Commentaire Rapports du proces

20 Octobre 2011

Procès de Lubanga à la Haye: va-t-il jouer un rôle dans les élections de la RDC?

Par Olivia Bueno

Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno de l’International Refugee Rights Initiative en consultation avec des militants congolais. Les vues et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’International Refugee Rights Initiative ou celles d’Open Society Justice Initiative.

Alors que la République démocratique du Congo (RDC) se dirige à grands pas vers les élections de novembre, l’opposition est à la recherche d’un candidat commun, consciente qu’elle est du fait que pour détrôner le Président Joseph Kabila il faudra probablement une opposition unie. Les trois principaux candidats de l’opposition, Etienne Tshisekedi, Vital Kamerhe, et Léon Kengo wa Dongo, soutiennent tous dans leurs discours l’idée d’un candidat commun, mais ne se sont pas encore mis d’accord sur l’identité de la personne qui allait jouer ce rôle.

Dans la mêlée, les candidats cherchent des appuis de tous les côtés, y compris chez les détenus de La Haye. Bien que Jean-Pierre Bemba, qui est en procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité qu’il aurait commis en République centrafricaine, ait été jusqu’à présent la cible principale de ces efforts (voir « Parti mais pas oublié : Bemba et les élections de 2011 au Congo »), il semble que maintenant même Thomas Lubanga, qui a une base électorale beaucoup plus réduite, retient l’attention des acteurs politiques. Lubanga, dont le procès s’est terminé en août, est actuellement en attente de jugement pour trois chefs d’accusation de crimes de guerre. Cela soulève des inquiétudes chez les militants congolais pour qui cette recherche par les politiciens de premier plan de soutiens auprès de suspects de la Cour pénale internationale (CPI) constitue une preuve de l’effritement du soutien dont bénéficie la juridiction au Congo. Selon un militant, « S’ils ne pensaient pas que cela [l’engagement avec les suspects] aurait des répercussions positives au pays, ils ne le feraient pas. »

Tshisekedi rend visite à Lubanga à La Haye

Le vendredi 16 septembre, Etienne Tshisekedi, président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et candidat aux élections présidentielles, a rendu visite à Lubanga à La Haye. Le Potentiel a rapporté que les deux hommes se sont entretenus pendant deux heures. Dans une vidéo retraçant la visite sur le site internet de campagne de Tshisekedi ici, Tshisekedi a qualifié la visite d’« humanitaire » en soulignant que Lubanga était un « combattant » (un terme utilisé pour désigner les membres de l’UDPS). Les militants rappellent que c’est avec l’UDPS que Lubanga a fait ses débuts politiques à Bunia dans les années 1990, alors que le parti était à la pointe de l’opposition au régime Mobutu.

Cependant, certains ont des doutes quant aux affirmations de Tshisekedi sur ses motivations humanitaires. En effet, il est probable que rien de ce qui se fait à ce stade de la campagne ne se fait à moins d’avoir pour objectif l’amélioration de la situation électorale de Tshisekedi. Le fait qu’une vidéo soulignant la visite a été produite en constitue une preuve supplémentaire. Quel avantage électoral Tshisekedi pourrait-il y rechercher? Comme le souligne le journal La Prospérité, Lubanga « jouit encore d’une grande popularité » dans sa région natale. En effet, son groupe ethnique Hema continue d’être une source de soutien.

L’UPC et la politique nationale au Congo

La relation a déjà conduit à des spéculations sur des accords possibles dans le passé. Un militant a rappelé que Lubanga avait rendu visite à Tshisekedi à Kinshasa avant d’être arrêté. On ne sait pas si cela a eu un impact significatif, certains cadres ont soutenu que l’arrestation était injuste, arguant que Lubanga était juste un petit poisson et que les gros poissons jouissaient encore d’une « liberté tranquille », mais le parti dans son ensemble n’a pas adopté une position officielle. Il y a des spéculations selon lesquelles il pourrait y avoir des soutiens plus forts pour Lubanga dans le parti, mais qu’ils hésitaient encore avant de se jeter à l’eau et annoncer publiquement leur position.

Un militant a souligné que même sans aucun accord concret avec Lubanga, la visite allait stimuler les opinions favorables à Tshisekedi en Ituri. « La visite en elle-même signifie que la détention de Lubanga est une préoccupation nationale et sera vue comme un acte de soutien de la communauté Hema. » D’autres observateurs spéculent que la visite de Tshisekedi visait à charmer Lubanga et à chercher son soutien à la candidature de Tshisekedi à l’élection. Certains ont salué cet effort, Clément Kanku, leader du Mouvement pour le Renouveau (MR), a salué les efforts visant à réunir tous ceux qui étaient en faveur du changement au Congo. Cité dans Le Potentiel, il a salué l’approche « prise par Etienne Tshisekedi wa Mulumba, candidat de l’opposition à la présidentielle de 2011, en rencontrant en vue d’une coordination fructueuse le Président du MLC Jean-Pierre Bemba et Thomas Lubanga, deux compatriotes détenus dans les prisons de la CPI et dont le poids politique, à l’heure actuelle, reste indéniable. »

