la communauté internationale en émettant des ordres de démobilisation sur papier, tout en contenant… tout en continuant à recruter des enfants-soldats. Il savait qu’il commettait un crime, pas simplement contre sa propre communauté gegere et hema et pas contre le droit national, il savait qu’il contrevenait au droit fondamental établi par le monde visant à protéger ceux qui ont moins de pouvoir, notamment les petits enfants.

 Thomas Lubanga doit apprendre qu’il ne peut se soustraire au Statut de Rome. Les enfants ne sont pas des soldats. La peine de Thomas Lubanga, ainsi que sa condamnation doit permettre de transmettre un message bien clair, l’ère de l’impunité a pris fin. Je vous remercie.