Rapports du proces

21 Juin 2012

Réquisitoire de la Défense à l’audience de détermination de la peine de M. Lubanga

Par Wairagala Wakabi

NOTE DU RÉDACTEUR : Á l’audience de détermination de la peine de Thomas Lubanga qui a eu lieu de 13 juin 2012, la Défense a réaffirmé l’innocence de la première personne condamnée par la Cour pénale internationale (CPI) et a invité les juges à prononcer une peine plus clémente. Vous trouverez ci-dessous une transcription officielle effectuée par la CPI des déclarations de la Défense qui ont été prononcées par trois avocats de la défense – Marc Desalliers, Catherine Mabille, et Jean‐Marie Biju‐Duval.

Allocution de Marc Desalliers

Madame, Messieurs les juges, avant dʹaborder le fond de lʹaffaire — ce que mes collègues feront après moi —, jʹaimerais dire un mot sur la façon dont la procédure sʹest déroulée, la façon dont les procédures intentées contre M. Lubanga se sont déroulées. Plus particulièrement, la Défense souhaiterait inviter la Chambre à tenir compte — dans sa détermination de la peine, de ce quʹelle considérera être une peine appropriée — des graves atteintes aux droits fondamentaux de M. Lubanga. Ces atteintes résultent, principalement, de manquements importants du Bureau du Procureur à lʹégard de plusieurs de ses obligations statutaires.

Dʹabord, un mot sur les délais encourus dans la présente affaire. Au moment du prononcé du jugement, le 14 mars dernier, M. Lubanga était en détention sous lʹautorité de la Cour depuis six ans. Or, au cours de cette période, la Chambre a eu lʹoccasion de souligner, à plus dʹune reprise, que les mesures de protection relatives aux témoins de lʹAccusation avaient été engagées avec un retard considérable et injustifié, retardant ainsi lʹouverture du procès.

Elle a rappelé, dans une décision relative à lʹinterview de Mme Le Fraper du Hellen, que le défaut du Procureur de divulguer une quantité importante de documents potentiellement à décharge, en raison dʹententes de confidentialité, avait occasionné un retard inexcusable dans la présente affaire. Ce défaut de divulgation avait mené au premier arrêt des procédures, le 13 juin 2008. procédures avaient alors été suspendues pendant environ quatre mois.

La Chambre a également souligné que le refus délibéré du Procureur de donner suite à une ordonnance de divulguer lʹidentité dʹun intermédiaire a provoqué le second arrêt des procédures, occasionnant ainsi un retard supplémentaire dʹenviron quatre mois à la procédure.

Une telle situation est, à notre connaissance, sans précédent dans les annales de la justice pénale internationale ; une Chambre contrainte de suspendre les procédures à deux reprises, en raison des défauts du Bureau du Procureur, ordonnant par la même occasion, à deux reprises, la remise en liberté de lʹaccusé.  La Chambre a également souligné, dans son jugement, quʹen raison des défauts dʹenquête du Bureau du Procureur, elle a dû consacrer un temps considérable à lʹexamen de la preuve relative à des individus dont le témoignage était, au moins en partie, inexact ou malhonnête.

Or, lʹaccusé dispose dʹun droit fondamental dʹêtre jugé sans retard excessif.  Un individu, accusé dʹavoir commis des crimes graves, ne doit pas être inutilement placé dans une situation dʹincertitude prolongée, plus particulièrement encore lorsquʹil est détenu pendant la procédure. Face au constat dressé plus haut, il est clair que M. Lubanga a subi un préjudice du fait que la procédure a largement… largement — pardon — dépassé ce qui pouvait être considéré comme un délai raisonnable.

Les deux suspensions de procédure dont jʹai fait mention nʹont fait quʹaggraver ce préjudice subi par M. Lubanga.  Le fait que la Chambre ait sanctionné, par ces suspensions, les défauts du Procureur, était évidemment fondé sur la nécessité de préserver lʹéquité de la procédure, mais au final, ces défauts ont fait en sorte que M. Lubanga a passé un total dʹenviron huit mois en détention, sans même savoir si les procédures qui avaient été intentées à son endroit allaient se poursuivre ou non.

Les retards sur la procédure ne sont pas les seules conséquences des défauts du Bureau du Procureur. La divulgation aussi tardive de certains éléments de preuve ont eu pour effet de priver la Défense de certaines pistes dʹenquête pour la présentation de sa défense ou, lors de la… comparution — pardon — de certains témoins de lʹAccusation. Le défaut de vérification de la preuve. Le défaut de vérification par le Procureur de sa propre preuve a contribué à véhiculer une image fausse des événements et, plus particulièrement, de M. Thomas Lubanga lui‐même.

Tel que la Chambre lʹa souligné dans son jugement, les neuf individus présentés comme dʹanciens enfants soldats ont été identifiés tôt dans la procédure, et le Procureur a constamment eu recours à leur histoire pour démontrer la manière dont les enfants auraient été enrôlés, conscrits ou utilisés dans les FPLC. Leur histoire, qui est lʹélément central de la présente affaire, fut largement diffusée dans les médias pendant toutes les années où la procédure a eu lieu. Même si la Chambre, dans son jugement du 14 mars dernier, a exclu de la preuve la totalité des témoignages rendus par ces prétendus enfants soldats, leurs récits mensongers laissent inévitablement des traces dans la perception du public sur la façon dont les événements se seraient déroulés en Ituri.

