- Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale - https://french.lubangatrial.org -

Un procès qui relève de la justice mondiale

Alors que le monde a les yeux rivés sur l’investiture du premier président noir des États-Unis, célébrant un jalon important dans la quête d’égalité raciale, des développements récents de l’autre côté de l’Atlantique témoignent de progrès significatifs dans le cadre d’une campagne mondiale connexe visant à mettre un terme à l’impunité pour les crimes de masse.

Dans les prochains jours, les juges de la Cour pénale internationale de La Haye décideront d’émettre ou non un mandat d’arrêt à l’encontre du président soudanais Omar al-Bashir pour le crime de génocide. Par ailleurs, le 26 janvier, la CPI entamera le premier procès de son histoire, celui de Thomas Lubanga Dyilo, un ancien seigneur de guerre congolais.

Aucun de ces événements n’est stupéfiant, mais l’un dans l’autre, le franchissement de ces deux étapes montre qu’un nouveau système de justice internationale prend le pas. Les responsables de gouvernement et les chefs rebelles du monde entier ont ainsi été prévenus que les comportements criminels ne recevraient plus carte blanche.

Même si la menace de condamnation de Bashir a déclenché des protestations à Khartoum, personne ne s’attend à ce qu’il comparaisse en justice de sitôt. Quant à Lubanga, il est l’un de nombreux Congolais qui ont engagé la vie de civils dans une guerre qui a coûté plus de cinq millions de vies au cours de la dernière décennie. Bien que graves, les charges à son encontre – le recrutement d’enfants soldats – ne prétendent pas couvrir la globalité des abus perpétrés.

Cinq ans après le début des opérations du premier tribunal pénal au monde, la CPI s’est fait une réputation. Elle a engagé quatre enquêtes, formulé des charges publiques à l’encontre de 12 personnes et a à ce jour incarcéré quatre d’entre eux.

Quoiqu’il en soit, la Cour s’est vue reprocher trois manquements présumés.

Certains ont d’abord allégué qu’en s’immisçant dans des conflits en cours, la CPI avait entravé les efforts de paix. Cela ne s’est toutefois pas vérifié sur le terrain. Dans le nord de l’Ouganda, les charges de la CPI à l’encontre des chefs de l’Armée de résistance du seigneur (LRA) ont permis de mettre fin à des années de combats acharnés et ont marginalisé le chef de la LRA, Joseph Kony.

Dans la même veine, dans la région soudanaise du Darfour, aucun véritable processus de paix n’a été engagé étant donné qu’il est encore fait état d’attaques contre les civils même après que le Conseil de sécurité de l’ONU ait remis l’affaire aux mains de la CPI en 2005. La demande de mandat d’arrêt du procureur de la CPI à l’encontre de Bashir – annoncée en juillet dernier – n’a pas encore donné lieu aux restrictions grandement redoutées concernant les organisations humanitaires. Elle pourrait au contraire avoir débouché sur l’arrestation d’un second couteau responsable de crimes au Darfour. En résumé, ce qu’il faut, c’est plus de loi, et non le contraire, pour endiguer la violence.

Deuxièmement, certains affirment que la CPI s’est laissée instrumentaliser par les responsables politiques nationaux. Le fait que les gouvernements nationaux aient soumis trois des quatre affaires en cours de la Cour – et que dans chacun de ces cas, seuls des rebelles armés ou des opposants de gouvernements aient été accusés à ce jour – n’a fait que renforcer ce sentiment.

Pour la CPI, le plus grand défi est sans doute de naviguer entre la loi et la politique. D’un côté, les initiatives de la Cour ont souvent des répercussions politiques : aussi fondée qu’elle soit, l’accusation du leader d’un groupe rebelle peut être perçue comme un parti pris dans le cadre d’un conflit. De l’autre côté, la Cour ne peut accuser – ou s’empêcher de le faire – un responsable politique ou militaire de haut vol pour des crimes graves uniquement afin d’éviter des répercussions politiques négatives. Qui plus est, lorsque la gravité et la portée des crimes diffèrent de façon significative, il ne serait pas opportun d’accuser toutes les parties prenantes à un conflit pour préserver un sentiment de parité.

De ces deux reproches, il en découle un troisième : le malaise engendré par l’intérêt sans borne pour l’Afrique. Pour certains, cela illustre une fois encore que les institutions occidentales appliquent à l’Afrique des principes qu’elles ne respectent pas elles-mêmes. La longue histoire de l’exploitation de l’Afrique exige de ne pas mettre de côté cette préoccupation.

Toutefois, l’Afrique est le berceau d’un grand nombre des pires conflits au monde. En outre, la CPI n’est pas un organisme étranger. Trente gouvernements africains ont ratifié les statuts de la CPI, et plusieurs juges parmi les 18 que compte la Cour proviennent d’Afrique, à l’instar de la majeure partie de son personnel. Toutefois, le tribunal ne doit pas hésiter à agir en dehors de l’Afrique lorsque des atrocités de masse exigent des réparations.

L’expérience d’autres tribunaux de crimes de guerre suggère qu’il faudra peut-être plusieurs années avant de surmonter les préjugés politiques. Ce n’est qu’en faisant preuve de professionnalisme dans son travail et d’une volonté de tenir les personnalités gouvernementales haut placées pour responsables le cas échéant que la CPI parviendra à réunir un soutien à la fois large et durable.

Au fil du temps, l’exemple de la CPI doit encourager des poursuites pénales nationales et régionales plus efficaces pour des crimes graves tels que des génocides, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. À l’heure actuelle, la meilleure façon pour la Cour de faire taire les sceptiques est de s’expliquer plus régulièrement et de manière plus transparente – sur ses décisions, son mandat ou les contraintes auxquelles elle est soumise – face à un public auquel elle devra répondre au bout du compte.

Droits d’auteur : Project Syndicate, 2009