Rapports du proces

24 Septembre 2009

Entretien avec Catherine Mabille, avocat de la défense de Thomas Lubanga

Par Rachel Irwin

Après un été qui a laissé les futures orientations du procès incertaines, Catherine Mabille s’est entretenue avec une représentante du site Web dédié au procès Lubanga au sujet de la possibilité que de nouvelles charges soient retenues contre son client, de la participation des victimes et de la suite de la procédure.

Rachel Irwin : Commençons par évoquer les développements de cet été. Les représentants des victimes ont demandé aux juges de « requalifier » les charges existantes en esclavage sexuel et traitement inhumain et cruel et, le 14 juillet, une majorité de juges a statué qu’il s’agissait d’une possibilité. Pouvez-vous nous donner une idée de votre position en la matière ?

Catherine Mabille : Je pense que [la décision du 14 juillet] est vraiment une mauvaise décision et pas seulement pour le procès Lubanga. Le fondement du Statut de Rome [qui régie la Cour] a été anéanti par cette décision. Quel est [l’intérêt] [d’avoir] une chambre préliminaire qui [détermine les charges] si vous pouvez modifier les charges après la fin de la présentation des éléments de l’accusation ?

Si vous pouvez tout changer, cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de tenir une audience [de confirmation des charges]. Le second point qui me paraît très important est, qu’en vertu du Statut de Rome, vous avez certains juges qui vont [déterminer] les charges mais qui ne seront pas les mêmes que ceux qui vont traiter l’affaire [lors du procès]. Cette séparation est vraiment très, très importante. Enfin, il va falloir débattre des droits de l’accusé s’il est possible de modifier les charges après la [conclusion] de la présentation des éléments de l’accusation.

RI : L’accusation et la défense ont toutes deux fait appel de la décision du 14 juillet. Que va-t-il se passer maintenant ? Le procès va-t-il se poursuivre ?

CM : Nous ne comprenons pas du tout comment nous pouvons continuer sans avoir la décision d’appel car comment pourrions-nous travailler sur des charges qui ne sont pas [définies] ?

RI : Pouvez-vous nous expliquer ce qui pourrait se passer si de nouvelles charges étaient ajoutées maintenant ?

CM : Nous devrons revenir au début du procès et [réfléchir] sur le droit de l’accusé à être jugé dans un délai raisonnable. Nous aurons également à rappeler tous les témoins de l’accusation car nous n’avons procédé à aucun contre-interrogatoire concernant les crimes qui n’existaient pas encore à ce moment-là. La défense devra réclamer un large délai pour préparer ses éléments.

RI : Lorsque je discute avec les avocats des victimes, ils annoncent qu’ils vont aborder le sujet lors de leur exposé introductif, le tout premier jour du procès, par conséquent, on peut dire que votre équipe est un peu mise en garde.

CM : Pensent-ils que nous pouvons anticiper des charges virtuelles qui ne figurent pas dans [l’acte d’accusation] ? Je considère que les victimes n’ont pas le droit de demander une nouvelle qualification des charges. J’ai indiqué aux juges au début [du procès] que nous devions être très prudents vis à vis des victimes [qui participent] maintenant… [et] dans ce type de procès, cela devient très ardu si la défense doit être confrontée en premier lieu aux procureurs puis dans un second temps aux victimes. Et je pense avoir eu raison à ce sujet.

RI : À votre avis, quel rôle les victimes doivent-elles jouer lors du procès, le cas échéant ?

CM : Nous pensons que leur rôle principal n’est pas au cours du procès, il devrait être tenu lors de la phase de réparation. Actuellement, leur rôle est trop proche de celui du procureur. Nous devons faire face au procureur puis aux victimes. Pour nous, c’est exactement la même chose.

J’ai travaillé au ICTR [Tribunal pénal international pour le Rwanda] sans participation de victimes, aussi j’ai pensé qu’il était intéressant [qu’ils participent à la CPI]. Mais après deux années, j’ai changé d’avis. Mon opinion est que, durant le procès …c’est au procureur qu’incombe la charge de la preuve et nous devons le faire valoir. Il me semble [que la participation des victimes] est une bonne chose mais uniquement dans la phase de réparation. Une fois la culpabilité prouvée, ils peuvent avoir un rôle important.

RI : Très bien, mais un grand nombre d’avocats déclarent que la participation des victimes existe afin que les victimes puissent agir lorsqu’elles ont le sentiment que les charges ne reflètent pas ce qu’ils ont subi.

CM : Si le procureur décide qu’il n’a pas assez d’éléments de preuve pour poursuivre M. Lubanga, son avis devrait avoir du poids. S’il pense qu’il n’a pas les preuves pour le faire, alors pourquoi les victimes demandent-elles d’ajouter de nouvelles charges ? C’est au procureur qu’incombe la charge de prouver la culpabilité de l’accusé, pas aux victimes. Il est le mieux placé pour juger s’il a des éléments de preuve ou non.

RI : Le procureur n’a pas engagé de poursuites concernant la violence sexuelle mais il a consacré une bonne partie de son exposé introductif à cette question. Avez-vous trouvé cela étonnant à ce moment-là ?

CM : En tant que partie défendante, nous étions sûrs qu’il pouvait dire ce qu’il souhaitait [car] les charges étaient là. Le procureur a tenté [d’apaiser] les victimes, c’est de cette manière que je l’ai compris.