Dans sa décision relative à une interview donnée par une représentante du Bureau du Procureur, Mme Le Fraper du Hellen, la Chambre avait sévèrement critiqué les propos tenus par cette dernière au sujet de lʹaffaire. La Chambre a déploré que cette représentante « avait » déformé des témoignages et dressé un portrait inexact de la procédure.  La Chambre avait profité de cette occasion pour rappeler lʹimportance, pour lʹintervenant… les intervenants dans la présente affaire, de faire preuve dʹexactitude et de retenue dans leur description de la preuve et des procédures.  Pourtant, dès le lendemain du jugement du 14 mars dernier, une conférence de presse était tenue par le Bureau du Procureur. Or, au cours de cette conférence de presse, le Procureur a rendu un hommage spécial à tous les enfants soldats qui ont surmonté leurs souffrances pour venir témoigner de leur expérience douloureuse dans la présente affaire, mais sans préciser que lʹintégralité de ces témoignages avait été exclue par la Chambre.

Et je ne peux mʹempêcher de mentionner certains éléments qui vous sont mentionnés par le Procureur aujourdʹhui. Aujourdʹhui, on vous demande de tenir compte de plusieurs facteurs aggravants, notamment du fait que lʹon instruisait les soldats de tuer hommes, femmes et enfants, peu importe leur ethnie. Où peut‐on retrouver pareille allégation dans la preuve ? On soutient, aujourdʹhui, que les crimes pour lesquels M. Lubanga fut condamné constituent un déni de… pour les enfants de lʹIturi de leur droit à lʹéducation.  On soutient, aujourdʹhui, devant cette Chambre, que des enfants de lʹIturi ont cessé dʹaller à lʹécole de crainte dʹêtre enrôlés par M. Lubanga. Cʹest une affirmation, pour le moins surprenante, dʹautant plus, Madame, Messieurs les juges, que la démonstration qui fut apportée par la Défense pour démontrer que les histoires de ces prétendus enfants soldats étaient mensongers est basée essentiellement sur des documents scolaires démontrant quʹils étaient toujours aux études.

Que dire, par ailleurs, de lʹaffirmation du Procureur à lʹeffet que toutes les filles étaient violées ? À quel endroit retrouve‐on pareille preuve ?  Mais dans de telles… dans de telles conditions, Madame, Messieurs les juges, comment le public peut‐il comprendre que les histoires horribles qui sont… qui…qui ont été racontées par les enfants soldats devant cette Chambre nʹont pas été retenues par vous ?

Jʹaimerais dire un… un mot, également, sur le caractère public des présentes procédures. Cʹest un secret pour personne, une grande partie des procédures se sont déroulées à huis clos, plusieurs témoins ayant demandé la mise en place de mesures de protection pour leurs témoignages. La Défense ne soutient pas, aujourdʹhui, que toutes ces demandes étaient farfelues ou non fondées. Bien sûr que non. Mais les enfants soldats ou les individus qui ont été présentés comme des enfants soldats, qui se sont présentés devant vous et qui ont soutenu que leur vie serait en danger sʹils devaient témoigner publiquement en raison de leur passé, évidemment, lorsque la Chambre est placée face à de telles affirmations, elle nʹa dʹautres choix de… de… de mettre en place des mesures de protection. Elle a le devoir dʹassurer la protection des témoins.

Mais une fois que lʹexamen de lʹensemble de la preuve est suffisant pour démontrer que ces témoins sont, à tout le moins, non sincères ou ont participé à une opération frauduleuse, il ne reste quʹà en déduire que les motifs qui ont été donnés pour ces mesures de protection sont faux et quʹune partie extrêmement importante de ces procédures « ont » été tenues à huis clos sur des motifs qui nʹétaient pas fondés.

Je conclus en mentionnant que les tribunaux pénaux internationaux ont eu lʹoccasion dʹétablir quʹun accusé dont les droits fondamentaux ont été… auraient été violés a droit à une réparation et qu’en cas de condamnation, cette réparation prend la forme dʹune réduction de la peine. Cette réparation doit être effective, elle ne doit pas être simplement un… un symbole ou… elle doit avoir un effet réel et concret.  La Défense demande donc à la Chambre de prendre en compte les atteintes aux droits fondamentaux de M. Lubanga dans lʹétablissement de la peine quʹelle estimera appropriée en lʹespèce.

Merci.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation) : Avant que vous ne vous vous rassoyez, Maître Desalliers — et je vous remercie dʹabord pour vos observations —, la Chambre nʹaccepte pas un élément parmi les éléments que vous avez présentés.  Peut‐être est‐ce une erreur de traduction.  Dans la version anglaise — je ne vous demande pas de vérifier maintenant, je vais simplement le signaler… de vous dire ce qui a été dit à la page 55, ligne 12 de la transcription anglaise —, vous avez fait valoir que le retard dans la divulgation par lʹAccusation avait privé la Défense de lʹoccasion dʹenquêter sur des questions se rapportant à cette affaire.

Cette observation, sʹil fallait la répéter dans le cadre dʹune autre procédure, il faudra peut‐être enquêter minutieusement sur toutes les requêtes qui ont été présentées par la Défense, pour pouvoir bien préparer sa thèse à cause des retards causés par… dans la divulgation dʹéléments par lʹAccusation.   Et à moins que la mémoire me fasse défaut, je ne pense pas quʹune de vos requêtes aient été rejetées par la Chambre. Bien au contraire, la Chambre avait pris des mesures pour faire en sorte que toutes les requêtes raisonnables que vous avez présentées pour obtenir suffisamment de temps pour faire des enquêtes ont été acceptées par la Chambre.  Je voudrais préciser que cette présentation, ce point, en particulier, nʹest pas accepté par la Chambre

Me DESALLIERS : Monsieur le Président, la Défense est tout à fait prête à… à… à aller dans le même sens que vous.  Les… La Défense a fait… a effectué des demandes de prolongation pour lui permettre dʹeffectuer certaines enquêtes, et… et ces demandes ont été accordées par la Chambre.  La Chambre a assisté la Défense pour la… la conduite de ses enquêtes, la Défense en est tout à fait consciente et le reconnaît. Ce nʹétait pas une… un reproche, évidemment, adressé à la Chambre, mais, Monsieur le Président, il… il vient, un certain moment, puisque jʹai commencé mes représentations, en parlant des délais accumulés dans la présente affaire.  On pourrait peut‐être dire à la Défense : « Écoutez, vous avez fait des choix, vous avez fait le choix de ne pas faire de demande de prolongation, mais à un certain moment, il faut que les procédures cessent. ».

