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Entretien avec le greffier de la Cour pénale internationale Herman von Hebel : 2ème partie

Herman von Hebel [1] est le greffier nouvellement élu de la Cour pénale internationale (CPI). Il s’est entretenu avec Open Society Justice Initiative en juin 2013 et a répondu a des questions sur son expérience auprès d’autres tribunaux internationaux, le rôle du Greffe dans la communication et sur les priorités à adopter.

TS : Vous avez précédemment mentionné le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL). Pouvez-vous comparer votre poste actuel aux postes précédents de greffier au TSSL et au Tribunal spécial pour le Liban ?

HvH : C’est intéressant car c’est la troisième fois que j’ai le privilège d’être greffier pour des institutions de ce type. Ce qui est surprenant, c’est qu’à chaque fois le travail s’est avéré être totalement différent. Bien que le titre soit le même et les institutions similaires, il s’agit en réalité de missions totalement différentes.

Au Tribunal spécial [pour la Sierra Leone], la force de l’organisation provenait du fait qu’elle était située dans le pays où les crimes avaient été commis. Il existait l’opportunité d’une forte sensibilisation, ce qui a eu un grand impact sur la manière dont la Cour a opéré. Cela a été une expérience fantastique et j’ai beaucoup appris. Le Tribunal pour le Liban [basé à La Haye] est situé loin du pays et les crimes sont complètement différents de ceux traités par le Tribunal spécial ou par la CPI. Le Liban est un pays ayant une situation politique complexe qui constitue un immense défi pour le tribunal par rapport à ses stratégies de presse, sa communication avec le public et ses activités d’information.

Á la CPI, notre point de vue se rapproche de celui du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Nous ne sommes pas dans le pays mais nous avons eu des discussions pour savoir si nous pouvions avoir des audiences in situ. Je pense que, dans le principe, il s’agit de réflexions très positives mais, bien sûr, c’est aux juges de prendre la décision finale. C’est ce que j’ai constaté en Sierra Leone et cela peut être une manière très efficace de rendre une justice plus proche des gens. Á la CPI, le défi le plus important est que vous travaillez en même temps sur des situations très différentes. Vous travaillez dans des pays qui ont des niveaux de paix différents ou bien où la paix est absente. Vous gérez souvent des situations dans lesquelles les conflits en cours entraînent de fortes contraintes et des défis énormes pour nos opérations. C’est pourquoi nous nous devons d’avoir différentes approches dans notre travail.

Un autre aspect singulier est que la CPI comporte une ASP [Assemblée des États parties] de 122 parties. Il y a beaucoup plus d’interactions entre l’ASP et la Cour que dans les autres cours et tribunaux. C’est une partie du travail qui est très intéressante mais qui s’avère chronophage. La Coalition pour la Cour pénale internationale (CCPI), composée d’ONG et d’entités de la société civile, nous manifeste également beaucoup d’intérêt, ce qui est réconfortant puisque ces organisations apportent leur soutien à la Cour. Cela exige aussi beaucoup de travail en termes de communication. C’est fascinant et stimulant mais également gratifiant lorsque la communication fonctionne bien avec l’ASP et avec la CCPI car vous avez beaucoup de retour de leur part également.

TS : Comment le Greffe garantit-il à ceux qui ont été touchés par un conflit dans les pays des situations une connaissance du travail de la CPI et des activités judiciaires en cours.

HvH : Le problème est que, même dans la situation du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, des observations ont été faites sur la nécessité de plus d’informations et de communication. Á la CPI, nous ne sommes pas en mesure de parvenir au niveau d’informations et de communication que le Tribunal spécial a mis en place. Je pense qu’en réalité, ce que vous pourriez qualifier de très frustrant, vous ne diffuserez jamais assez d’informations. Il y a évidemment des contraintes car lorsque vous traitez huit situations différentes, vous n’avez simplement pas assez de ressources pour ce vous pourriez faire. Je travaille étroitement avec des départements directement responsables de la manière dont nous pouvons obtenir le maximum de diffusion d’informations avec nos ressources.

