Analyse juridique

26 Janvier 2009

Pourquoi le procès de Lubanga valait la peine d’attendre

Par Tracey Gurd

Nous y voilà enfin. Après de nombreux mois de retard et la quasi-libération de Thomas Lubanga Dyilo en raison de doutes quant à l’équité du procès, le chef de milice congolais est à présent sur le banc des accusés et le premier procès de l’histoire de la Cour pénale internationale peut commencer.

Mais cela valait-il la peine d’attendre ?

Certains pensent que non. Les critiques soulignent la désillusion croissante engendrée par la CPI, en particulier en Afrique, où même de fervents défenseurs de cette jeune institution commencent à se demander si la Cour ne s’égare pas… Les retards et revirements dans le procès de Lubanga viennent grossir la litanie des préoccupations sur la CPI. Citons par exemple :

  • la violente réaction politique à haut niveau, parfaitement orchestrée, à l’encontre de la CPI, déclenchée par le mandat d’arrêt délivré par le Procureur contre le Président soudanais, Omar al-Bashir, en juillet 2008. Cette décision a poussé, en septembre 2008, les pays de l’Union africaine, le Mouvement des non-alignés et l’Organisation de la Conférence islamique à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour amener le Conseil de Sécurité à suspendre les enquêtes visant Bashir douze mois durant ou plus;
  • l’impression croissante que la CPI s’en prend à de pauvres États africains alors que des nations riches et puissantes (comme les États-Unis) ne sont pas poursuivies pour les exactions perpétrées dans leurs propres guerres;
  • les vives réactions en RDC en janvier 2009, suscitées par la confirmation des charges à l’encontre de l’ex-candidat congolais à la présidence, Jean-Pierre Bemba, arrêté en mai 2008 pour ses crimes présumés en République centrafricaine. Pour certains, le procès de Bemba montre que la CPI est politisée et que le Président de la RDC, Joseph Kabila, la contrôle.

Les inquiétudes suscitées par les actions de la CPI sont alimentées par le peu de visibilité de ses efforts de sensibilisation, ses tactiques d’enquête, au péril de la vie d’autrui selon certains, ou les déclarations publiques de la CPI, de nature à exposer davantage aux représailles de leurs propres gouvernements des défenseurs des droits de l’homme.

Dans l’affaire Lubanga, certains craignent que les chefs d’accusation à l’encontre du chef de milice soient trop limités et que le recours tous azimuts à des accords de confidentialité par le Procureur remette en question la régularité de la procédure et le respect des droits fondamentaux de la défense. Les sept mois de retard pendant lesquels le Procureur s’est attaqué au problème de la confidentialité ont semblé trop longs.  Pour certains, ses efforts étaient à la fois insuffisants, trop tardifs et le seul fruit de la contrainte.

L’ouverture du procès de Lubanga n’apaisera pas toutes ces préoccupations.  Des mois, voire des années, seront nécessaires pour venir à bout de bon nombre d’inquiétudes et de perceptions plus vastes sur la CPI. Pour ce faire, cette dernière ainsi que d’autres parties soucieuses de justice internationale, devront réfléchir et agir avec prudence.

Le retard accumulé jusqu’à l’ouverture du premier procès de la CPI nous permet toutefois de tirer d’importants enseignements : en tant qu’institution, la Cour peut faire preuve d’impartialité et d’équité envers ceux qui comparaissent devant elle ; et elle est résolue à mettre seule un terme à tout excès interne, tout abus de pouvoir prétendu ou toute violation des droits d’un prévenu – même si cela exige la libération d’un homme avant sa traduction en justice pour les accusations graves à son encontre.

Souvenez-vous : dix jours avant le 23 juin 2008, date prévue pour l’ouverture du procès de Lubanga, les juges ont suspendu l’affaire, craignant que l’utilisation des preuves par le Procureur ne garantisse pas comme il se doit les droits juridiques de Lubanga, au point qu’il soit « impossible » que ce dernier bénéficie d’un procès équitable.  Ils craignaient surtout que Lubanga ne puisse pas consulter des documents susceptibles de prouver son innocence. Trois semaines après cette décision, les juges ont ordonné sa libération. En appel, ils ont maintenu son incarcération, en invitant toutefois le Procureur à solutionner le problème ; toutefois, son incapacité à véritablement y parvenir a occasionné de nouveaux retards. En novembre 2008, les juges ont estimé que le problème était réglé, que les droits de Lubanga à un procès équitable étaient respectés et que le procès pouvait commencer en janvier 2009.

Le respect des droits à un procès équitable au cours de la procédure d’instruction de l’affaire Lubanga atteste de la capacité admirable de la CPI à rectifier elle-même le tir.  Cela témoigne d’un équilibre parfaitement fonctionnel entre les différentes branches de la Cour : en l’espèce, les juges n’ont pas toléré l’utilisation inappropriée des preuves ou les faux-pas procéduraux du Procureur. En soi, cela pourrait modérer certains arguments alimentés par le sentiment de politisation de la Cour voire les préoccupations quant à l’absence d’obligation de rendre des comptes dont jouit le Procureur.

Si la CPI doit encore prouver qu’elle est digne de la confiance des gens, cette phase préliminaire nous a donné l’assurance que la CPI est une institution déterminée à faire preuve d’équité. C’est à ce titre que l’affaire Lubanga valait bien la peine d’attendre.

Reste à savoir si le procès restera fidèle aux principes respectés à son entame…  Nous suivrons cela de près.

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