Et si la Défense obtient des informations sur des liens entre un témoin, qui est venu témoigner en 2009, des informations sur ses liens avec un intermédiaire quʹelle reçoit en 2012, et que cela implique non seulement de retourner en enquête pour faire des… des… des investigations supplémentaires, de refaire venir les témoins venus en 2009, on… on se lance dans un cycle interminable.  Et cʹest essentiellement le sens, Monsieur le Président, de… de… de mon intervention. Mais ce nʹétait certainement pas pour critiquer lʹabsence dʹaide de la Chambre dans les enquêtes qui ont été menées par la Défense.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation) : Merci pour cette explication. Je voulais simplement mʹassurer quʹil nʹy avait pas de malentendu, Maître Desalliers.

Allocution de Catherine Mabille

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, votre Chambre a déclaré M. Lubanga coupable des faits dʹenrôlement, de conscription et dʹutilisation dʹenfants soldats ayant participé aux hostilités par un jugement qui a été rendu le 14 mars 2012. Vous allez être, donc, amenés à prononcer une peine, en tenant compte de considérations, telles que la gravité du crime, la situation personnelle du condamné. Et c’est sur la gravité du crime, lʹampleur du crime, que je souhaiterais intervenir aujourdʹhui. La Défense nʹa jamais contesté que les crimes reprochés à M. Lubanga revêtent, intrinsèquement, une gravité certaine.

La Chambre, cependant, au moment de prononcer sa sentence, va devoir tenir compte de lʹampleur du crime pour prononcer une peine. Or, la question qui se pose aujourdʹhui, très sérieusement, est la question, pour nous, suivante : que savons‐nous du nombre dʹenfants de moins de 15 ans ayant été enrôlés dans les FPLC ? Que savons‐nous, à ce stade du procès, du nombre dʹenfants enrôlés de force ? Que savons‐nous du nombre dʹenfants ayant participé aux hostilités ?  Je dirais, à tout le moins, que nous avons une seule certitude, qui est une très grande incertitude : en effet, sur quels éléments de preuve la Chambre peut‐elle sʹappuyer aujourdʹhui pour évaluer lʹampleur du crime ?

Ce nʹest pas le moindre des paradoxes de ce dossier que… alors que nous sommes au cœur dʹun crime qui est lʹenrôlement, la conscription, la participation aux hostilités dʹenfants soldats, que tous les enfants soldats qui sont venus témoigner dans ce dossier ont été et exclus de la preuve. Alors, la Chambre, dans son jugement, a été amenée à établir que les crimes de conscription et dʹenrôlement sont commis, dès lors quʹun enfant de moins de 15 ans est incorporé dans une force ou dans un groupe armé ou quʹil rejoint les rangs, avec ou sans contrainte. La Chambre a précisé que lʹinfraction cesse lorsque lʹenfant atteint lʹâge de 15 ans ou quitte la force ou le groupe armé.

Mais ces critères établis par la Chambre nous auraient permis, si nous avions des éléments, dʹapprécier le degré de gravité des crimes. Or, là encore, nous nʹavons aucun élément de preuve permettant de connaître précisément le parcours dʹun jeune, à quelle date aurait‐il enrôlé, à quelle date aurait‐il… forcé de rejoindre un groupe armé. Aurait‐il quitté le groupe armé au bout de deux mois ? Nous nʹavons, sur ces éléments‐là, aucun élément sérieux.

Votre Chambre a utilisé — puisqu’elle a exclu lʹintégralité des enfants soldats qui sʹétaient présentés comme enfants soldats de la preuve —… a utilisé dʹautres éléments de preuve, principalement des vidéos, des dépositions de témoins du Procureur — dont les témoignages reposaient principalement sur leur appréciation visuelle — et de la documentation. Or, je voudrais attirer lʹattention de la Chambre sur le degré dʹincertitude de ces éléments. La Défense dit quʹil apparaît clairement que, souvent, les apparences peuvent être trompeuses. Et nous souhaiterions dire que nous soutenons que lʹappréciation de lʹâge, à travers des vidéos pour arriver à une conclusion sur lʹâge, est particulièrement délicate. C’est pour cette raison, et la Chambre lʹa compris, que nous avons fait venir un témoin pour établir que lʹapparence physique peut être trompeuse.

Et donc, lorsque nous sommes amenés à analyser les éléments vidéo — mais je vais aller plus loin dans mon raisonnement, dʹautres éléments —, cette apparence physique peut être souci… un véritable souci, et il nous semble important dʹattirer lʹattention de la Chambre sur la marge dʹerreur quʹelle peut… qui « peuvent » être considérables. Ce que jʹappellerais cette « illusion dʹoptique », cette apparence trompeuse peut dʹailleurs sʹexpliquer par plusieurs éléments. Elle peut sʹexpliquer par des particularités physiques liées à différentes appartenances  communautaires. Elle peut aussi, très souvent, sʹexpliquer par le fait que ces jeunes ont pu souffrir de carences alimentaires à une période cruciale pour leur développement, ce qui a… peut… peut avoir une influence certaine sur leur apparence physique et peut les faire apparaître sensiblement moins âgés quʹen réalité.