Un autre domaine dans lequel nous devons nous investir fortement est l’amélioration de notre site Web. Nous sommes actuellement en train d’obtenir de l’aide sur la manière de le modifier. Un site Web est un outil puissant et, franchement, je ne pense pas que notre site Web a l’impact qu’il devrait avoir ou qu’il pourrait avoir. L’année prochaine, nous allons mettre l’accent sur la modification de notre site Web pour que le grand public, les journalistes, les diplomates, les avocats mais également les communautés et les ONG concernées soient en mesure de suivre les développements de la Cour. Actuellement, il est loin d’être optimal.

Sur le terrain, nous avons informé et touché des personnes par la presse dans les pays des situations mais leur nombre a été limité. Par conséquent, les communications efficaces que vous pouvez autoriser sont également limitées. Vous n’en faîtes jamais assez car il existe des contraintes en matière financière et de ressources humaines. C’est très important pour nous [le Greffe] de travailler étroitement avec d’autres organisations qui sont présentes sur le terrain, des journalistes qui communiquent activement avec nous et des ONG locales qui sont intéressées par notre travail. Nous devons poursuivre cette mission quotidiennement. C’est absolument essentiel. C’est une chose que nos tâches se déroulent correctement mais c’en est une autre d’être objectifs et de communiquer de manière factuelle ainsi que d’avoir un dialogue avec le public au sujet de ce que nous entreprenons.

TS : Souhaiteriez-vous voir un modèle tel que celui du Tribunal spécial pour la Sierra Leone en termes de communication dans lequel vous avez les parties de tous bords qui participent et répondent aux questions du public sur le travail de la Cour ?

HvH : Idéalement, cela serait fantastique à faire mais en restant réaliste, je ne pense pas que cela soit possible. Le simple fait que le Tribunal spécial était basé en Sierra Leone permettait bien plus d’opportunités pour communiquer. La Cour est basée à La Haye et nous traitons des situations très éloignées d’ici. Aussi les possibilités de réellement communiquer, d’entrer régulièrement en dialogue sont limitées. Je pense qu’il n’est simplement pas possible de le faire au même niveau que le Tribunal spécial.

Mais avec des ressources limitées, étant donné que les situations factuelles sont éloignées de la Cour, nous devrons chercher à faire le maximum avec ce que nous avons, dialoguer avec les partenaires et les communautés touchées ainsi que renforcer la coopération au sein du Greffe, par exemple entre les unités chargées de la participation et de la réparation des victimes et celles de la communication. Il y a eu récemment une décision prononcée par les juges d’une des chambres préliminaires, qui aborde les relations entre la communication et la participation des victimes. Informer les communautés touchées et la participation des victimes sont des questions fortement liées.

TS : Pouvez-vous nous parler de la manière dont le Greffe s’engage auprès de la société civile dans les pays et établit ces contacts et réseaux ?

HvH : Je ne peux pas beaucoup en parler car je suis ici que depuis moins de deux mois. Je ne me suis pas encore rendu sur le terrain mais je vais bientôt à Kinshasa afin de rencontrer les autorités, la communauté diplomatique et pour voir sur place des éléments du programme de communication. Je peux toutefois partager mon expérience provenant des autres tribunaux. Je sais qu’il y a eu des contacts dans le passé entre la CPI et les experts du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, par conséquent, il y a beaucoup de choses qui sont déjà amorcées. Maintenant que je suis là, je ne vais pas déclarer que tout va commencer de zéro. Je prends les affaires en cours et j’ai besoin d’un peu plus de temps pour visualiser comment développer ces domaines. Il s’agit d’une de mes priorités et des grands projets que j’espère être en mesure de renforcer à l’avenir.

TS : Comment le Greffe soutient-il par une complémentarité positive et l’élaboration d’une capacité interne l’enquête et la poursuite des crimes internationaux ?

