Rapports quotidiens

10 Février 2009

L’enfant soldat : « Si on criait, ils nous battaient encore plus fort »

Par Rachel Irwin

L’ex-enfant soldat qui s’était précédemment rétracté est revenu à la barre des témoins aujourd’hui dans le cadre du procès du chef de milice congolais inculpé, Thomas Lubanga, et a déclaré à la Cour qu’il allait « dire la vérité ».

Deux semaines après son premier témoignage, le témoin a expliqué mardi comment il avait été kidnappé avec cinq autres camarades de classe par des soldats de la milice de Lubanga fin 2002 pour être emmené dans un camp d’entraînement.

« [Les soldats] disaient ‘les enfants, on va vous emmener’ », a-t-il indiqué. « Si quelqu’un essayait de parler, il était tabassé ».

Le témoin a précisé qu’à l’époque, il était à l’école primaire, en cinquième année, et qu’il avait environ 11 ans.

Fait inhabituel, le juge président Adrian Fulford a autorisé le garçon à relater les faits sans que l’accusation ou la défense ne puisse l’interpeller ou l’interrompre. Tous les auxiliaires de la justice non indispensables ont été priés de quitter la salle et le témoin a été protégé du regard du prévenu.

Lubanga pouvait toutefois encore le voir sur son écran d’ordinateur. Il a fixé le jeune homme tout au long de son témoignage, son visage restant de marbre.

Si le nom du témoin n’a pas été divulgué à ce stade, un pseudonyme, Dieumerci, a été utilisé aujourd’hui pour s’adresser à lui. Il a fait sa déposition en swahili, protégé des regards de la tribune du public par une déformation numérique de son visage et de sa voix.

Dieumerci a fait savoir que les coups administrés aux enfants le jour de leur enlèvement ont redoublé à leur arrivée au camp. Les recrues étaient flagellées avec des morceaux de bois même pour les faits les plus anodins, notamment en cas de maladie ou d’épuisement, a-t-il ajouté. Ce châtiment leur était également réservé si elles étaient incapables de faire un exercice, si elles portaient mal leur arme ou tentaient de s’enfuir.

« Les [recrues] étaient parfois frappées par trois personnes en même temps ». « On était battu encore plus fort si on criait ».

Selon lui, les coups étaient si violents qu’ils ont laissé des marques sur ses jambes et ses pieds. Des photos des cicatrices ont été remises en guise de preuve, mais sans être divulguées aux personnes présentes dans la tribune du public.

Dieumerci a enchaîné avec la description des conditions de vie précaires dans le camp, évoquant notamment des chambrées exiguës qui ne les protégeaient même pas de la pluie.

« Ils ne se souciaient même pas de savoir si on avait suffisamment à manger », a-t-il indiqué.

Il a en outre souligné que toutes les recrues du camp, dont les jeunes enfants, ont été formées au maniement d’armes lourdes et qu’elles ont reçu des uniformes militaires.

Dieumerci a décrit plusieurs affrontements, notamment une embuscade dans une mission catholique.

« Nous nous sommes rendus dans la mission pour tuer tous ceux qui s’y trouvaient, même les prêtres », a-t-il déclaré. « On leur a entaillé la bouche et on les a dévisagés ».

Il a encore ajouté être resté dans la milice jusqu’à ce que son père parvienne à le trouver sur un marché dans une ville voisine. Le père et son fils sont rentrés à Bunia et s’y sont installés, mais Dieumerci a été arrêté par des soldats de la milice de Lubanga alors que son père et lui rendaient visite à des proches à un autre endroit.

Les soldats l’ont considéré comme un déserteur et l’ont battu.

Aux dires de Dieumerci, « c’est leur travail de battre les gens ».

Il est resté prisonnier dans un autre camp d’entraînement jusqu’à ce que son père soit en mesure de monnayer sa libération. Il a ensuite été démobilisé grâce à un groupe d’aide humanitaire.

« À part vos cicatrices, y a-t-il d’autres séquelles [résultant de votre expérience] ? », a demandé l’avocat Luc Walleyn, l’un des représentants de la victime.

« L’arme que j’utilisais m’a abîmé la vue…et j’ai une douleur dans les oreilles », a répondu le garçon. « En plus, je suis encore illettré ».

Le contre-interrogatoire de la défense s’est clôturé. Il n’a pas été clairement indiqué si la défense comptait poursuivre mercredi.

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