Il nous semble que nous pouvons dire à la Chambre quʹelle ne peut conclure, en regardant les images vidéo, au nombre de jeunes ayant moins de 15 ans ayant été recrutés car, pour nous, les marges dʹerreur peuvent être considérables.  Et jʹajouterais à cet argument que les marges dʹerreur, elles pouvaient être aussi extrêmement importantes pour les témoins eux‐mêmes, qui sont venus attester devant votre Chambre de la présence de jeunes de moins de 15 ans dans les groupes armés. Ils ont pu de la… tout… de la même manière, et même en étant de totale bonne foi, penser que ces jeunes étaient moins âgés que ce quʹils étaient réellement.

Nous voulons donc dire à la Chambre : incertitude du nombre de jeunes de moins de 15 ans recrutés dans les FPLC. Et pour nous, la même incertitude existe en ce qui concerne le nombre dʹenfants de moins de 15 ans ayant participé aux hostilités. Je ne vais pas refaire ma démonstration, je dis : nous nʹavons eu aucun élément clair et précis, et les seuls qui sont venus, ici, devant cette Chambre, parler de leur participation aux hostilités, ont été exclus de la preuve.

Et je dirais la même chose pour le troisième crime : incertitude encore plus grande en ce qui concerne le nombre dʹenfants de moins de 15 ans supposés avoir été victimes de conscription, puisquʹil convient de rappeler, là encore, que tous les témoins sʹétant prétendus victimes dʹenlèvement ont été écartés par la Chambre. Je voudrais également attirer lʹattention de la Chambre sur un autre élément, qui a pu rentrer en ligne de compte sur, en tous les cas, essayer dʹétablir lʹampleur du crime. C’est un phénomène dont nous avons entendu parler devant cette Chambre, qui est un phénomène de fraude dans les cadres des opérations de démobilisation.

Le témoin 0023, notamment, est venu témoigner, non pas que cʹétaient des fraudeurs, comme lʹa dit un des représentants légaux, mais que la misère engendrée par la guerre a poussé de nombreux civils à se faire passer pour dʹex‐militaires auprès de la Conader, afin dʹen tirer des avantages financiers.

De la même manière, le témoin 0031, a reconnu que certains enfants, qui se rendaient dans les centres de démobilisation, déclaraient un âge inférieur à leur âge réel, afin de pouvoir bénéficier de certains avantages attribués aux enfants dʹâge inférieur, et que certains enfants, dʹailleurs, cherchaient à se faire inscrire dans plus dʹun centre de démobilisation, parfois sous un nom différent. C’est dans le cadre de cette Ituri dévastée que les enfants se déclaraient comme enfants soldats auprès des centres de transit et dʹorientation, pour espérer bénéficier dʹune prise en charge.

La seule conclusion quʹen tire la Défense, c’est que ce processus a pu générer des statistiques peu fiables sur le nombre réel dʹenfants soldats. Sur ce point, je voudrais conclure en disant : la… votre Chambre a conclu que lʹUPC‐FPLC avait mené, à grande échelle, une campagne visant à recruter des jeunes, dont des enfants de moins de 15 ans, volontairement ou par la contrainte. Au moment de rendre votre décision sur la sentence, la question est de savoir quelle est la proportion dʹenfants de moins de 15 ans et cette question reste posée. Il me paraît raisonnable de conclure que les éléments de preuve présentés au procès ne permettent dʹavoir aucune certitude sur cette ampleur.

Je voudrais maintenant — et rapidement — évoquer une seule des circonstances aggravantes, évoquées dans le… dans les écritures du Bureau du Procureur. Et je renvoie la Chambre à mes autres observations… à nos observations écrites sur le reste des circonstances aggravantes…je vous indiquais que je renvoyais à nos écritures sur un certain nombre de ces circonstances aggravantes, mais je voulais donner quelques explications sur la circonstance aggravante liée aux violences sexuelles.

Tout dʹabord, je souhaiterais quand même dire que je suis un peu étonnée, stupéfaite, alarmée, que le Procureur, tout à lʹheure, est venu dire des choses qui, en tous les cas, à la lecture du dossier tel que jʹai pu le lire, nʹétaient établies par aucun élément de preuve — et je ne cite que ce qui est lié, là, à… aux éléments sur les violences sexuelles.

Je lis la phrase du Bureau du Procureur : « Toutes les filles recrutées étaient violées. » Je sais bien quʹon aime le sensationnalisme, quʹon aime aggraver, encore, une situation qui est relativement grave, mais ça me parait vraiment, et jʹemploierai le terme « scandaleux », que devant un certain public, on vienne dire « Toutes les filles recrutées étaient violées », alors que dans le dossier que nous avons tous entendu, aujourdʹhui, comment est‐ce que cette phrase peut être prouvée ?   Je ne cite que cet exemple‐là, mais je trouve que c’est absolument anormal de, encore une fois, donner des éléments qui nʹont… qui nʹont pas été établis dans le… dans le dossier. Je le dis quand même : le Procureur devrait avoir une certaine éthique qui lui permet de coller à la preuve. Le Procureur entend retenir comme circonstances aggravantes les allégations de certains témoins selon lesquels des membres des FPLC auraient commis des violences sexuelles sur certaine recrues.   Je voudrais rappeler à la Chambre que le Procureur nʹa jamais poursuivi Thomas Lubanga pour des charges relatives à des violences sexuelles qui sont un crime spécifique prévu par le Statut. Quʹil nʹa jamais sollicité lʹajout de charges nouvelles, et quʹil sʹy est même opposé, en indiquant, à lʹépoque, quʹil serait inéquitable, pour lʹaccusé, dʹêtre poursuivi sur cette base.

