Commentaire Rapports du proces

20 Mars 2012

Lubanga reconnu coupable : l’opinion publique divisée au Congo

Par Olivia Bueno

Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno de l’International Refugee Rights Initiative en consultation avec des militants congolais.  Cette fois-ci, nous tenons à remercier tout particulièrement les militants sur le terrain, qui ont fourni un aperçu et des rapports dans le sillage immédiat du verdict. Bien que pour des raisons de sécurité il soit impossible de les nommer, leurs contributions ont été essentielles. Les vues et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’International Refugee Rights Initiative ou celles d’Open Society Justice Initiative.

En Ituri, l’approche du verdict de la Cour pénale internationale (CPI) a été marquée par la peur et le plaisir anticipés et clairement mis en lumière par les rumeurs selon lesquelles le jugement serait favorable à Thomas Lubanga. Depuis l’annonce du verdict la semaine dernière, il n’y a eu aucun incident important dans le domaine sécuritaire, mais l’ambiance reste tendue et un débat sérieux sur la Cour est engagé au niveau national. Les éléments de cette conversation sont de plusieurs ordres. Ceux qui soutiennent Lubanga considèrent le verdict comme injuste et attaquent la Cour, d’autres, particulièrement les victimes, expriment une satisfaction mitigée, et expriment leur inquiétude quant à l’avenir. Dans les médias nationaux, un débat est en cours sur les questions de souveraineté, le rôle du Congo dans la lutte contre l’impunité, et la pertinence de la démarche de la Cour. Pendant ce temps, les Ituriens restent préoccupés par l’incidence éventuelle de ce débat sur la sécurité ; les victimes et les témoins se sentent particulièrement vulnérables.

Avant l’annonce du verdict, la rumeur la plus répandue dans l’Ituri était que la CPI allait annoncer une décision favorable à M. Lubanga, soit en le déclarant non coupable soit en le condamnant à une peine relativement légère qui, avec le temps déjà purgé, pourrait entraîner la remise en liberté prochaine de Lubanga. Selon un militant, on a vu les partisans de l’Union des patriotes congolais (UPC) de Lubanga, qui fonctionne désormais comme parti politique, portant des t-shirts arborant le slogan « il va être acquitté. » John Tinanzabo, président par intérim de l’UPC et membre de l’Assemblée nationale, a selon la presse déclaré qu’une condamnation serait « une surprise judiciaire de dernière minute. »

14 Mars : l’annonce du verdict en Ituri

Dans ce contexte, les populations attendaient avec impatience l’annonce du verdict. Selon des sources sur le terrain, dans le quartier Mudzipela de Bunia, un bastion de Lubanga, les gens se sont rassemblés autour de postes radios pour écouter attentivement des nouvelles sur le sort réservé à Lubanga. Les gens se sont également rassemblés au marché central autour de postes radios en groupes de deux à cinq, à partir de 9:30 du matin, attendant des nouvelles. Lorsque, vers 10h00, ils se sont rendus compte que le verdict ne serait pas annoncé en direct à la radio, certains d’entre eux se sont dirigés vers un café Internet local pour entendre y les nouvelles. Il semble qu’il y ait eu une forte présence des forces de sécurité dans la zone située autour du siège de l’UPC et dans le quartier Mudzipela, ce que les commentateurs locaux ont interprété comme des préparatifs en vue de surveiller et contenir une célébration impromptue dans le cas où Lubanga devait être acquitté.

Pour ces partisans, la novelle du verdict a été douloureuse. Un activiste de Bunia a décrit la réaction d’une avocate Hema quand elle a reçu un appel téléphonique l’informant du verdict, disant qu’elle avait l’air abattu, « comme si quelqu’un l’avait informé d’un décès. » D’autres ont exprimé une satisfaction tranquille. Un militant a souligné que les victimes et d’autres qui se sont réjouis de la décision ont été forcés de le faire silencieusement, de peur de représailles éventuelles. Selon un militant local, « Vous pouvez voir la tension dans le fait que pas une seule organisation iturienne n’a publié une déclaration publique en réaction à l’affaire Lubanga. On entend des organisations à Kinshasa, mais dans l’Ituri, les gens ne se sentent pas libres de s’exprimer. »

