Commentaire Rapports du proces

13 Mars 2012

Craintes et joie anticipées en Ituri dans l’attente du premier verdict de la CPI

Par Olivia Bueno

Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno de l’International Refugee Rights Initiative en consultation avec des militants congolais. Les vues et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’International Refugee Rights Initiative ou celles d’Open Society Justice Initiative.

La Cour pénale internationale (CPI) annoncera demain son premier verdict au procès de Thomas Lubanga, ancien chef du groupe rebelle congolais, l’Union des patriotes congolais (UPC). En Ituri, région Est de la RDC où Lubanga a dirigé l’UPC et est accusé d’avoir commis les crimes pour lesquels il est en procès, tous les yeux sont rivés sur la Cour. Les spéculations sur ce verdict revigorent les espoirs de certains et amplifient les craintes des autres. En particulier, il y a beaucoup de rumeurs selon lesquelles Lubanga sera soit acquitté soit condamné à une peine très légère, qui, avec le temps déjà passé en détention , pourrait conduire à une libération anticipée. Comme le fait remarquer un militant congolais :  « L’opinion publique se prépare pour une seule possibilité, celle de la libération de Thomas Lubanga. »

Sur le terrain, les avis sont partagés. Comme prévu, les partisans de Lubanga espèrent qu’il sera soit acquitté soit condamné à une peine courte et puis libéré. Parmi les partisans figurent les membres de l’UPC de Lubanga, qui continue à fonctionner comme un parti politique, et beaucoup de membres de son groupe ethnique, les Hema, qui constituent une partie importante de la population de l’Ituri et la majorité dans la région autour de Bunia. Selon un de ces partisans, « Il serait regrettable de condamner Thomas sur la base de preuves sans fondement. »

Les événements récents ont donné à ses partisans des raisons d’être optimistes. Selon l’étude réalisée par l’ONG congolaise, Justice Plus, la récente décision de la Cour de ne pas confirmer les charges dans l’affaire Callixte Mbarushimana a été perçue par la communauté Hema comme une affirmation de l’indépendance de la Cour. Bien que n’étant pas particulièrement intéressé par les crimes de Mbarushimana, ils voient que les Chambres jouent un rôle de contrôle efficace sur les actions de l’Accusation. Cette décision a énormément contribué à calmer les craintes de certains au sein de la communauté qui croient en l’innocence de Lubanga, mais qui avaient peur qu’il soit condamné du fait du manque d’indépendance et d’impartialité de la Cour. Si Lubanga est libéré, il est probable que cette croyance sera renforcée. Il parait que certains préparent déjà une cérémonie de célébration de son retour. Avec de telles attentes, quelle sera la réaction dans le cas où la décision s’avère autre que celle attendue? Quel genre de réaction peut-on attendre contre ceux qui ont occupé une place importante dans le soutien au travail de la Cour?

Ceux qui ont travaillé avec la Cour s’inquiètent de ce que les victimes et les intermédiaires (individus qui ont travaillé avec la Cour, mais ne sont pas formellement des membres du personnel) et d’autres personnes généralement favorables à la Cour vont peut-être se retrouver dans une situation particulièrement risquée dans le cas d’une condamnation. Il est à craindre qu’il pourrait y avoir la tentation de s’en prendre à la Cour et ceux qui la soutiennent. D’autre part, en cas de remise en liberté de Lubanga, ses partisans auraient moins d’intérêt à attaquer la Cour et ceux considérés comme associés à la Cour.

Ceux qui ne sont pas des partisans de Lubanga sont profondément préoccupés par la perspective de sa libération. Bien qu’il soit louable que l’indépendance de la Cour semble être considérée avec une plus grande crédibilité, l’attention doit également être accordée à des opinions et des vues de ceux qui ne sont pas des partisans de Lubanga, en particulier les préoccupations soulevées par l’impact que pourrait avoir un acquittement ou une condamnation légère sur la promotion de la justice en Ituri et la dynamique des conflits en général.

