Commentaire Rapports du proces

27 Mars 2012

La CPI, un tribunal pour juger le continent africain?

Par Adbul Tejan-Cole

Une version de cet article est également publiée sur le site BBC News dans le cadre d’un débat élargi sur la Cour pénale internationale et l’Afrique.

La semaine dernière, la Cour pénale internationale (CPI) a rendu son premier jugement – reconnaissant Thomas Lubanga Dyilo coupable de crimes de guerre dans l’Est du Congo. La décision a été à juste titre saluée dans le monde comme un point de repère pour la justice pénale internationale et la lutte contre l’impunité pour les crimes à grande échelle, mais elle a également relancé le débat sur la CPI et l’Afrique  – et en particulier l’idée que c’est tout le continent qui est « en jugement », pour ainsi dire.

Il s’agit d’une version des événements qui viennent de plus en plus dominer le débat en Afrique où des dirigeants politiques passés et présents accusent publiquement la CPI d’être anti-africaine et de persécuter le continent par ses poursuites. Mais ce n’est presque certainement pas l’avis de la majorité des Africains, qui veulent que les dirigeants politiques et militaires responsables de crimes internationaux soient traduits en justice.

Et ce n’est certainement pas le point de vue des victimes de crimes à grande échelle – comme les 129 qui ont participé au procès Lubanga – qui savent que leurs tribunaux nationaux sont incapables ou refusent toujours d’engager des poursuites. Et qui se sont réjoui de l’annonce du verdict historique de la CPI.

Lubanga est la première personne à avoir été reconnue coupable depuis la création de la Cour en 2002. La Cour l’a reconnu coupable de l’enrôlement, la conscription, et l’utilisation d’enfants soldats entre 2002 et 2003 alors qu’il était commandant en chef des Forces Patriotiques pour la Libération du Congo (FPLC) connues pour leur brutalité. Beaucoup de gens ont témoigné que Lubanga a utilisé ces enfants comme gardes du corps et que des filles soldats ont été victimes de violences sexuelles et de viol.

Mais alors même que ses victimes voyaient que justice leur était enfin rendue, des critiques condamnaient la CPI pour avoir pris autant de temps et dépensé autant d’argent, et fustigeaient le procureur pour n’avoir pas accusé Lubanga de crimes de violence sexuelle, en dépit d’allégations selon lesquelles des femmes et des filles ont été violées et abusées par ses forces. D’autres se demandaient quand certains des co-auteurs de Lubanga, notamment son adjoint rwandais, Bosco Ntaganda, pourraient être traduits en justice.

Jusqu’à sa condamnation, Lubanga était une des 25 personnes devant être jugées en 14 procès différents devant la CPI. Toutes ces 25 personnes sont des africains. Cette situation a fait l’objet de critiques croissantes. Le président de l’Union africaine (UA), Jean Ping, a accusé la CPI de cibler injustement les dirigeants africains, tandis que le président rwandais, Paul Kagame, a rejeté la Cour au motif qu’elle a été faite pour les Africains et les pays pauvres.

L’Afrique a joué un rôle considérable dans la mise en place de la CPI. Seuls 11 pays africains n’ont pas signé le Statut de Rome et 33 ont ratifié ses dispositions, faisant ainsi de l’Afrique la région la plus fortement représentée dans la composition de la Cour. Trois des sept situations faisant actuellement l’objet d’enquêtes menées par la Cour – RDC, Ouganda et République centrafricaine, étaient des auto-saisines de la Cour par les gouvernements respectifs. Selon le Procureur entrant de la Cour, la gambienne Fatou Bensouda, « le taux élevé de renvois en Afrique pourrait tout aussi bien montrer que les dirigeants du continent prennent au sérieux leurs responsabilités envers la justice internationale. »

Seuls deux situations – le Kenya et la Côte d’Ivoire  – ont été examinées sur l’instance du Procureur. La situation au Kenya a été examinée après que M. Kofi Annan, président du Groupe de personnalités africaines éminentes de l’UA, eu remis une liste scellée de suspects à la Cour et après les tergiversations du Parlement kenyan sur la création d’un tribunal national.