La population dans son ensemble est s’inquiète du potentiel des partisans de Lubanga et de l’UPC en matière de déstabilisation de la ville de Bunia et ses environs. Le samedi, 17 mars  un rassemblement prévu par l’UPC pour protester contre le verdict a été bloqué par une impressionnante démonstration de force de la police anti-émeute. Bien que pour l’instant l’UPC ait appelé ses partisans à rester calmes et laisser se dérouler la procédure d’appel, les paroles enflammées de ses dirigeants qui attaquent la CPI et les tentatives de manifestations rendent les gens nerveux. Dans cette situation, il y a une préoccupation particulière en ce qui concerne les témoins et les intermédiaires, qui sont accusés de participation à une vendetta contre Lubanga. Selon un militant, leur situation « deviendra plus préoccupante car la situation est maintenant palpée du doigt par la base qui se rend compte de la gravite des faits » Bien que le rôle des intermédiaires et des témoins dans le processus ait été discuté à Bunia pendant un certain temps, le verdict permet de comprendre les implications de cet engagement auprès de la Cour d’une manière nouvelle.

Dans ce contexte tendu, divers points de vue se forment sur le verdict. Ceux qui considèrent  l’issue du procès comme injuste, en particulier les membres de la communauté Hema de Lubanga et les partisans UPC, connaissent la déception et la frustration, alors que  ceux qui voient le verdict comme juste, expriment une satisfaction mitigée. Bien que ces  derniers, notamment de nombreuses victimes et militants des droits humains, accueillent le verdict comme une étape positive, des questions du genre de « que va-t-il se passer après » mitigent leur satisfaction.

Déception et frustration

Il est clair que Lubanga jouit toujours d’un soutien important à Bunia. Dans les jours suivant la décision ces supporters ont exprimé leur déception et leur frustration. Une autre femme, cité par Radio Okapi, a déclaré: « [n]ous nous attendions à sa libération, mais nous sommes surpris qu’il ait été reconnu coupable. Je suis contre ce jugement. Personnellement, je voudrais qu’ils nous montrent physiquement ces enfants qui ont été enrôlés. » Une conférence de presse de l’UPC qui avait été prévue pour le mercredi soir, n’a jamais eu lieu, ce qui a donné naissance à des spéculations selon lesquelles cela pourrait être dû à une scission au sein la direction du parti sur la façon de réagir. Se pourrait-il aussi que l’UPC soit si sûre de l’acquittement qu’elle avait préparé la conférence de presse pour cette éventualité?

Cependant, à la radio, le président par intérim de l’UPC a attaqué la Cour. Il a déclaré qu’il était désolé que la Cour ait pris cette décision et décrit la procédure comme étant « politique ». Selon lui, elle a été conçue pour un « règlement des comptes », et il a aussi accusé le gouvernement de la RDC de manipuler la Cour pour régler des comptes au niveau national. « Le gouvernement dit qu’il coopère avec la justice internationale, mais en fait il protège Bosco Ntaganda [co-accusé de Lubanga]. »

En effet, un certain nombre de questions graves ont été posées sur l’intégrité de la procédure, par exemple sur le niveau de preuve présentée au procès. Selon un Hema, « Les enfants soldats réels, s’ils existent, c’est nous qui devrions les montrer puisque nous les connaitrions. » Les autres sont accusés d’être des menteurs. D’autres considèrent la CPI comme un mécanisme plus préoccupé par son propre développement institutionnel et une victoire au procès que par la justice pour l’Ituri. Certains voient la procédure comme une situation où le fort impose sa volonté aux plus faibles, ou comme une intervention occidentale qui ne peut pas, ou ne se soucie pas, de comprendre Congo. Selon Tinanzabo : « Je suis un proche collaborateur de Thomas Lubanga Si nous avons commis des crimes, alors pourquoi ai-je été élu membre de l’Assemblée nationale? Nous devons voir si la justice internationale est adaptée au Congo. » Beaucoup dans la communauté Hema considèrent encore Lubanga comme un héros. Comme le souligne un militant, il est considéré comme « un sauveur qui s’est sacrifié pour éviter l’extermination du peuple Hema. »