HvH : La complémentarité positive est adoptée par le bureau du procureur. C’est au procureur de déterminer, en prenant en compte, au début d’une enquête, si les autorités nationales souhaitent ou non et sont capables d’entreprendre des activités elles-mêmes. Ce n’est pas un domaine dans lequel nous, en tant que greffier, avons un rôle de premier plan.

Parallèlement, le Greffe peut assister l’Accusation. Mon expérience avec le Tribunal spécial est que j’ai eu souvent de petits projets dans lesquels les personnes travaillant dans le système judiciaire national venaient au Tribunal spécial afin de participer à des formations qui étaient dispensés par la Cour (TSSL) pour leur propre personnel, aussi pourquoi ne pourrions-nous prendre également des personnes provenant du système judiciaire national ? Mais il s’agissait de petits projets. Á un niveau plus stratégique, nous pouvons instaurer un partenariat avec d’autres organisations, bien que cela ne soit pas notre mandat principal de travailler sur le développement et le renforcement des systèmes juridiques nationaux. Nous travaillons, évidemment, avec des personnes issues du système de l’Union européenne et du système des Nations Unies avec des agences qui mettent l’accent sur cette [complémentarité] au quotidien. Nous pouvons apporter notre expertise. Nous pouvons échanger de l’information. J’en suis encore au stade d’observer la manière dont cela fonctionne exactement mais je me rendrais bientôt à New York pour m’entretenir avec les agences sur place qui seraient intéressées.

Je souhaite renforcer le travail de nos bureaux sur le terrain afin qu’il soit plus réalisable pour la communauté diplomatique, les agences des Nations Unies sur le terrain et les autorités locales afin de garantir que le visage de la Cour soit reconnu dans la mesure du possible. Mais également pour que nous puissions être identifiés en tant que partenaires et en tant qu’organisation ressource pour d’autres entités dans le but d’effectuer des activités qui puissent contribuer au renforcement des systèmes juridiques nationaux. Je précise à nouveau qu’il ne s’agit pas de notre mandat principal mais que nous pouvons certainement jouer un rôle spécifique dans ce domaine.

TS : Vous avez déjà souligné l’engagement auprès de la société civile dans les pays des situations mais avez-vous d’autres projets qui vous passionnent et que vous souhaitez développer au sein de la CPI ?

HvH : Tout d’abord, de mon point de vue et à la lumière de mon expérience dans d’autres tribunaux, les ONG sont pour moi d’excellents partenaires pour notre mission. L’ASP est également un partenaire important. Je souhaite mettre l’accent sur l’engagement avec les États parties pour renforcer les formes de coopération volontaire. Selon le Statut de Rome, vous avez la nécessité et l’obligation de coopérer avec la Cour, particulièrement avec les pays où le BdP [Bureau du Procureur] enquête sur des affaires. De plus, nous rencontrons des problèmes, tels que la réinstallation des témoins et les accords d’application des peines, etc. C’est certainement un domaine sur lequel j’aimerais me concentrer. Je pense que nous avons un grand nombre de témoins qui sont déjà sous notre protection et afin d’être en mesure de gérer la charge future de travail, je crois que nous avons besoin de renforcer et de nous appuyer sur la coopération avec les états, non seulement les états qui nous ont déjà apporté beaucoup de soutien mais également les autres états.

Il s’agit de partager les charges et d’appartenir à la communauté de la CPI. Une partie de la mission est une assistance à la Cour, un soutien à la Cour et de rendre notre travail possible en termes de réinstallation des témoins, souvent temporairement, parfois de manière plus permanente. Il y a également l’application des peines et le financement de la réinstallation des témoins. Le type d’activité où les accords sur les privilèges et les immunités sont nécessaires pour le personnel [de la CPI] travaillant dans différents pays peut donner lieu à des améliorations. Je souhaite avoir une approche plus structurelle pour les renforcer et pour augmenter le nombre d’accords que nous concluons. J’espère que les états parties prêteront une oreille complaisante pour signer ces accords. C’est certainement un projet sur lequel je vais me concentrer dans les années à venir.