- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Témoignages des victimes: attention de ne pas compromettre un procès équitable

À ce jour, 93 victimes se sont vues accorder le statut de participant au procès de Thomas Lubanga Dyilo, et bien que la procédure n’en soit qu’à ses balbutiements, leur présence se fait déjà ressentir dans la salle d’audience.

Le procès de Lubanga s’est ouvert le 26 janvier avec les exposés introductifs de sept représentants de victimes. Ces dernières sont pour l’essentiel des ex-enfants soldats, mais également des membres de leurs familles, une école qu’ils ont fréquentée ainsi que son directeur. Le règlement du tribunal stipule que des entités privées – telles que des écoles – peuvent participer en tant que victimes et qu’elles sont dans ce cas considérées comme des « personnes morales ».

Leurs exposés introductifs se sont pour la plupart attardés sur les souffrances infligées aux victimes, leurs droits à la vérité, la justice, une indemnisation, une reconnaissance des préjudices subis, une réhabilitation et une protection. L’avocate Carine Bapita a souligné qu’il était primordial de donner la parole aux victimes « afin qu’elles puissent raconter ce qu’elles ont subi, la situation pénible dans laquelle elles se sont trouvées, les mauvais traitements subis, et comment elles ont été considérées comme des parias par leur communauté ».

Si les exposés introductifs étaient le moyen idéal de faire part de récits de victimes individuelles, peu de représentants en ont réellement profité, certains préférant plutôt traiter du conflit en RDC en général, de questions de responsabilité pénale et des motifs ayant poussé à recourir à des enfants soldats.

Par ailleurs six des sept représentants de victimes ont également évoqué le viol ou les sévices sexuels à l’encontre des filles soldats, bien que Lubanga soit uniquement inculpé pour l’enrôlement d’enfants soldats.

L’évocation de ces autres crimes n’a pas semblé contrarier le juge président Adrian Fulford. Toutefois, Catherine Mabille, avocate de la défense, n’a pas apprécié le plaidoyer des représentants des victimes, déclarant dans son exposé introductif le jour suivant qu’il ne s’agissait que d’accusations anonymes à l’encontre de son client en rapport avec des chefs d’inculpation dont il n’est pas censé répondre dans le cadre du procès actuel.

Les victimes reconnues ont le droit de faire part de leurs « opinions et préoccupations » à certaines étapes du procès que le tribunal juge appropriées, pour autant que leur intervention n’interfère pas avec les droits de l’accusé à un procès juste et impartial. Il est néanmoins préoccupant de constater que bon nombre de représentants ont profité de leur exposé introductif pour évoquer des crimes non repris dans les charges retenues contre Lubanga, laissant ainsi planer un doute sur son droit à un procès équitable.

Sur un plan positif, bien qu’elles ne se soient pas vraiment fait l’écho des récits personnels des victimes, les questions posées par leurs représentants aux témoins ne se sont avérées ni trop lourdes ni trop agressives au regard des droits à un procès équitable de l’accusé.

À ce jour, les représentants des victimes ont appelé cinq témoins à la barre – trois anciens enfants soldats, le père d’un ex-enfant soldat et, plus récemment, un psychologue appelé à témoigner sur le stress post-traumatique.

Certaines de ces questions étaient assez vagues et il n’était parfois pas évident de déterminer en quoi elles traduisaient les « opinions et préoccupations » des victimes représentées.

Un témoin, une ex-jeune fille soldat, s’est ainsi vu poser une question assez précise, à savoir si elle avait pu changer de vêtements au cours des quatre semaines de son entraînement. De son aveu, elle a conservé les mêmes vêtements que ceux qu’elle portait au moment de son enlèvement, sans pouvoir les laver.

De surcroît, l’expert appelé à la barre a été invité à établir s’il existait un lien de cause à effet entre la croyance voulant que ceux qui se font assassiner ou les commanditaires de l’assassinat jouissent de quelconques pouvoirs spirituels ou magiques et le stress post-traumatique. Mis à part l’intérêt suscité par cette question, il est difficile de dire en quoi cette question fait la lumière sur les souffrances personnelles des victimes représentées. Toutefois, cela sera peut-être plus évident lors des témoignages des victimes au cours des prochaines étapes du procès, le cas échéant.

La défense juge que la présentation de témoignages par les victimes est davantage controversée et préoccupante. Ce mode de participation a été confirmé en janvier 2008 et une nouvelle fois avalisé par la décision de la chambre d’appel de juillet 2008, mais l’avocat de l’inculpé le trouve de toute évidence très défavorable.

S’agissant des preuves que les victimes vont présenter après le procureur, Mabille a indiqué à la Chambre de première instance : « nous [avocat de la défense] ne savons rien à ce propos ». Reste à voir comment les choses se dérouleront en pratique.

En ce qui concerne la participation des victimes tout au long du procès, l’accès aux documents a sans doute été le point le plus litigieux à ce stade.

Le 18 janvier 2008, la Chambre de première instance I a accordé aux victimes le droit de consulter des dossiers confidentiels de cette affaire, pour autant qu’elles soient en mesure de prouver un intérêt personnel à exercer un tel droit, et que l’accès auxdits documents « ne viole pas d’autres mesures de protection qui doivent rester d’application ». Il a par ailleurs été décidé que la liste des documents susceptibles d’être mentionnés dans le cadre des témoignages serait notifiée au préalable aux victimes.

Les avocats des victimes ont en outre demandé la notification de tous les dossiers, à l’exception de ceux ex-parte – dont seuls la chambre et l’une des parties ont connaissance. Cette requête a été déboutée dans une décision du 8 avril 2009, au même titre que la demande d’accès à l’ensemble des documents que l’une quelconque des parties a l’intention d’utiliser pendant le procès. Les juges ont une nouvelle fois confirmé que les documents spécifiques devaient être demandés à l’avance par les avocats des victimes.

À travers la décision du 8 avril, les victimes semblent retrouver le rôle de participants qui est le leur et non celui de parties à part entière du procès. Elle préserve l’équilibre entre les droits des victimes et ceux de l’accusé.

Toutefois, si les victimes devaient se voir accorder le droit de témoigner après la fin des dépositions de l’accusation, cela serait très préoccupant pour l’avocat de la défense et les partisans d’un procès équitable, en particulier s’il est constamment fait mention de sévices sexuels.

On ne peut qu’espérer que la Chambre de première instance s’efforce de faire le nécessaire pour que la participation des victimes pendant le restant des procédures ne pèse pas trop lourdement sur le droit de l’accusé à un procès juste et impartial.