Bien que des questions de procédure soient soulevées avec le plus de véhémence par les partisans de Lubanga, il ne s’agit pas uniquement de ce groupe. Comme l’indique IRRI avant le verdict dans son rapport intitulé Des pas vers la justice, espoirs déçus: Réflexion sur l’impact de la CPI en Ituri, ceux qui sont sur le terrain en Ituri étaient familiers avec certaines questions de procédure, y compris le recours à des intermédiaires et très critiques envers la Cour, lui reprochant de ne pas en avoir fait assez pour s’assurer que ceux qui agissent en son nom le font de façon appropriée. Bien que les juges aient conclu qu’il y avait suffisamment de preuves pour déclarer Lubanga coupable, ils ont également critiqué les méthodes de l’Accusation dans ce domaine. Depuis son annonce, le verdict a fait l’objet de beaucoup de débats dans la presse nationale.

Satisfaction mitigée

Ceux qui considèrent Lubanga comme coupable des crimes qui lui sont reprochés ont accueilli le verdict, en exprimant satisfaction et soulagement. Selon un militant, les populations partagent cette satisfaction générale, « On lit sur les visages beaucoup de sourires ». Les victimes semblent également soulagées ; selon la Ligue pour la Paix et les Droits de l’Homme (LIPADHO), une organisation congolaise des droits humains, une victime a déclaré, « Nous avions perdu l’espoir de voir ce baobab tomber et nous avions peur qu’il ne fasse un retour triomphal à Bunia. »

Cependant, un certain nombre de questions freinent ce sentiment de satisfaction. Comme indiqué ci-dessus, il y a la peur qu’une approbation trop chaleureuse de la décision soit la cause de représailles de la part des partisans en colère de l’UPC. En outre, il suffit de parler un peu avec les militants pour les entendre demander « que va-ti-l se passer après »? Ceux qui se réjouissent du verdict se posent aussitôt après des questions sur la prochaine phase de la procédure dans l’affaire Lubanga et, plus largement, quelle est la prochaine phase dans la lutter contre l’impunité. Même ceux qui considèrent Lubanga comme coupable ne pensent pas qu’il a commis ces crimes seul, et ils demandent quand d’autres devront faire face à la même justice.

Prochaines étapes: dernières phases du procès de Lubanga

Sur le plan juridique, il reste encore beaucoup de choses à régler. Le verdict pourrait être infirmé en appel. Les avocats de Lubanga auront 30 jours à compter de la réception de la traduction française du jugement pour déposer leur appel. La longueur de la traduction de la décision publiée prendra un certain temps, et la procédure d’appel se poursuivra pendant un certain temps après.

La CPI doit encore résoudre la question de la peine de Lubanga, « un facteur déterminant, » selon un militant, de la façon dont le processus dans son ensemble est considéré sur le terrain. Le Procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a indiqué qu’il tentera d’obtenir « près du maximum » de la peine pour les crimes de Lubanga. Comme le dit une victime, « Etre condamné est une chose mais on peut être condamné avec sursis ou pour le temps passé en prison. Dans ce cas, ce n’est rien. » Le gouvernement congolais a indiqué dans les médias qu’il serait heureux qu’il y ait une lourde peine. Sur le terrain, cependant, il y a une divergence de vues. Un militant fait valoir qu’une lourde peine « sera perçue comme injustifiée » étant donné la perception du crime sur le terrain comme un crime moins grave que d’autres atrocités qui ont été commises. D’autre part, il affirme qu ‘«une peine légère ne sera pas dissuasive pour les autres. »

Pour les victimes, peut-être que l’élément le plus important du verdict est, selon Guy Mushata du Centre international pour la justice transitionnelle, qu’il « ouvrira la voie à des réparations. » Comme le dit une victime : « Il est bon qu’il ait été condamné, mais la chose la plus importante est l’importance ou la valeur des réparations qui devraient nous consoler. » Un autre a demandé, « Qu’est-ce qu’ils disent au sujet de nos femmes qui ont été violées, nos maisons qui ont été brûlées, et de nos biens emportés. » La Synergie des ONG congolaises pour les Victimes (SYCOVI), une organisation de victimes de la RDC, a souligné qu’on espère maintenant que la Cour procédera à des réparations efficaces. Ils lancent cet avertissement : « S’il est mal géré, le processus pourrait re-traumatiser, plutôt que d’aider les victimes. » Comme le note Mushata, une réparation efficace pourrait servir de modèle pour le système de justice congolais, qui a attribué les réparations dans un certain nombre de cas, mais n’a réussi ni à récupérer ni à distribuer aucune de ces réparations.\

Que faire maintenant dans la lutte pour la justice?