Il est probable qu’un acquittement ou une peine légère vont susciter l’inquiétude de la communauté Lendu. Il existe beaucoup de récits qui décrivent les Lendu comme des victimes de partialité dans le processus de la CPI. Par exemple, selon un membre de la communauté Ngiti apparentée, « Nous avons connu beaucoup de suspicion de la part des communautés qui pensent que nous sommes un groupe ethnique très mauvais … nous allons voir … si la CPI peut démontrer sa compétence. » Bien que les dirigeants rebelles aient été inculpés des deux côtés du conflit, le fait que Thomas Lubanga (et son collègue Bosco Ntaganda qui n’a pas encore été arrêté) soient « seulement » accusé de recrutement d’enfants soldats, tandis que les dirigeants du côté Lendu et Ngiti (Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui) sont accusés à la CPI d’un plus large éventail de crimes, a créé une impression de partialité dans le processus. Cette perception a été renforcée par la façon dont les victimes ont été autorisées à participer aux procès. Dans l’affaire Lubanga, ceux qui sont officiellement reconnus par la Cour comme des « victimes » sont les membres des groupes Hema et groupes apparentés, qui ont été recrutés à partir de leurs propres communautés, par l’UPC de Lubanga. L’affaire Katanga et Ngudjolo se focalise principalement sur une attaque contre le village de Bogoro qui est en grande majorité Hema, ce qui signifie qu’en plus, les Hema sont les premières victimes. Tout cela a contribué à créer chez les Lendu le sentiment qu’ils sont exclus et que la Cour ne prend pas au sérieux leur souffrance. Des Lendu interviewés par Justice Plus dans le cadre de sa recherche ont indiqué qu’ils considéreraient un acquittement comme une insulte, comme « cracher sur la mémoire des victimes en Ituri en général. »

Si la décision est favorable à M. Lubanga, assistera-t-on au renforcement et au durcissement des récits de persécution ethnique et à l’alimentation des conflits plutôt qu’à la promotion de la réconciliation et de la stabilité? Est-ce que les Hema vont percevoir leurs récits justifiant les combats comme constituant une défense légitime de la communauté comme on l’a affirmé? Est-ce que les Lendu vont voir cela comme confirmant que la communauté internationale a un traitement biaisé? Si la décision n’est pas en faveur de Lubanga, est-ce qu’il n’y aura pas de lecture inverse, c’est-à dire le renforcement d’un récit de l’injustice contre les Hema? Quelle interaction la décision Lubanga aura-t-elle avec la décision de la Cour dans l’affaire Katanga et Ngudjolo, qui est attendue à la fin de 2012? Est-ce que le travail de la Cour sera considéré comme plus équitable s’ils sont acquittés? Y aura-t-il alors une réduction des tensions? Cependant, s’ils sont reconnus coupables, assistera-t-on à un renforcement de la rhétorique selon laquelle la communauté Lendu est affaiblie et qu’elle doit se défendre?

Pour les victimes des attaques de l’UPC, un verdict d’acquittement ou de peine légère à Thomas Lubanga est susceptible d’entraîner de l’indignation. Selon un militant, « Ce serait inacceptable à la lumière de la souffrance des milliers de personnes qui faisaient l’objet [de crimes de Lubanga]. » Un autre militant note, « Pour moi, si Lubanga est libéré, ce serait une grave erreur de la part de la Cour parce que ce que ces gens ont fait en Ituri c’est quelque chose que même un aveugle peut voir. » La foi en la justice internationale, et dans la communauté internationale, par extension, est susceptible d’être dégonflée. Les victimes se sentent trahies par la Cour et frustrées par le résultat. Certains craignent que cette frustration ne se mue en violence.

D’autres craignent que la libération de Thomas Lubanga et son retour potentiel en Ituri ne puissent avoir un impact négatif sur la situation sécuritaire sur le terrain parce qu’il peut être un personnage déstabilisateur. Un homme interrogé dans l’Ituri avant le verdict a émis l’hypothèse qu’un Lubanga libéré serait politiquement renforcé. Il est difficile de savoir si et comment Lubanga pourrait chercher à exploiter cette puissance politique, mais certains craignent que la libération de Lubanga ne mène à la « panique et au désordre. » Certaines victimes demandent qu’il soit tenu de rester à La Haye ou, en tout cas, loin de l’Ituri, s’il venait à être libéré. Pour certains, comme le dit un militant, entendre le nom de Thomas Lubanga leur fait penser à la guerre.

Toutefois, certains font valoir que d’autres évolutions de la situation à Bunia ont rendu plus difficile pour Lubanga la mobilisation de la violence, même s’il est libéré. La situation sécuritaire s’est généralement améliorée et plusieurs des alliés importants de Lubanga ne sont plus sur la scène. Un exemple est le général Kisembo, qui a été tué par les autorités congolaises. Bosco Ntaganda n’est plus dans l’Ituri et a été intégré dans l’armée congolaise, même si on a encore peur de son éventuel retour.

En Ituri, tous les yeux sont rivés sur la Cour. Cependant après le jugement de mercredi, les yeux du monde vont se tourner encore une fois vers l’Ituri pour voir ce que sera l’impact sur le terrain.

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