Aussi bien le document de notification des charges d’août 2006 que la décision de confirmation des charges ne comportent aucune allégation concernant la commission dʹagressions sexuelles. Il serait donc totalement inéquitable aujourdʹhui, sous couvert de circonstances aggravantes, dʹintroduire de nouvelles charges qui nʹont pu, bien évidemment, être… être sérieusement « challengées » par la Défense ; la Défense, et la Chambre le sait, nʹa fait aucun travail dʹenquête, nʹa pas contre‐interrogé les témoins sur ces charges, nʹa pas fait venir de témoins, puisque ces charges nʹétaient pas… nʹétaient pas dans le dossier de M. Thomas Lubanga.

Et surtout, fondamentalement, je dirais que même si des faits dʹagressions sexuelles étaient avérés, rien ne permet dʹen imputer la responsabilité à lʹaccusé, or le Bureau du Procureur a décidé de poursuivre Thomas Lubanga sur la base de lʹarticle 25‐3‐a — sa responsabilité en qualité de coauteur.  Aucun élément de preuve ne montre que l’accusé en aurait ordonné, encouragé la commission, ou quʹil en aurait eu personnellement connaissance. Et il va de soi, que ces crimes sexuels ne peuvent, en aucun cas, être regardés comme des conséquences inéluctables survenues dans le cours normal des événements dʹopérations dʹenrôlement ou de conscription, retenus contre lʹaccusé. Ce nʹest pas parce quʹil y a un enrôlement ou une conscription quʹil y a, ipso facto, et dans le cours normal des événements, des viols. Ça ne peut pas être soutenu.  Le Procureur ne peut donc pas demander, aujourdʹhui, à la Chambre de tenir compte dʹallégations relatives à des crimes pour « lequel » M. Lubanga nʹa ni été poursuivi ni condamné. La Chambre ne pourra donc pas retenir cette circonstance aggravante à lʹencontre de M. Lubanga.

Jʹen ai terminé, Monsieur le Président.

Allocution de Jean-Marie Maître BijuDuval

Monsieur le Président, Madame, Monsieur les juges, Catherine Mabille vient de souligner les grandes incertitudes qui doivent inciter à la plus grande prudence. Je vais, maintenant, souligner quelques certitudes que, selon nous, la Chambre devra prendre en considération pour parvenir à fixer une peine juste et équitable. Tout dʹabord, la règle 145 invite les juges à prendre en considération les circonstances qui se rapprochent des faits exonératoires prévus à lʹarticle 31 du Statut. Et nous considérons, à ce sujet, que les responsabilités de Thomas Lubanga à la tête de lʹUPC ne peuvent être équitablement sanctionnées que si on les examine à la lumière des massacres qui menaçaient les populations de lʹIturi, et en particulier la communauté hema durant la période des charges.

Thomas Lubanga prend la tête de lʹUPC et des FPLC à un moment où certaines communautés de lʹIturi — et singulièrement la communauté hema — sont tout simplement menacées extermination. Et il ne fait aucun doute que la force armée, qui sʹorganise à lʹinitiative des leaders militaires hema, a pour raison dʹêtre de faire face à cette menace dʹextermination. Cʹest‐à‐dire que cette force armée, dont Thomas Lubanga prend la responsabilité, se constitue dans des circonstances exceptionnelles de légitime défense. Et ces circonstances exceptionnelles sont dʹexceptionnelles circonstances atténuantes.

Nous sommes dans un contexte de crimes de masse, crimes de masse commis sous les yeux des observateurs des Nations Unies, puis des Casques bleus des Nations Unies. C’est un Srebrenica congolais, pas un Srebrenica, mais 10 Srebrenica. Et ce ne sont pas seulement les hommes en âge de combattre que lʹon assassine, ce sont femmes, enfants, vieillards, qui sont massacrés sans que les soldats des Nations Unies nʹinterviennent pour leur protection. Et c’est dans ce contexte que se constitue la force armée qui deviendra les FPLC.  À lʹévidence, il y a enrôlement massif et volontaire parce quʹil y a menace dʹextermination massive. Et la constitution, dans lʹurgence, de cette force armée, que lʹon reproche à Thomas Lubanga, naît de la nécessité vitale de faire face à des crimes dʹune gravité extrême.

Alors, lʹéquité, lʹéquité de la peine, lʹéquité veut quʹau moment de fixer la peine pour sanctionner le crime dʹenrôlement dʹenfants soldats, la Chambre tienne compte des circonstances exceptionnelles qui ont déterminé ces enrôlements. Et cette exigence…

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation) : Je suis désolé de vous interrompre.  Me Mabille a déclaré que la peine que nous allons imposer doit être… doit être… doit sʹappuyer sur les éléments de preuve qui ont été présentés lors du procès.  Donc, lorsquʹon prend en compte ce que vous venez de nous dire, pour ce qui est de la menace dʹextermination de masse qui aboutirait à la création de la force, nous aimerions savoir si vous pouvez faire référence, rapidement, aux éléments de preuve du procès qui étayent cette affirmation ?  Il se peut que ce soit dans vos écritures, mais nous voulons être sûrs que ces facteurs… les facteurs de ce type, qui semblent très importants pour votre thèse, soient correctement référencés par rapport aux éléments de preuve qui ont été présentés dans le cadre du procès.

