Commentaire

26 Janvier 2009

Le long apprentissage de la justice et de la paix en RDC

Par Bukeni Tete Waruzi

Depuis 1996, date à laquelle la première guerre a éclaté à Uvira, dans la province du Sud-Kivu, à l’est de la RDC (ex-Zaïre), plus de 30.000 enfants soldats, garçons et filles, auraient été utilisés dans les conflits en RDC.

En Ituri, comme dans les Kivus, ils ont été enrôlés par des milices, des groupes rebelles et l’armée nationale, de gré ou de force. Ils sont enlevés de jour ou de nuit, à l’école, à l’église, au domicile, dans les exploitations agricoles ou au lac.

Ils n’ont que sept à quinze ans lorsqu’ils sont recrutés. Ils sont formés pour des tâches militaires, pour tuer et perpétrer des actes de violence ou des atrocités, même dans leur propre village. La marijuana est monnaie courante et sa consommation est parfois même obligatoire. Les enfants dorment la plupart du temps dehors, dans le froid, et n’ont pas de quoi se nourrir ou se vêtir en suffisance. Par ailleurs, ils ne sont pas non plus soignés quand ils tombent malades. Le contexte de vie de ces enfants – l’hostilité d’un camp militaire – les prive de l’affection parentale dont tout enfant a besoin. Leurs conditions de vie ont des retombées sur leur avenir et, dans bien des cas, ces enfants resteront marqués à vie. Ils ne sont pas les seules victimes; leurs familles et l’ensemble de la communauté sont eux aussi affectés. Et cela complique d’ailleurs grandement la réintégration de ces enfants.

Lubanga, présenté comme le commandant en chef de l’UPC (Union des Patriotes Congolais), un groupe armé basé en Ituri qu’il a mis sur pied en 2000, a été arrêté dans un premier temps par les autorités congolaises en 2005, consécutivement à une enquête sur l’assassinat de neuf casques bleus, pour être incarcéré à la prison de Makala à Kinshasa. Il a par la suite été arrêté en mars 2006, et transféré à la CPI à La Haye où, en vertu de l’article 8 du Statut de Rome, il a été inculpé de crimes de guerre comprenant la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans dans des combats. (La RDC a ratifié le Statut de Rome en 2002 et déféré le conflit congolais à la CPI pour enquête en mars 2004). Deux autres combattants de l’Ituri, dans l’est de la RDC, comparaissent devant la CPI : Germain Katanga, surnommé « Simba » (du Front de Résistance patriotique d’Ituri, FRPI) et Mathieu Ngudjolo Chui (du Front des Nationalistes Intégrationnistes, FNI).

Le procès de Lubanga est le premier de l’histoire de la Cour pénale internationale, une institution habilitée à poursuivre des individus pour des crimes de génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les communautés de la région de l’est de la RDC en proie à des conflits veulent que justice soit faite. Il appartient à la CPI de rendre justice aux victimes de la RDC, en particulier les ex-enfants soldats ainsi que d’autres enfants affectés par le conflit armé. Dans un pays où l’impunité est reine et où la plupart des responsables et belligérants sont intouchables, les Congolais de l’Est – surtout les Ituriens dont les enfants ont été enlevés et transformés en soldats par des factions armées – n’arrivent pas à croire à ce revirement.

Pour la communauté internationale, le procès de Lubanga, qui doit débuter le lundi 26 janvier 2009, marque un jalon important dans la protection des populations les plus vulnérables – essentiellement des enfants et des femmes. C’est une véritable victoire pour toutes les organisations de défense des droits de l’homme – locales et internationales – qui ont œuvré pour que la CPI respecte son mandat de protection des enfants contre les crimes en cas de conflits. Ce procès doit être perçu comme un soulagement pour les enfants qui ont souffert du conflit dont Lubanga était l’un des principaux protagonistes.

De l’avis du Procureur, les preuves réunies sont suffisantes pour prouver la culpabilité de Thomas Lubanga – toutefois, celui-ci est présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable. Sa défense est assurée par une équipe d’avocats. Quatre-vingt-treize victimes ont été sélectionnées dans cette affaire, elles aussi représentées par un avocat. Des mesures de protection ont été prévues pour 19 des 34 témoins de l’accusation (on ne sait pas encore combien de témoins se présenteront pour la défense ni combien bénéficieront de mesures de protection). Les juges ont assuré que toutes les conditions étaient réunies pour un procès équitable.

On pourra mesurer l’impact réel du procès de Lubanga s’il est mis fin au recrutement d’enfants sur le terrain. Même s’il peut être difficile d’établir la corrélation entre le procès de Lubanga et la diminution des enrôlements d’enfants soldats, nous gardons l’espoir que la CPI soutiendra les initiatives visant à garantir une protection réelle et efficace des enfants en RDC et que la paix sera bientôt rétablie dans la région.

Bukeni Waruzi est le coordinateur de programme pour l’Afrique et le Moyen-Orient chez WITNESS et le collaborateur de la Coalition pour la Cour pénale internationale sur les enfants soldats et la Cour pénale internationale. Il a travaillé pendant plus de 10 ans en RDC sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration des enfants soldats au Sud-Kivu, dans l’est de la RDC, et a réalisé des vidéos pour la promotion des droits des enfants soldats en RDC. Les points de vue exprimés dans cette section sont personnels et ne reflètent pas forcément les points de vue de WITNESS ou d’organisations partenaires du projet Lubangatrial.org.

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