En Côte d’Ivoire, c’est l’ancien président Laurent Gbagbo qui a accepté la compétence de la CPI en avril 2003 selon les dispositions de l’article 12 (3) du Statut de Rome. Comme beaucoup d’autres dirigeants africains, Gbagbo n’a pas tardé à accepter la compétence de la Cour afin qu’elle puisse poursuivre les rebelles. Cependant, dès qu’il a été arrêté et transporté vers La Haye, ses partisans se sont immédiatement mis à traiter la CPI de « Cour de l’homme blanc » et à se plaindre de son ordre du jour « néo-colonialiste » et « impérialiste ».

Contrairement à l’opinion populaire, la CPI n’est pas un tribunal de premier ressort. Au cœur même du Statut se trouve le principe de complémentarité – la CPI ne peut exercer sa compétence que lorsque l’État Partie dont l’accusé est un ressortissant ou sur le sol duquel le crime présumé a été commis, est incapable ou refuse d’engager des poursuites. De nombreux pays africains ne pourraient pas poursuivre, même s’ils le voulaient, parce que leurs systèmes judiciaires n’ont pas la capacité de poursuivre les crimes prévus par le Statut de Rome et parce que leurs parlements n’ont pas adapté les lois pertinentes au contexte national.

Dans le cas du Kenya, même si Kofi Annan et d’autres ont soutenu un « processus kenyan et dirigé par des kenyans », le parlement du pays a n’a pas adopté les lois nécessaires à la création d’un tribunal spécial, ce qui donne compétence à la CPI.

Même si ses critères de sélection des situations ne comprennent pas des considérations géographiques, la perception que la Cour ne cible que des africains restera vivace jusqu’à ce que cette dernière lance ses premières poursuites non-africaines. Et s’il est vrai que la CPI peut faire l’objet d’attaques pour son manque de consistance dans la sélection des affaires qu’elle traite, il n’existe pas un seul cas devant la Cour que l’on pourrait rejeter comme étant frivole ou vexatoire. Ces cas ont beau être africains, ils n’en sont pas moins légitimes. Il est ridicule d’assimiler le procès de 25 accusés au procès de tout un continent.

En outre, la Cour est en train d’analyser au moins cinq situations en dehors de l’Afrique, notamment en Afghanistan, au Honduras, en Géorgie, en Corée du Sud, et en Colombie – qui sont tous en attente de la décision du procureur d’ouvrir des enquêtes formelles ou non. L’Autorité nationale palestinienne a aussi demandé au procureur de la CPI d’accepter sa compétence sur des crimes présumés à Gaza à partir du 1er juillet 2002, date d’entrée en vigueur du Statut de Rome.

La Cour a certainement fait quelques erreurs dans sa première décennie. Par exemple, les juges du procès de Lubanga étaient loin d’être impressionnés par l’utilisation d’intermédiaires par le procureur lors de l’enquête. Et le besoin se fait clairement sentir d’assurer un meilleur équilibre dans le champ d’application géographique des enquêtes et des poursuites de la CPI. Mais il n’existe pas une affaire devant la Cour dont les critiques peuvent honnêtement  dire qu’elle ne devrait pas y être.

Et les Africains ordinaires ne se plaignent pas. Beaucoup ont souffert du fait des auteurs de crimes à grande échelle – et savent qu’il y a peu de chance que justice leur soit rendue si ce n’est devant des tribunaux internationaux comme la CPI. Les victimes des atrocités alléguées de l’ancien Président du Tchad, Hissène Habré, font depuis plusieurs années du lobbying auprès du gouvernement sénégalais pour qu’il veille à ce que justice soit faite – mais en vain. Si les crimes d’Habré avaient été commis après le 1er juillet 2002, ses victimes auraient eu leur jour de gloire au tribunal tout comme celles de Lubanga.

 

Abdul Tejan-Cole est un ancien procureur au Tribunal Spécial pour la Sierra Leone. Il est actuellement le Directeur régional pour l’Afrique des Fondations Open Society.

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1 Comment

  1. pour quoi seul les congolais sont à 100% sont coupables à la CPI? combien ont commit de gafs plus que ceque afait THOMAS LUBANGA mais ils sont libre et ont des postes dans le gouvenement en place?
    1) qui est laurent NKUNDA pour qu’il ne soit arrêter?
    2) bosco ntaganda est arrêter?
    et les autres que je parle pas. si les deux précés ne sont pas arrêter ce que thomas lubanga ne doit aussi être juger

    Commentaire par byamungu jonathan — 25 April 2012 @ 03:29