Me BIJUDUVAL : Oui, Monsieur le Président.  Naturellement, ces éléments sont détaillés dans nos écritures. Quelques exemples que jʹai en mémoire.  Jʹai encore en mémoire les questions que jʹai posées et les réponses qui ont été faites par lʹexpert Prunier, où nous avons passé en revue lʹensemble des massacres dont je parle aujourdʹhui.  Je… Jʹai également en mémoire le témoignage du témoin 0017 qui parle des massacres de son… dans son quartier… dans le quartier hema de Mudzipela.  Et dʹautres sont cités dans nos écritures.

M. LE JUGE PRÉSIDENT FULFORD (interprétation) : Il sʹagissait de… dʹobservations très générales, puissantes, mais je voulais savoir que les éléments de preuve sur « lequel » vous vous fondiez pour cela existaient bien, mais apparemment, c’est le cas, donc, je vous en prie, poursuivez.

Me BIJUDUVAL : Merci, Monsieur le Président. Cette exigence dʹéquité qui, à notre avis, doit conduire la Chambre à prendre en considération cette menace dʹextermination, ce chaos criminel, sʹimpose dʹautant plus que cette situation de massacres systématiques et généralisés en Ituri pendant cette période… cette situation a été créée par les gouvernements ougandais, rwandais et congolais, gouvernements qui ont été délibérément épargnés par le Procureur.

Nous considérons quʹaujourdʹhui, M. le Procureur a perdu toute crédibilité, toute légitimé pour requérir une peine, et quelle peine — 30 ans —, pour requérir une peine contre Thomas Lubanga.  Le mandat du Procureur, c’est la lutte contre lʹimpunité, c’est la lutte contre lʹimpunité des plus hauts responsables. Dès lʹorigine de cette procédure, dans les écrits même du Procureur, le Procureur reconnaît que les gouvernements ougandais et rwandais sont directement ou indirectement impliqués dans les crimes de lʹIturi. Et les plus grandes organisations internationales des droits de lʹhomme dénoncent le rôle actif et direct joué par le gouvernement de Kinshasa.

Je ne reviendrai pas sur ce point, que nous avons déjà soulevé à de multiples reprises, et auquel le Procureur nʹa jamais répondu, mais c’est un obstacle supplémentaire que la Chambre rencontre sur le chemin de la peine équitable, sur le chemin de la juste peine. Prononcer une peine, c’est naturellement agir contre lʹimpunité ; mais dans cette affaire, la lutte contre lʹimpunité ne trouve pas son compte. Au lieu de faire du président Museveni, du président Kagame, du président Kabila des accusés de premier rang, le Procureur en a fait ses partenaires privilégiés.

Comment le Procureur peut‐il réclamer cette peine contre Thomas Lubanga, alors que tout se passe comme si le Procureur lui‐même garantissait lʹimpunité aux plus hauts responsables des massacres commis en Ituri ?  Comment la justice peut‐elle y trouver son compte ?  Comment, dans ces conditions, prononcer une peine qui soit reconnue par tous comme juste et équitable ?  Comment, dans ces conditions, empêcher quʹen apprenant la peine prononcée contre Thomas Lubanga, les communautés victimes de ces atrocités ne sʹécrient : « Ce nʹest pas juste, ce nʹest pas juste. Ceux qui ont organisé le chaos et en ont profité sont épargnés, celui qui a souffert parmi nous est condamné. »  Pour tenter dʹapprocher de la juste peine, de la peine équitable, il faudra nécessairement que la Chambre tienne compte de cette injustice majeure.

« La peine doit être proportionnée à la culpabilité », nous dit la règle 145. Eh bien, il nous semble quʹaprès avoir retenu la culpabilité de Thomas Lubanga, vous pourrez légitimement considérer que, parmi les dirigeants impliqués dans les événements de lʹIturi, c’est le moins coupable de tous.

Nous souhaitons également que la Chambre examine les mobiles, les mobiles qui ont animé Thomas Lubanga durant la période des charges, cʹest‐à‐dire de prendre en considération les raisons profondes, intimes, qui lʹont guidé dans ses comportements et dans ses décisions à la tête de lʹUPC, durant les quelques mois où il a exercé le pouvoir. Ce nʹest pas pour jouir personnellement du pouvoir que Thomas Lubanga prend la tête de la révolte.

Quand la révolte éclate, avril 2002, il est au pouvoir. Il est ministre de la Défense du gouvernement RCD de Mbusa Nyamwisi ; Mbusa Nyamwisi qui va devenir ministre du président Kabila à peine après avoir été défait de Bunia.  Thomas Lubanga aurait pu suivre cette voie. Il aurait pu suivre Mbusa Nyamwisi à Kinshasa et jouir aussi, lui aussi, des bénéfices du pouvoir, et laisser lʹIturi en proie aux massacres. Et ce nʹest pas la voie quʹil choisit. Il démissionne en avril 2002. Il dénonce les crimes du pouvoir en place. Ce qui lui vaut dʹêtre immédiatement emprisonné sur ordre du président Kabila, à Kinshasa, dans la prison politique de Kinshasa, la Demiap. Eh bien, ce nʹest pas là le comportement dʹun homme avide de pouvoir et dʹargent.

Et ce que nous voulons souligner, c’est quʹà lʹorigine de la responsabilité de Thomas Lubanga, il nʹy a pas une volonté criminelle, il y a, au contraire, une exigence morale.   À lʹorigine de la responsabilité de Thomas Lubanga, il nʹy a pas la volonté de commettre un crime, il y a, au contraire, la volonté de mettre fin aux crimes qui ensanglantent lʹIturi.