RI : Vous avez déclaré dans votre exposé introductif que le procureur avait eu une « mauvaise approche » de l’affaire. Avez-vous le sentiment que le procès a été conduit d’une manière équitable ?

CM : [Nous sommes préoccupés] par le nombre de séances à huis clos, tout était très opaque et secret. Toutes les parties importantes se sont déroulées à huis clos. Je suis allée à Bunia pendant trois semaines et tout le monde me demandait : « Que se passe-t-il ? Pourquoi n’avons-nous pas vu votre contre-interrogatoire ? ». Les gens ne peuvent pas avoir une bonne compréhension de ce qui se passe à ce procès.

RI : Mais si vous avez un témoin qui a été la victime d’un crime et qui a peur, il est logique que les informations permettant de l’identifier ne soient pas divulguées.

CM : À Bunia, les gens disaient : « Pourquoi ne voulez-vous pas que je voie précisément qui est en train de parler ? ». Mon opinion est qu’il faut que nous soyons très prudents [car] vous pouvez protéger les personnes faibles mais pas ceux qui souhaitent mentir. Comment les victimes peuvent-elles assister au procès et se dirent, « C’est ce que j’ai enduré », si elles ne peuvent entendre le témoignage d’autres personnes ayant également souffert ?

RI : Lorsque la Cour passe en séance à huis clos, est-ce parce que vous débattez d’informations qui pourraient révéler leurs identités ?

CM : Oui, parce que nous demandons : « Qui est votre père, qui est votre mère ? Quelle école fréquentiez-vous ? » N’importe quel élément.

 

RI : Mais si les témoins bénéficient de mesures de protection, il est logique que ces informations soient fournies en séance à huis clos.

CM : Les mesures de protection en dehors du tribunal sont une chose mais les mesures de protection au sein du tribunal en sont une autre. Nous pensons que les personnes qui bénéficient de mesures de protection très importantes en dehors du tribunal devraient bénéficier de mesures moins protectrices au sein du tribunal.

RI : Mais quelles que soient les mesures de protection d’une personne en dehors de la Cour, si son nom est révélé lors du procès, cela pourrait compromettre cette protection.

CM : Tout cela est très théorique. Si une personne est protégée et déplacée, sa sécurité n’est pas autant compromise qu’une personne qui vit au Congo dans la même ville depuis une dizaine d’années. Concernant cette personne, nous ne devons pas divulguer l’endroit où elle vit.

RI : Lors de votre exposé introductif, vous avez abondamment abordé le fait que Lubanga était jugé à la place d’autres personnes qui avaient une plus grande responsabilité. Est-ce toujours votre opinion ?

CM : Le Statut de Rome indique que vous devez juger la personne la plus responsable. La question que nous soulevons est la suivante : Lubanga est-il la personne [la plus appropriée] pour ce procès de la CPI ? Quel a été le rôle du [président congolais Joseph] Kabila ou celui du [président ougandais Yoweri] Museveni ou du [président rwandais Paul] Kagame ? Qui donc la Cour veut-elle juger ? La personne la plus simple à attraper ? C’est la véritable question.

 Tout le monde sait que Kabila a une armée en ce moment [qui aurait utilisé des enfants soldats]. Tout le monde le sait et Lubanga est jugé ici pour ce chef d’accusation tandis que Kabila continue à faire la même chose mais Kabila est la personne qui a livré Lubanga à la Cour.

RI : Pouvez-vous nous donner une idée de votre plaidoirie ?

CM : Non. Un avocat réserve l’ensemble de ses interventions en premier lieu aux juges. Je sais que certains avocats utilisent la presse pour livrer quelques déclarations mais ce n‘est pas notre cas. Vous comprendrez tout lorsque nous débuterons notre plaidoirie.

RI : Quelle a été pour vous la partie la plus stimulante ou intéressante de ce procès ?

CM : Lorsque j’étais à Bunia, je me suis sentie très frustrée. Les gens ont entendu le procureur mais ils n’ont jamais entendu la défense [étant donné le grand nombre de séances à huis clos]. Au Congo, les gens ne comprennent pas la manière dont nous travaillons ici. Ils ne comprennent pas que ce soit le procureur qui commence et qu’ensuite la défense présente ses témoins. Nous ne pouvons faire plus que ce que nous faisons déjà, les gens doivent donc nous aider [à expliquer] le rôle de la défense car nous ne sommes pas compris là-bas.

[Pour en savoir plus sur la vue du procureur, cliquez sur le lien suivant: http://french.lubangatrial.org/2009/07/31/entrevue-avec-fatou-bensouda-assistante-du-procureur-de-la-cpi/]

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3 commentaires

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    Pingback par Entrevue avec Fatou Bensouda, Assistante du Procureur de la CPI « Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale — 29 Septembre 2009 @ 07:44

  2. Bjr quant a moi je vais la liberation de Mr lubanga le plutot possible

    Commentaire par andama atayo clement — 31 Décembre 2010 @ 13:05

  3. Moi je suis ressoirtisant de bunia je vecu tous ces probleme suis d accord de defendre lubanga pourquoie vous le cpi vs ne voulez pas mobiliser les temoins qui sont ici en europes comlme moi

    Commentaire par andama atayo clement — 31 Décembre 2010 @ 13:11