- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Le procès de Lubanga, une affaire historique

Le procès du Congolais Thomas Lubanga Dyilo, chef de milice et de parti politique, marque un tournant important pour les droits de l’homme, la justice internationale et la Cour pénale internationale (CPI).

Le procès de Lubanga sera la première affaire internationale de la Cour à poursuivre l’utilisation d’enfants soldats, considérés à l’échelle internationale comme ayant moins de 15 ans, en tant que crime de guerre.

Des enfants soldats ont été enrôlés dans la plupart des guerres de ces trois dernières décennies en Afrique et sur d’autres continents.

Des enfants de toute l’Afrique, dont l’Ouganda, le Libéria, le Zimbabwe et la République démocratique du Congo, ont été transformés en véritables machines à tuer dans des conflits dont ils maîtrisent à peine les motivations et les causes.

Précisant la portée des accusations, Luis Moreno-Ocampo, Procureur en chef de la CPI, a déclaré, « Transformer des enfants en tueurs met en péril l’avenir de l’humanité ».

Un mandat d’arrêt contre Lubanga a été délivré sous scellé en février 2006, mais il n’a été appréhendé que le 17 mars 2006, date à laquelle le mandat a été rendu public. Lubanga a été transféré à la prison de la CPI de La Haye et a comparu pour la première fois devant le tribunal le 20 mars de la même année.

L’arrestation de Lubanga s’inscrivait dans le cadre d’une vaste enquête en cours de la CPI sur les atrocités commises en République Démocratique du Congo (RDC). Lubanga est accusé d’avoir « procédé à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement à des hostilités ».

Les organisations œuvrant en faveur des enfants et les défenseurs des droits de l’homme ont salué la mise en accusation de Lubanga, estimant que celle-ci contribue à la protection des droits des enfants et qu’il s’agit d’un premier pas vers la fin des impunités.  (En complément de lecture: IWPR’s Lubanga Case Signals Hope for Child Soldiers [1])

Certains groupes sur l’équité entre les sexes regrettent toutefois que l’enrôlement d’enfants soldats soit le seul chef d’accusation à l’encontre de Lubanga.  À leurs yeux, sa milice a perpétré des viols et d’autres formes de violence sexuelle. (En complément de lecture: IWPR’s Plight of Girl Soldiers “Overlooked” [2]).

Mme. Radhika Coomaraswamy, Représentante spéciale des Nations unies pour les enfants dans les conflits armés, a appelé la CPI à une interprétation plus large des charges à l’encontre de Lubanga de manière à tenir compte de la violence sexuelle endurée par les jeunes filles forcées de rejoindre sa milice.

Elle a déclaré qu’en vertu du caractère limité des charges de conscription d’enfants pour les faire participer activement aux hostilités, le fait d’utiliser des femmes comme esclaves sexuelles ou épouses, dans le cadre d’une guerre en RDC, peut signifier qu’elles sont utilisées activement dans les hostilités. (En complément de lecture: IWPR’s Call for Lubanga Charges to Cover Rape [3]).

Avant d’être transféré à la prison de la Cour pénale internationale, Lubanga avait été arrêté et écroué en RDC en 2005, et ce après que le branche militaire de son parti politique, l’Union des Patriotes congolais, ait été accusée de l’assassinat de neuf casques bleus bangladais en Ituri, une région riche en or.

L’aile militaire de l’UPC, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), a elle aussi été impliquée dans certaines des atrocités les plus effroyables commises en Ituri. Ayant été son commandant en chef, Lubanga a été accusé d’en avoir dirigé les activités. Par ailleurs, selon la CPI, son « autorité de facto lui conférait un contrôle absolu… des politiques et pratiques », dont la conscription et l’entraînement forcés d’enfants soldats.

Fondée en 2000 par Lubanga, l’UPC, composée en majorité de Hema, comptait parmi les factions qui se combattaient dans la région. L’UPC a par la suite fonctionné comme un parti politique, Lubanga se décrivant d’ailleurs non comme un chef de milice mais comme un homme politique.