Et il faut en finir avec les caricatures. Il faut en finir avec le stéréotype médiatique et faux du seigneur de la guerre.  Nous vous demandons, lorsque vous aurez à sanctionner, lorsque vous aurez à prononcer cette peine, de juger avec prudence et équité les exigences, les engagements dʹun leader politique pris dans une situation historique dʹune extrême confusion et dʹune extrême gravité, et dans une période qui se caractérise par une complexité extraordinairement contradictoire.  La période des charges est ponctuée de massacres et de combats, mais le procès démontre, les éléments de preuve démontrent… — et nous en avons cité dans nos écritures, elles sont détaillées en note de bas de page — les éléments de preuve démontrent que Thomas Lubanga, à sa résidence à Bunia ou dans les villages, consacre une part essentielle de son temps à des démarches de pacification en tentant de rapprocher les communautés. Et le témoin de ce matin est venu, encore une fois, souligner cet aspect. Thomas Lubanga, dʹabord, réunit toutes les communautés de lʹIturi dans les institutions politiques et administratives quʹil met en place.

Ce sont des témoins du Procureur qui le confirment. C’est le témoin 0041, par exemple. Il multiplie les rencontres dans tous les territoires. Et ce sont les vidéos du… transmises par le Bureau du Procureur qui le démontrent aussi.  À sa résidence, à Bunia, il reçoit à sa table les notables de toutes les communautés, et nous revenons au témoignage de ce matin.  Qui viendra dire que ces démarches de pacification, que ce travail constant nʹest pas sincère ? Qui viendra dire que c’est une mascarade ? Personne.  Et comment ne pas en tenir compte, lorsque vient le moment de peser équitablement la responsabilité, la culpabilité de Thomas Lubanga ?  Et quʹen est‐il de lʹidéologie quʹil propose, quʹil propage ?

Est‐ce que c’est un seigneur de la guerre exacerbant les haines ethniques pour mobiliser autour de lui une communauté avide de revanche, de vengeance ?  Est‐ce que c’est un politicien sans scrupule qui instrumentalise les haines pour asseoir son pouvoir, pour imposer son pouvoir ? Dans lʹIturi des années 2002‐2003, cela aura été extrêmement facile. Dans toute l’Afrique des Grands Lacs, depuis des années, c’est presque la règle habituelle pour accéder au pouvoir, mais tel nʹest pas le cas pour M. Thomas Lubanga.

Et là encore, ce sont les éléments de preuve qui sont au dossier qui le montrent. Nous avons au dossier ses discours, ses discours à Bunia, ses discours dans les villages ; ils sont au dossier. Et en 2002‐2003, Thomas Lubanga ne… ne… ne rate pas une occasion pour sʹadresser aux populations.  Eh bien, la Chambre le sait : dans ses discours, pas un appel à la violence, pas un mot contre une communauté rivale. La Chambre le sait : dans ses discours, il ne cesse, au contraire, de dénoncer les rivalités ethniques, il ne cesse dʹappeler à la réconciliation, il ne cesse dʹappeler à la paix.

Alors, là aussi, tous ses discours qui sont au dossier, sʹagit‐il dʹune mascarade ?  Et les nombreux documents des archives de lʹUPC sur cette politique de pacification qui sont au dossier, est‐ce que ce sont tous… est‐ce que tous ces documents sont de purs instruments de propagande, hypocrites, insincères, trompeurs ? Est‐ce que les massacres interethniques qui se déroulent durant la même période privent ces discours et ces documents de toute crédibilité et de toute sincérité ?  Bien sûr que non. On ne peut pas dire ça, on nʹa pas le droit de dire ça, parce que cʹest faux.

On a voulu le présenter comme un chef de guerre hema appelant à la mobilisation contre lʹennemi lendu.  Il y a quelques instants, Monsieur le Procureur affirme la chose suivante : Thomas Lubanga nʹaurait pas cessé de dire à ses populations… aux populations, aux soldats des FPLC — je cite : « Tous étaient lʹennemi ». Les enfants étaient instruits… ils avaient pour instruction de tuer tout le monde sans considération pour les femmes et les enfants ; tous étaient lʹennemi.

Voilà lʹéducation que donne Thomas Lubanga aux populations et aux recrues des FPLC ».   Monsieur le Procureur, cette façon de requérir — et je rejoins‐là ce que vient de dire avec beaucoup de modération Me atherine Mabille — est inadmissible, inadmissible.  Pourquoi ? Parce quʹelle dénature, elle travestit ce que nous avons tous entendu durant ces années de procès.  Et je propose simplement à la Chambre et à M. le Procureur dʹécouter une dernière fois ce que Thomas Lubanga dit aux recrues du camp de Rwampara le 12 février 2003.  Voilà un élément de preuve qui a été discuté, rediscuté et qui est connu de tous.

Je cite — c’est Thomas Lubanga qui parle : « Ce que nous essayons de faire et ce que nous sommes en train de faire avec vous, c’est de mettre en place une armée qui est capable dʹéviter les tueries. Dans toutes les ethnies, dans toutes les tribus présentes ici, en Ituri, notre armée nʹa pas un ennemi sur la base dʹethnies. Ce ne sont pas les Bira qui sont nos ennemis, ce ne sont pas les Lendu, ce ne sont pas les Hema ; notre ennemi, c’est toute personne qui ne veut pas que la paix soit rétablie ici, chez nous. Notre ennemi, c’est lʹennemi de la paix.  Oui, nous avons aucoup souffert, nous avons beaucoup souffert. Et c’est ce sentiment qui doit nous guider, nous tous, ici. » Fin de citation.