La question de savoir où ira le soutien des électeurs UPC en l’absence d’une déclaration forte de Lubanga, reste ouverte. Selon l’analyse d’un journaliste local sur une station de radio communautaire basée à Mahagi, Tshisekedi semble être un choix plus naturel pour les Ituriens que l’un de ses principaux rivaux dans l’opposition, Vital Kamerhe. Il a souligné que les Ituriens n’allaient pas oublier le rôle que Kamerhe avait joué en 2003 dans la déstabilisation du parti de Lubanga, l’Union des patriotes congolais (UPC). L’Accord de Dar es Salaam, à la négociation duquel a participé Kamerhe, a facilité la coopération entre les deux gouvernements pour la coordination des mouvements rebelles opposés à l’UPC qui l’ont finalement chassée de Bunia. Un autre facteur qui pourrait conduire les partisans UPC à se ranger du côté de l’UDPS est le fait que l’UDPS a intégré les anciens membres de l’UPC dans ses rangs dans la région.

Toutefois, certains commentateurs doutent de l’efficacité des efforts de Tshisekedi dans la recherche du soutien de l’UPC, car le parti a également été en contact avec l’Union de la Nation Congolaise (UNC) de Kamerhe. Selon le site internet Congo Direct, l’UPC et l’UNC ont signé un « accord politique spécial » l’année dernière, ce qui suggère que l’UNC peut avoir le soutien UPC dans le sac.

Quelles implications pour l’engagement de l’UPC pour la reddition des comptes au Congo?

Il y a toutefois eu des récriminations sur le terrain au sujet de cette tentative de rapprochement entre anciens rivaux. Par exemple, le journal local de Bunia, Le Pacificateur, a rapporté que peu de temps après l’annonce de cet accord, un porte-parole de la communauté Hema a annoncé que la communauté Hema ne reconnaît aucune obligation dans cette alliance et a souligné qu’il était important d’établir une distinction entre la communauté Hema et l’UPC. Le porte-parole, cependant, aurait été plus tard pris à partie par les membres de l’UPC. Selon un militant congolais de l’Ituri, les signes d’une alliance entre l’UPC et UNC sont extrêmement visibles sur le terrain. Selon lui, dans les coulisses, des partisans font circuler des rumeurs selon lesquelles, si l’opposition gagne « les droits de Lubanga comme ressortissant congolais seront assurés. »

Que pourrait signifier cette affirmation des droits dans la pratique? Selon les militants beaucoup de gens dans la population générale croient que Lubanga n’a pu être arrêté que parce qu’il n’avait pas l’appui du gouvernement, et il y a une conviction générale que le gouvernement aurait au moins pu soutenir Lubanga. Mais selon un militant, « il est peut-être trop tard pour Lubanga », et il faisait allusion au fait que le procès a pris fin. Il spécule qu’un accord pourrait tourner autour de positions potentielles en cas d’acquittement. Cependant, un autre militant souligne qu’il existe la possibilité que le gouvernement congolais soutienne Lubanga en appel ou qu’il négocie un accord pour qu’il purge sa peine au Congo dans des conditions clémentes.

Certains ont cependant critiqué le vieil opposant pour sa concentration sur des suspects de la CPI qui, du fait de la distance à laquelle ils se trouvent, sont considérés comme moins importants que ceux qui font campagne au Congo même. Le journal La Prospérité fait remarquer que « les observateurs ne comprennent pas pourquoi Etienne Tshisekedi peut parcourir des milliers de kilomètres pour rencontrer Jean-Pierre Bemba et Thomas Lubanga, alors que depuis le moment où il a présenté sa candidature, il n’a montré aucun intérêt à négocier avec ses collègues candidats de l’opposition restés au pays. » Le blogue Direct Congo s’est également demandé pourquoi Tshisekedi n’a pas rencontré Bemba, qui a une base politique beaucoup plus vaste, à cette occasion à La Haye (bien que Tshisekedi ait auparavant rencontré Jean-Pierre Bemba).

La prise de contact avec les détenus de la CPI est considérée par les militants avec sérénité. Et selon l’un d’eux, il est peu probable que ces contacts modifient les opinions sur le terrain. Cependant, ce qui alimente les spéculations et la confusion, entre pro et anti-UPC c’est une question que pose le journal La Tempête des Tropiques de Kinshasa : qu’est-ce que Lubanga a pu demander en échange d’un tel soutien?

Est-ce qu’un accord politique pourrait porter atteinte à la Cour et à sa capacité à rendre la justice ainsi qu’à sa crédibilité? Il est à craindre que tout ce positionnement négatif pourrait conduire à de l’obstructionnisme de la part du gouvernement dans des affaires à venir en cas de victoire de l’opposition au scrutin. En outre, bien que cela ne semble pas être une perspective immédiate, beaucoup, y compris les victimes, craignent la libération de Lubanga. Quelque soit la crainte que puisse inspirer aux victimes la libération de Lubanga en général, il semble qu’elle soit encore plus grave si cette libération s’accompagne du soutien du gouvernement central.

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