Les Hema ont de tout temps été brouillés avec les Lendu. Ceux-ci vivent dans la même région de la RDC et disposent de leurs propres milices, dont certains leaders ont également été arrêtés et attendent leur procès devant la CPI. Mathieu Ngudjolo et Germain Katanga en font partie.

En plus de ces deux hommes, l’ancien vice-président de la RDC, Jean-Pierre Bemba, a été arrêté le 24 mai 2008 par les autorités belges à son domicile bruxellois. Il a ensuite été remis entre les mains de la CPI. L’audience de confirmation des charges à l’encontre de Bemba, notamment pour ses activités en République centrafricaine, débutera le 12 janvier 2009.

Un quatrième Congolais, Bosco Ntaganda, est recherché par la CPI, mais il est encore en liberté. Il s’agirait du commandant en chef des forces de Laurent Nkunda, sévissant dans la province du Nord Kivu (RDC) et autour de la ville de Goma.

Il s’agira du premier procès de l’histoire de la Cour pénale internationale, basée à La Haye (Pays-Bas) et créée en 2002.

D’après l’ancien avocat de la défense de Lubanga, Jean Flamme de Belgique, son client est en droit de bénéficier d’un acquittement pour insuffisance des moyens de preuve apportés par l’accusation en ce qui concerne la conscription d’enfants soldats.

Flamme – depuis lors remplacé par Catherine Mabille – s’est plaint que sa petite équipe de défense disposait d’un budget minime par rapport aux procureurs de la CPI, ne lui permettant de s’attacher les services que d’un seul enquêteur alors que le Procureur en chef en a vingt à son service.

Flamme a également regretté la lenteur avec laquelle il a reçu les preuves et témoignages que les procureurs sont tenus de lui remettre, soulignant par ailleurs qu’il était impossible de les lire car des noms et lieux importants ont été barrés. (En complément de lecture: IWPR’s Lubanga Defence Hits Out at ICC [4]).

À ce titre, « la défense est impossible et le procès l’est donc tout autant », a-t-il déclaré.

Les procureurs ne seront pas la seule équipe juridique à laquelle Mme Mabille sera confrontée dans la salle d’audience.

Outre les témoins de l’Accusation, les « victimes » dans cette affaire, dont quatre au moins ont été acceptées par la CPI, seront représentées par leurs propres avocats et soutenues par des ONG et groupes de défense des droits de l’homme actifs en Ituri et dans d’autres régions du Congo.

Bien que cette initiative soit louable, la collaboration avec le tribunal s’est avérée dangereuse pour plusieurs avocats congolais et les intermédiaires auxquels ils font appel pour contacter les victimes.

Plusieurs menaces ont été proférées à l’encontre de Carine Bapita, une avocate de Kinshasa représentant les victimes dans l’affaire Lubanga, et de sa famille. (En complément de lecture: IWPR’s Intermediaries in Peril [5]).

En 2008, elle a été contrainte de faire sortir en avion de la RDC certains de ses intermédiaires – assurant un échange d’information entre La Haye et les victimes sur le terrain – car leur sécurité était sérieusement menacée.

La CPI dispose d’un programme de protection des témoins et des victimes, mais n’est pas en mesure d’assurer la sécurité des avocats et des intermédiaires qui les aident.

L’affaire Thomas Lubanga dure depuis près de trois ans et a subi de nombreux revers et retards, surtout au niveau de la protection des victimes et des témoins en Ituri. (En complément de lecture: IWPR’s ICC Inquiries Jeopardised [6]).

Bien que Lubanga ait été arrêté en mars 2006, ce n’est que fin janvier 2007 que la Cour a confirmé les charges retenues à son encontre et a ordonné un procès (en complément de lecture: IWPR’s First ICC Case Goes to Trial [7]); par ailleurs, compte tenu de la participation de l’Ouganda et du Rwanda, elle a requalifié le conflit en Ituri de conflit international. (En complément de lecture: IWPR’s Lubanga Faces Trial as Congo Conflict Deemed “International” [8]).

Les juges de la CPI ne sont toutefois pas parvenus à fixer une date pour le procès en 2007 (En complément de lecture: IWPR’s All Eyes on Lubanga Trial [9]), en raison de problèmes non résolus quant aux procédures, aux rôles ainsi qu’aux droits des victimes dans le cadre du procès et au traitement à réserver aux preuves.