Voilà ce que dit réellement Thomas Lubanga ; voilà la conviction qui anime Thomas Lubanga le 12 février 2003 et voilà la conviction quʹil veut faire partager aux recrues.  On a fait de cette visite de Rwampara le fondement même, le fondement même de la condamnation de Thomas Lubanga.  Alors, nous considérons que lʹéquité veut que la Chambre tienne compte de ce discours dont la sincérité nʹa jamais été discutée. Lʹéquité commande de ne pas oublier que si de jeunes, trop jeunes recrues écoutent ce discours, Thomas Lubanga, lui, vient leur prêcher la réconciliation ethnique et leur donne pour mission dʹapporter non pas la guerre, mais la paix en Ituri.

Et jʹen viens à mon dernier point.  La règle 145 invite à prendre en considération ce qui est… ce qui est nommé sous lʹappellation du « degré dʹintention », la question du degré dʹintention. Autrement dit, quʹen est‐il de lʹintention criminelle retenue contre Thomas Lubanga ? La Chambre a jugé que Thomas Lubanga avait conscience que les opérations de recrutement des FPLC risquaient de conduire à lʹenrôlement dʹenfants de moins de 15 ans. La Chambre a également jugé que ces ordres visant à interdire cette pratique et à démobiliser les mineurs paraissaient insincères, nʹétaient pas crédibles parce que démentis par la réalité des enrôlements. Cela a été jugé, mais la Défense souhaite… la Défense demande à la Chambre, cependant, de se pencher à nouveau sur cet aspect du dossier.  À ce stade, la question nʹest pas de discuter lʹexistence de lʹélément psychologique du crime ; il sʹagit simplement, au stade de la sentence, de peser le poids, de mesurer lʹamplitude de lʹintention criminelle.

Autrement dit, Thomas Lubanga est‐il cet ogre mangeur dʹenfants que décrit le Procureur, ce seigneur de la guerre uniquement préoccupé par les pressions de la Monuc ou, au contraire, est‐il sincèrement, personnellement, convaincu que la présence dʹenfants soldats est un mal quʹil faut combattre ?  Et votre décision, votre décision sur la sentence devra, il nous semble, tenir compte des faits dans toute leur complexité, tenir compte des faits dans toute leur complexité, même lorsque ces faits peuvent paraître contradictoires.

La Chambre relève la persistance des enrôlements dans son Jugement. La Chambre souligne la conscience quʹen aurait eue Thomas Lubanga, mais nous… nous vous demandons encore, aujourdʹhui, nous vous… nous vous demandons aujourdʹhui de tenir compte aussi dʹautres faits incontestablement établis par la preuve et qui peuvent apparaître en contradiction avec vos premières constatations.

Je ne prendrai quʹun seul exemple, quʹun seul élément de preuve, le rapport de la réunion des responsables militaires du 16 juin 2003. Ce rapport est resté absolument confidentiel jusquʹau procès. Rien ne permet de le suspecter dʹêtre un instrument de désinformation et dʹêtre lʹun des éléments dʹune mascarade.  La Chambre le sait, on peut lire dans ce rapport, dans ce compte rendu… pardon, le mot exact est plutôt « compte rendu », dans ce compte rendu de cette réunion du 16 juin 2003, on peut y lire — je cite : « Les enfants soldats aussi doivent être démobilisés. Où que vous les trouvez, ramenez‐les aux ONG. » Fin de citation.

Et un peu plus loin, dans le même compte rendu, sur ce sujet, sur ce sujet de la démobilisation des enfants soldats, on peut y lire également — je cite : « Devant le mal, nous devons agir en faveur de la société entière. Voilà lʹargument présenté par le président et que nous avons adopté » Fin de citation. Voilà ce que révèle ce rapport confidentiel sur la position personnelle, la position personnelle de Thomas Lubanga, en ce qui concerne les enfants soldats. « Devant le mal, nous devons agir en faveur de la société entière. » Voilà ce que dit Thomas Lubanga en juin 2003. Il ne le dit pas devant les journalistes ou devant les agents des Nations Unies, ou devant les humanitaires des ONG, il le dit dans le secret dʹune réunion avec les responsables militaires.  Voilà, incontestablement, établis par la preuve, son sentiment profond, sa volonté réelle. Cette conviction, cette conviction‐là — il faut démobiliser les mineurs —, cette conviction‐là, eh bien, elle est aussi sincère que celle quʹil exprime dans ses discours de paix et de réconciliation.

Est‐ce que cette conviction est contredite par la réalité des enrôlements ? C’est possible. C’est possible. Cela ne veut pas dire que cette conviction sincère nʹexiste pas. Cela souligne simplement lʹextrême complexité dʹune situation sur laquelle Thomas Lubanga nʹexerce quʹun contrôle extrêmement limité et, probablement, illusoire.

Lʹéquité veut que votre décision tienne compte de la complexité des situations et de la faiblesse des hommes, même lorsquʹils portent les titres redoutables de président et commandant en chef. La vérité, la vérité des événements, mais surtout la vérité des hommes est faite de réalités contradictoires. Et il serait injuste de ne retenir que les réalités qui accusent et dʹécarter les réalités qui absolvent.

Jʹen ai fini, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les juges. Nous sommes bien loin de lʹIturi, de ses souffrances, de ses mystères. Et cet éloignement dans lʹespace, le temps, la culture, lʹhistoire doit inciter à la plus extrême prudence. La prudence et lʹéquité obligent à mesurer la part de notre ignorance. Elles consistent aussi à ne pas oublier ce que nous savons, à ne pas oublier ces faits, ces actions, ces paroles qui démontrent quʹau cours de cette période pleine de bruit et de fureur, Thomas Lubanga a tenté, dans la mesure de ses pouvoirs, de protéger, de pacifier, de réconcilier.  Nous savons que vous ne les oublierez pas au moment de prononcer la peine.

Je vous remercie.

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