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Procès de Lubanga, semaine 10: Des doutes émergent quant au contrôle exercé par Lubanga

Des questions ont été soulevées au sujet du contrôle exercé par Thomas Lubanga sur la milice de l’Union des patriotes Congolais (UPC), suite à des témoignages selon lesquels en tant que président du groupe, son rôle était largement politique, et non pas militaire.

Lubanga est en procès à la Cour pénale internationale pour des chefs d’accusation de conscription et d’utilisation d’enfants pour les faire combattre dans la région de l’Ituri en République démocratique du Congo, RDC, en 2002 et 2003.

Un ancien soldat de l’UPC désigné par le nom de témoin 17, a déclaré aux juges de la CPI, qu’il n’avait jamais vu Lubanga donner des ordres aux soldats de l’UPC mais que de tels ordres avaient plutôt été passés par l’ancien chef d’état major de l’UPC, Floribert Kisembo.

Il a ensuite expliqué que Kisembo était la personne qui “savait tout” en ce qui concernait les affaires militaires, et que, “l’armée lui appartenait presque.”

Interrogé par Catherine Mabille, l’avocate de la Défense pour qu’il donne des précisions, le témoin 17 a déclaré, “J’ai remarqué au sein de l’UPC, que l’influence de Kisembo était très importante dans l’armée, surtout par rapport au commandant Thomas (Lubanga).

“Au sein de l’armée, nous pouvions ressentir l’influence de Kisembo. Il était très influent. Personne ne parlait de l’influence de (Lubanga).”

Le témoin 17 a indiqué à la Cour que Lubanga était un personnage politique au sein de l’UPC et que, “l’armée n’était pas vraiment son domaine.” Il a indiqué qu’il vu Lubanga porter un uniforme militaire une seule fois, et qu’il avait été surpris par cette image.

“(Lubanga) était un personnage politique. Nous l’appelions président,” a indiqué le témoin. “C’est vrai qu’il pouvait mettre un uniforme militaire, comme du camouflage, si sa sécurité était en danger, mais à Bunia ce n’était pas courant. Nous n’en avions pas l’habitude.”

Le témoin 17 a également indiqué à la Cour que Lubanga avait pu ne pas voir les enfants soldats lorsqu’il avait visité un camp d’entraînement à Bunia appelé “Epo.”

Lubanga était arrivé dans un véhicule, ce qui l’identifiait comme un officiel de haut rang au sein de l’UPC, et les soldats gardaient les abords du camp pour garantir la sécurité de Lubanga, a indiqué le témoin.

“Pour recevoir une personne telle que le président, on le salue souvent avec respect, mais ce ne fut pas le cas à cette occasion. Il n’y avait pas de troupe pour l’accueillir. Il est peu probable qu’il y ait eu des enfants soldats là-bas. Je ne pense pas qu’il soit possible qu’il ait vu des enfants soldats.”

Entre-temps, un autre témoin dont l’identité a également été protégée, s’est vu projeter une vidéo à l’audience, montrant un officiel de Bunia, Mileo Misaka, qui parlait à un rallye de soutien pour l’UPC.

Dans cette vidéo, il mentionne à plusieurs reprises le fait qu’il y a des enfants au sein de la milice de l’UPC et qu’ils se battent pour leur peuple.

“Notre marche montre aujourd’hui le soutien que nous apportons à nos enfants qui travaillent nuit et jour,” déclare Misaka dans la vidéo. “Je veux parler de l’UPC. Nous les félicitons. Ils donnent leur sang pour que nous puissions vivre en paix et au calme.

“Voilà pourquoi nous les félicitons. Ils ont donné leurs corps et leurs vies pour le président,” déclare Misaka dans la vidéo.

Le témoin a ensuite assisté à la projection d’une autre vidéo d’un commandant de l’UPC, Eric Mbabazi s’adressant à une foule à Bunia.

“Nos jeunes se sont enrôlés dans l’armée pour chercher à obtenir un changement,” explique Mbabazi dans la vidéo. “Nous voulons apporter la paix et protéger la population civile. Nous allons dire à la population d’Ituri de nous soutenir.

“Les jeunes se sacrifient. Ils ont beaucoup de problèmes – ils n’ont pas de salaire. Nous essayons de trouver une solution” a indiqué le commandant Mbabazi dans la vidéo.

Le Procureur Olivia Struyven a demandé au témoin d’expliquer le genre de soutien qui était recherché.

“Alors, si je comprend bien, il fait référence au fait que la population devrait soutenir l’armée alors (l’armée ougandaise) part, et l’UPC peut contrôler le territoire,” a répondu le témoin.

L’UPC voulait que les gens apportent de la nourriture et de l’argent aux soldats, a-t-il dit.

“Nous savons que les soldats doivent manger, et ils bénéficiaient d’un soutien des commerçants et des gens de bonne volonté,” a expliqué le témoin.

Les supporters de l’UPC avaient essayé d’aider les combattants de la milice, et un témoin a par ailleurs décrit les conditions de vie difficiles des enfants soldats.

Kisembo, commandant de l’UPC avait regroupé les kadogos – le terme swahili pour désigner les enfants soldats – dans une unité spéciale, a expliqué le témoin.

“Il pleuvait sans arrêt,” a déclaré le témoin. “Il n’y avait pas de nourriture, pas de médicaments et ils pouvaient à peine se laver. Leur santé était mauvaise et empirait. Le chef d’état major a dit qu’il allait s’occuper d’eux. Ils étaient vulnérables.”

Le témoin a expliqué que la discipline était une composante importante de la vie au sein de l’UPC, et que les kadogos étaient parfois obligés à s’allonger sur le sol où ils étaient fouettés avec des cordes.

De tels châtiments étaient délivrés lorsque les kadogos essayaient de s’enfuir, a-t-il dit.

Parfois, on permettait aux kadogos d’aller chercher de la nourriture dans les villes voisines, mais le plus souvent ils devaient rester dans le camp, “même lorsqu’il y avait très peu de nourriture.”

“Tous les adultes partaient chasser ou voler de la nourriture,” a-t-il expliqué, “mais (les kadogos) ne pouvaient pas. Je n’arrêtais pas de penser que…un enfant doit avoir très faim dans une situation comme ça.”

L’Accusation doit interroger 31 témoins dans le cadre du procès Lubanga, et à peine la moitié d’entre eux sont déjà venus à la barre depuis que le procès a commencé à la fin du mois de janvier de cette année.

Le procès reprend la semaine prochaine.