La question des preuves a failli faire dérailler le procès et a sérieusement entamé la crédibilité de la CPI.

Initialement prévu le 31 mars 2008, le procès a été retardé jusqu’à la fin du mois de juin compte tenu d’un différend quant à la méthode de collecte et de traitement des preuves du Procureur en chef. La frustration était palpable à la Cour pénale.

« Je ne ferai aucun secret de ma grande frustration, déjà exprimée très clairement devant la Cour, sur les retards dans le démarrage de notre premier procès, » a indiqué le juge britannique Adrian Fulford à un groupe de diplomates et de représentants des droits de l’Homme à La Haye. (En complément de lecture: IWPR’s Lubanga Trial Delay Concerns [10]).

« Nous avons déjà pris une année de retard et la question inévitable et pressante est pourquoi est-ce que l’affaire n’a pas encore commencé ? » a indiqué Fulford.

Le conflit tient à l’incapacité des procureurs à communiquer à la défense tous leurs éléments de preuve et l’identité des témoins à charge contre Lubanga.

Les éléments de preuve devaient normalement être remis à la défense à la mi-décembre 2007, mais à la mi-février, la défense avait reçu des informations concernant l’identité de moins de la moitié des témoins. D’autres preuves cruciales ont été fournies uniquement sous forme expurgée ou résumée.

« Afin que [Lubanga] puisse se préparer à affronter les témoins et les documents de preuve qui seront présentés à son encontre, il a le droit d’avoir été en possession de ces preuves dans leur intégrité, pas plus tard que trois mois avant le début du procès, » a indiqué Fulford.

« Notre point de vue, basé sur des notions basiques d’équité, est qu’on ne devrait pas exiger de lui qu’il ait à faire face à une affaire au sujet de laquelle il n’a pas eu l’opportunité adéquate d’enquêter, de réfléchir ou de répondre. »

Entretemps, le procureur a indiqué que les retards dans la communication étaient liés à la nécessité de protéger les témoins de « violentes milices » toujours « actives et influentes » en Ituri où l’UPC de Lubanga sévissait.

L’ouverture du procès était programmée le 23 juin 2008 ; toutefois, les juges l’ont anticipée en appelant, le 13 juin, à un arrêt indéterminé de la procédure et en débattant de la libération de Lubanga après deux ans d’incarcération.

Conformément au Statut et au Règlement de la Cour, le Procureur est supposé transmettre les preuves à décharge qu’il trouve au cours de son enquête aux juges et avocats de la défense.

Les avocats de la défense, jouissant de ressources limitées pour mener leurs enquêtes, s’en remettent aux procureurs pour communiquer des éléments de preuve de nature à exonérer leur client.

Des problèmes sont survenus lorsque les procureurs se sont basés sur les renseignements fournis par des agences œuvrant sur le terrain en RDC, telles que la force de maintien de la paix de l’ONU (MONUC), pour réunir des preuves.

Afin de protéger leur personnel, ces agences ont déclaré qu’elles ne fourniraient des informations qu’à condition qu’elles ne soient pas divulguées.

Les juges ont accusé le Procureur d’avoir abusé de ses pouvoirs et ont déclaré que le procès de Thomas Lubanga « a été interrompu à un tel degré qu’il est désormais impossible de réunir tous les éléments d’un procès équitable ».

Ils ont ajouté qu’un gel des procédures s’imposait et que Lubanga devait être remis en liberté jusqu’à ce que les procureurs soient en mesure de soumettre toutes les preuves requises. (En complément de lecture: IWPR’s Lubanga Trial Hangs in the Balance [11]).

Il a été fait appel de la décision des juges dans cette affaire, ce qui a par ailleurs retardé la libération de Lubanga tout en permettant de résoudre les problèmes de preuve. (En complément de lecture: IWPR’s Experts Believe Lubanga Trial May Go Ahead [12]).

Enfin, le 18 novembre 2008, les juges de la CPI ont levé « la suspension officielle des procédures » et ont fixé la date du procès de Lubanga au 26 janvier 2009.