L’idée de la dissuasion est essentielle aux arguments à l’appui de la justice internationale en général, il n’est donc pas surprenant que ces arguments figurent en bonne place dans les réactions au verdict Lubanga. Ceux qui se réjouissent de la décision soulignent le rôle essentiel qu’elle peut jouer dans la dissuasion des crimes futurs. Par exemple, selon un éminent militant, Dismas Kitenge, « Le procès Lubanga et ce verdict ont un potentiel dissuasif important sur la commission de crimes internationaux dans le pays, et en particulier sur l’utilisation des enfants soldats. » De même, SYCOVI a salué la décision avec ces mots : « ce jugement comporte un caractère dissuasif pour ceux qui auraient à ce jour,  l’intention de créer les foyers de tension en RDC.

Cependant, pour d’autres, cet impact dissuasif est remis en cause par le fait que c’est le seul verdict de la CPI au cours des dix ans d’existence de la Cour. Par exemple, dans un sondage sur le site de Radio Okapi, seuls 14 pour cent des répondants ont souligné l’effet dissuasif potentiel comme première réaction au verdict. En revanche, la majorité (62 pour cent) s’est focalisée sur la nécessité de poursuites supplémentaires. Ituriens et autres Congolais semblent regarder au-delà du jugement et demander « que faire maintenant? » en termes de lutte contre l’impunité de façon plus générale.

Selon Le Phare, journal basé à Kinshasa « il y a plein des sénateurs, députés, ministres, gouverneurs de province, officiers supérieurs de l’armée et de la police…, qui devraient se trouver dans le même box que Thomas Lubanga  » Un militant approuve, demandant que les accusations « ne se limitent pas à Lubanga seul, car ce crime a été commis par  pratiquement tous les belligérants de la guerre en RDC. » Selon un résident de l’Ituri : « Il est regrettable de voir qu’il n’y a eu qu’une seule personne qui soit reconnue coupable par rapport à la catastrophe qui s’est produite dans l’Ituri. »

Un des cas les plus visibles à cet égard est celui de Bosco Ntaganda, qui a été inculpé aux côtés de Lubanga pour le recrutement d’enfants soldats en Ituri, mais qui est toujours en fuite, opérant ouvertement dans la ville orientale congolaise de Goma. De nombreux militants et des ONG, notamment la Coalition congolaise pour la Cour pénale internationale, ont saisi l’occasion du verdict pour appeler le gouvernement congolais à l’arrêter. Cependant, interrogé par l’AFP, le ministre de la justice s’est contenté de dire que le gouvernement continue de coopérer avec la Cour et qu’il ne pouvait pas en dire plus.

Au-delà de Ntaganda, comme le montre les recherches de l’IRRI dans le rapport intitulé Des pas vers la Justice, l’appel à la reddition de comptes pour les intervenants rwandais et ougandais a été particulièrement fort et a été renouvelé depuis le verdict. L’ONG locale LIPADHO affirme crûment, « D’autres co-auteurs et complices trouvés dans les sphères politiques et dans les forces armées de Kinshasa, Kigali, Kampala, ainsi que Bujumbura devraient être poursuivis. » Ce sentiment a été répété par d’autres militants et sur différents blogs réfléchissant sur la crise.

Pour l’avenir, que peut-on faire pour tirer des leçons des réactions au verdict Lubanga? Qu’est-ce qui peut être fait pour répondre aux préoccupations sécuritaires soulevées par les témoins et les intermédiaires? Que peut-on faire de plus pour répondre aux allégations de partialité à la Cour? Comment des stratégies de communication et des interventions sur le terrain peuvent-elles constituer une réaction aux réponses possibles aux décisions relatives à l’appel et à la condamnation de Lubanga? Qu’est-ce qui peut être fait pour assurer le suivi sur la nécessité de rendre la justice de façon plus générale?

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